L'obligation de sécurité : la Cour de cassation rend un hommage appuyé à l'obligation de prévention

Article publié dans la revue "la Jurisprudence Lamy",  sur l'obligation de sécurité et son évolution dans la toute dernière jurisprudence de la Cour de cassation, JSL, n° 401, 7 janvier 2016

Aurélia Dejean de la Bâtie

Eclairage : santé sécurité au travail et obligation de sécurité

"Arrêt Air-France : la chambre sociale rend un hommage appuyé à l’obligation de prévention"

Le 25 novembre 2015 fera date en matière de prévention des risques professionnels. En effet, dans un arrêt de principe, la Cour de cassation revient sur l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur. Par une saine redécouverte de l’esprit de la directive cadre de 1989[1], les hauts magistrats posent que la politique de prévention mise en œuvre par l’employeur doit redevenir l’élément central pour apprécier la portée de son obligation de sécurité. Plus précisément, la Cour y affirme que l’employeur peut démontrer avoir satisfait à son obligation de sécurité alors même que l’état de santé mentale du salarié a été altéré.

 

Cette affirmation marque un infléchissement significatif de sa jurisprudence ainsi qu’en témoignent les mentions de publication qui sont attachées à l’arrêt[2]. Néanmoins, il reste à en définir la portée. Deux analyses peuvent prévaloir.

Selon la première, l’obligation de sécurité ne serait plus, avec l’arrêt du 25 novembre 2015, une obligation de sécurité de résultat mais dériverait vers une obligation de moyen renforcée[3].

Selon la seconde, la Cour opérerait simplement un retour aux sources. Dans cet esprit, l’obligation de sécurité resterait bel et bien une obligation de sécurité de résultat mais la Chambre sociale considérerait aujourd’hui que l’existence d’une lésion professionnelle n’est plus systématiquement révélatrice d’un manquement de l’employeur à son obligation de résultat. Cette seconde interprétation nous semble devoir prévaloir mais, afin de le justifier, il nous faut revenir à la situation qui a motivé l’arrêt du 25 novembre.

 

L’arrêt Air-France : les faits

Dans cette affaire, alors qu’il se trouvait en transit à New-York un salarié d’Air-France, chef de cabine sur vols long-courriers, est témoin à son hôtel de l’effondrement des tours du Wall Trade Center le 11 septembre 2001. En 2008, il saisit la juridiction prud’homale faisant valoir notamment que suite aux attentats, il a été victime d’un stress post-traumatique dont l’employeur doit être tenu responsable, au titre de son obligation de sécurité de résultat. Plus précisément, il étaye sa position en faisant valoir qu’en 2006, il a été pris d’une crise de panique l’empêchant de rejoindre son vol. Peu de temps après, il a été arrêté pour maladie et cela sans discontinuité jusqu’à son licenciement en 2011. L’employeur n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale, il demande en justice réparation de son préjudice.

 

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel de Paris de l’avoir débouté de sa demande de dommage-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité. En ce sens, dans un attendu de principe, elle affirme que : « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. »

En conséquence, sur ce point, la responsabilité d’Air France ne peut être retenue.

À la lecture de cette affaire, la première question qui vient à l’esprit est de se demander pourquoi la Cour a-t-elle choisi une situation aussi extrême que celle que nous venons de décrire, pour poser un arrêt de principe sur l’obligation de sécurité de l’employeur ?

En effet, le contexte de l’arrêt du 29  novembre 2015 – une situation de terrorisme - demeure fort heureusement extrême, même si, par une effroyable coïncidence, le choc des attentats parisiens du vendredi 13 novembre 2015 leur donne un relief tout particulier. Le fait générateur de la dégradation de la santé mentale est ici, sans aucun conteste, un évènement extérieur qui échappe totalement au pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur. Cette constatation est peu commune lorsqu’est en cause son obligation de sécurité.

Par ailleurs, l’attitude du salarié est pour le moins déroutante puisque après avoir décliné toutes les offres de prises en charge médicale, il a repris son service quelques jours après les évènements dramatiques, sans manifester une quelconque gène et sans jamais informer, par la suite, son employeur d’une dégradation de sa santé mentale, jusqu’à ce qu’intervienne son arrêt maladie (près de cinq ans après). Comme l’employeur l’a d’ailleurs fait valoir, Air France n’avait donc aucun moyen de savoir que le salarié avait été fragilisé, ce dernier ne s’étant jamais ouvert de son trouble, ni auprès de sa hiérarchie ni auprès des services de santé au travail.

 

L’arrêt Air-France n’est pas un revirement de jurisprudence

 

Si la Cour de cassation décide ici de donner une publicité maximale à cet arrêt c’est peut-être justement parce que la situation est extrême. Elle montre ainsi par-là, que la solidité des principes juridiques s’éprouve à travers leur faculté à s’appliquer à des situations extrêmes. Autrement dit, cette affaire pour le moins inhabituelle, donne à la chambre sociale l’occasion de réaffirmer que l’obligation de sécurité de l’employeur est bien une obligation de résultat.

Selon nous en effet, l’arrêt du 25 novembre n’est pas un revirement de jurisprudence. Il ne s’agit pas d’une mutation de l’obligation de sécurité de résultat vers une obligation de moyen, fût-telle renforcée.

 

Certes, on pourra objecter que l’attendu de principe ne fait pas mention de l’obligation de sécurité de résultat ce qui peut paraître troublant dans la mesure où jusqu’ici, la haute juridiction a toujours pris le soin de marteler dans ses attendus que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat. A notre avis, cette omission s’explique simplement par le fait qu’une telle mention n’était pas nécessaire en l’espèce. Le premier moyen de cassation auquel la Cour répond est en effet ici rejeté. En conséquence, le rappel de la nature de l’obligation légale ne s’imposait pas. De plus, dans le deuxième partie de son attendu de principe, les hauts magistrats reprennent textuellement les constatations de la Cour d’appel de Paris. Or, les juges du fond ont bel et bel mentionné l’obligation de sécurité de résultat et la Cour de cassation ne revient pas sur cette qualification.

Plus encore, pour justifier notre interprétation, il nous faut revenir à la distinction juridique classique entre l’obligation de sécurité de moyen et celle de résultat[4].

Dans l’obligation de moyen, le créancier de l’obligation doit établir que le débiteur de l’obligation n’a pas mis en œuvre les moyens nécessaires pour obtenir le résultat escompté. Dès lors, la charge de la preuve pèse sur lui.

Dans l’obligation de résultat, le débiteur s’est engagé à obtenir un résultat déterminé et sa faute consiste à ne pas avoir exécuté ce à quoi il s’était engagé.

En marge de ces deux obligations, la jurisprudence a reconnu l’obligation de moyen renforcée selon laquelle la charge de la preuve pèse sur le débiteur qui doit établir qu’il n’a commis aucune faute pendant la réalisation de ces obligations.

Dans l’arrêt Air-France, la charge de la preuve n’est pas inversée et la haute juridiction n’affirme pas non plus que l’obligation de sécurité de l’employeur doit désormais s’analyser en une obligation de sécurité renforcée. A l’inverse, la Cour fait référence une nouvelle fois à l’article L. 4121-1. Or, la lecture de ce texte ne permet pas le doute, l’obligation de prévention qui y est posée ne peut être qu’une obligation de résultat : il y est affirmé en effet que l’employeur « prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs », l’utilisation du présent de l’indicatif est sans appel pour l’employeur. Ce dernier est maître de sa politique de prévention, il est donc logique de lui imposer, à ce niveau, une obligation de sécurité de résultat.

 

Est-ce à dire, pour autant, que cet arrêt ne marque pas un véritable infléchissement de sa jurisprudence ?

Bien évidemment, et comme nous l’avons déjà dit, la réponse est négative.

 

L’arrêt Air-France : une redécouverte de l’esprit de 89

 

En effet, dans cet arrêt Air France, la Cour opère un retour aux sources et il est tout à fait remarquable que, dans son attendu de principe, elle fasse non seulement référence à l’article L. 4121-1 du Code du travail sur l’obligation de sécurité mais aussi et, ce qui est nouveau, à l’article L. 4121-2 du même code qui porte sur les neufs principes de prévention des risques professionnels.

Pour comprendre la portée de cette nouvelle référence de principe, il nous faut très brièvement revenir à l’évolution de la jurisprudence de la cour de cassation sur l’obligation de sécurité de résultat.

 

 

Depuis les arrêts « amiante » du 28 février 2002[5] par lesquels la Haute juridiction posait, pour la première fois, que l’obligation de sécurité de l’employeur est une obligation de résultat, les juges martèlent le principe[6] et précisent, à l’instar du législateur de 2002[7], que cette obligation vise aussi bien la santé physique que mentale.

En conséquence, lorsque l’employeur ne respecte pas cette obligation, sur le plan civil en cas d’accident ou de maladie professionnelle, tout salarié peut engager la responsabilité de l’employeur sur le fondement de la faute inexcusable, visée par l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale.

La définition de cette faute repose depuis les arrêts « amiante » sur une double constatation. Tout d’abord, « l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié ». Ensuite, « il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Au centre de cette définition, on trouve donc bien la consécration de la logique préventive imposée par la directive de 1989. La responsabilité de l’employeur ne peut être engagée qu’en cas de manquement avéré à son obligation de prévention des risques. Certes, au fil des arrêts l’on observe que, dans un souci d’indemnisation du salarié, les juges vont restreindre pour l’employeur les possibilités d’échapper à sa responsabilité[8]. Néanmoins, la qualification de la faute inexcusable est directement liée aux diligences de l’employeur en matière de prévention. Dès lors, sauf présomption légale de faute inexcusable, la victime doit prouver que les mesures de prévention qui s’imposaient n’ont effectivement pas été prises par l’employeur.

Débordant de son lit d’origine –le droit de la sécurité sociale –, avec l’arrêt du 29 juin 2005[9]. sur le tabagisme passif, l’obligation de sécurité va ensuite alimenter une nouvelle source contentieuse, liée, cette fois, à la rupture du contrat de travail. A ce stade, pour déployer plus aisément sa jurisprudence sur l’obligation de sécurité, la chambre sociale opère rapidement un changement. Elle ne va plus s’appuyer sur le fondement contractuel de l’obligation de sécurité mais sur son fondement légal, l’article L. 4121-1 du Code du travail qu’elle interprète « à la lumière de la directive cadre de 1989 »[10]

L’obligation de sécurité de résultat va ensuite irriguer abondamment le contentieux prud’homal[11] : qu’il s’agisse de la rupture du contrat travail ou de la mise en cause de la responsabilité contractuelle de l’employeur, la chambre sociale estime que le non-respect par l’employeur de son obligation de prévention cause « nécessairement un préjudice au salarié »[12].

Avec l’arrêt SNECMA, du 5 mars 2008, l’obligation de sécurité franchit une nouvelle digue pour investir le champ du collectif de travail, via les conditions de travail. La haute juridiction y encadre, en effet, pour la première fois le pouvoir de direction de l’employeur. Elle autorise ainsi les juges à suspendre une organisation du travail qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés[13].

Par la suite, le flot d’arrêts s’enchaîne. Il vise aussi bien la santé physique que la santé mentale[14], Mais malencontreusement, l’on observe que, petit à petit, le raisonnement juridique s’emballe. Emportée par le dynamisme du courant, victime de débordements, l’obligation de sécurité perd son unicité[15] pour se ramifier en deux cours bien distincts.

Lorsqu’on se situe en amont et qu’aucune atteinte à la santé physique et mentale du salarié n’est constatée, l’obligation de sécurité patronale peut être invoquée à titre purement préventif, s’il est avéré que l’employeur n’a pas pris les mesures de prévention qui s’imposaient pour éviter, supprimer ou parer le risque.

En revanche, en aval, lorsqu’une atteinte à la santé physique ou mentale est constatée, l’employeur va se trouver de facto condamné par les hauts magistrats pour non-respect de son obligation de sécurité, sans qu’il puisse faire la preuve qu’il avait bien pris les mesures de prévention qui s’imposaient. La politique de prévention, qui était à la source de la responsabilité de l’employeur, va donc être oubliée. L’obligation de sécurité, telle une obligation de garantie, doit alors jouer, dès l’instant où une atteinte à l’intégrité physique ou mentale du salarié est constatée.

Cette dérive s’observe notamment dans un arrêt du 3 février 2010 où pour la première fois, en matière de harcèlement, la haute juridiction affirme que l’employeur, tenu par une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales ou de harcèlement exercés par l’un ou l’autre de ses salariés et ce, quand bien même l’employeur aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements[16].

 

Cet arrêt va marquer les esprits et ne pouvait qu’entraîner des réserves si l’on reste attaché à la démarche de prévention introduite par la directive de 1989.

En effet, si selon l’article L. 4121-2 du Code du travail « éviter le risque » constitue le premier principe de prévention à mettre en oeuvre, le second, qui vient directement à sa suite, consiste « à évaluer les risques qui ne peuvent être évités ». Ce second principe de prévention entérine logiquement le fait que le risque zéro n’existe pas. L’employeur n’a donc pas la possibilité de promettre comme résultat de son obligation de sécurité que le salarié restera toujours en parfait état de santé mentale ou physique sans qu’un évènement lié au travail ne puisse interférer dans son engagement.

En ce sens, considérer que l’employeur doit être condamné au titre de son obligation de sécurité à chaque fois que le risque se réalise est contraire à la logique posée par l’article L. 4121-2. Elle conduit à une impasse et est contreproductive si l’on cherche à promouvoir les politiques de prévention en entreprise.

La critique est d’autant plus forte lorsque que l’on quitte le terrain de la sécurité au travail pour aborder celui de la santé. En effet, dans ce domaine le risque peut se matérialiser alors que l’employeur n’a pas de prise sur certains paramètres qui entrent en ligne de compte. Tel est le cas notamment des paramètres personnels qui peuvent gravement affecter l’état de santé du salarié (prédisposition physique à une maladie non détectée par une visite médicale, influence de facteurs personnels sur la réalisation du risque psychosocial…). Comme le soulignaient d’éminents auteurs, l’obligation de sécurité peut notamment « devenir une gageure compte tenu de l’imbrication de la vie personnelle et de la vie professionnelle et compte tenu de l’interdiction faite à l’employeur d’intervenir au-delà de la sphère professionnelle[17] ».

Or, juridiquement, une obligation de sécurité ne peut être de résultat que dans la mesure où tous les éléments sont sous le contrôle du débiteur de l’obligation. Si le résultat de l’obligation porte ainsi sur la santé du salarié, sa bonne exécution est impossible à garantir, ce qui a de quoi décourager les meilleurs esprits.

 

La vraie nouveauté de l’arrêt Air-France: le retour aux sources

Avec l’arrêt Air France, la Cour de cassation infléchit sa position et reconnaît implicitement qu’elle est allée trop loin. De ce fait, plus que par le passé, elle ancre son analyse de l’obligation de sécurité sur une exigence préventive. Dès lors, à la différence des magistrats de la chambre civile, qui dans le cadre du contentieux de la réparation de la faute inexcusable et de l’indemnisation des victimes, restent logiquement attachés au caractère contractuel de l’obligation de sécurité, la chambre sociale renoue avec la logique de prévention telle qu’elle a été consacrée par la loi, dans le cadre de la transposition de directive cadre de 1989[18].

 

On notera d’ailleurs que cet arrêt Air-France a été précédé par un certain nombre de décisions qui ont déjà laissé entrevoir ce retour à l’esprit de 89.

Dans un arrêt inédit du 3 décembre 2014, portant sur situation de conflit personnel entre collègues où une salariée faisait valoir que l’employeur n’avait pas rempli son obligation de sécurité de résultat pour éviter une détérioration de sa santé mentale qui avait conduit à une déclaration d’inaptitude, la Cour reprend l’argumentation des juges du fond et déclare que « l'employeur justifiait avoir tout mis en œuvre pour que le conflit personnel (…) puisse se résoudre au mieux des intérêts de l'intéressée, en adoptant des mesures telles que la saisine du médecin du travail et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et en prenant la décision au cours d'une réunion de ce comité de confier une médiation à un organisme extérieur ; qu'elle a pu en déduire que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de sécurité »[19]. Une décision du 19 novembre 2015, également inédite, suit exactement le même raisonnement mais, cette fois, la solution est inverse, dans la mesure où il est avéré que l’employeur ne justifiait pas avoir pris les mesures suffisantes pour apaiser le conflit[20].

Par ailleurs, sur le terrain du collectif, dans un arrêt FNAC du 5 mars 2015[21], puis dans un arrêt Areva rendu en formation plénière le 22 octobre 2015[22], elle affirmait qu’il n’y a pas lieu d’interdire un projet patronal de réorganisation qui fait apparaître des risques psycho-sociaux, dans la mesure où il est avéré que l’employeur a pris les mesures de prévention suffisantes pour parer le risque.

Dans l’arrêt FNAC, comme dans l’arrêt Arreva, le risque d’atteinte à la santé mentale avait bien été généré par le projet patronal de réorganisation[23]. Dès lors, on peut en déduire que la suspension d’une réorganisation n’est désormais envisageable qu’à une double condition : non seulement le projet patronal est susceptible de générer un risque grave d’atteinte à la santé physique ou mentale des travailleurs mais encore, l’employeur ne met pas en œuvre les mesures pour éviter ou parer ce risque.

 

A la lecture de l’ensemble de ces décisions, il est donc clair aujourd’hui que la haute juridiction prend du recul. Elle invite ainsi les employeurs à se réapproprier l’ensemble du chapitre 1er du livre 2 de la quatrième partie du Code du travail qui a transposé les principes fondateurs de la directive cadre de 89. Avec cette perspective, le résultat attendu de l’employeur ne porte pas sur la préservation effective de la santé physique ou mentale. Elle porte sur les mesures que l’employeur peut prendre dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de direction.

 

Quelles conséquences pratiques tirer de l’arrêt Air-France ?

Tout d’abord, dans le cadre d’un contentieux, il souligne le rôle qui est reconnu aux juges du fond et le contrôle qu’exerce la haute juridiction sur leurs décisions. En effet, si les hauts magistrats affirment que l’appréciation des faits par les juges du fond est souveraine[24], elle leur fait obligation de motiver leur décision par une analyse assez poussée des mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur. Ils doivent pouvoir déterminer très clairement si ces mesures ont été suffisantes ou non en application de l’article L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code[25].

L’arrêt Air France est à ce titre assez symptomatique. Dans la deuxième partie de motivation de son attendu de principe, la Cour met en exergue l’appréciation que les juges du fond ont eu des faits. Elle relève ainsi le sérieux de leur investigation, puisqu’ils ont pris la peine de relever :

« que l’employeur, ayant pris en compte les événements violents auxquels le salarié avait été exposé, avait, au retour de New York le 11 septembre 2001, fait accueillir celui-ci, comme tout l’équipage, par l’ensemble du personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les intéressés vers des consultations psychiatriques ».

Par ailleurs, « le salarié, déclaré apte lors de quatre visites médicales intervenues entre le 27 juin 2002 et le 18 novembre 2005, avait exercé sans difficulté ses fonctions jusqu’au mois d’avril 2006 »;

Enfin, « les éléments médicaux produits, datés de 2008, étaient dépourvus de lien avec les événements dont il avait été témoin en 2001 ».

 

Ensuite, cet arrêt Air-France a le mérite d’empêcher la ramification l’obligation de sécurité : elle permet d’affirmer que l’obligation de sécurité de l’employeur est une et non multiple.

 

Enfin et surtout, en se référant pour la première fois, dans un attendu de principe, à l’article L. 4121-2 du Code du travail, elle redonne toute sa pertinence aux politiques de prévention des risques en entreprise. L’employeur doit certes tâcher d’éviter le risque lié à l’activité professionnelle mais sa politique de prévention consiste aussi à gérer ce risque. Par une application des principes généraux de prévention, il doit prendre les mesures nécessaires pour évaluer les risques qui ne peuvent être évités, adapter le travail à l'homme, planifier la prévention…Autrement dit, tout un panel d’actions s’offre à lui pour répondre à son obligation de prévention.

On l’aura compris, après un long parcours, c’est donc un retour aux sources que nous propose la chambre sociale, l’obligation de sécurité s’en trouve purifiée, clarifiée et renforcée.

Ainsi, à la lecture de l’arrêt Air-France, les préventeurs n’hésiteront pas un instant à faire leur l’exclamation de Stendhal, «ce que j’aime dans les voyages, c’est l’étonnement du retour ».

 

[1] Directive 89/391/CEE du 12 juin 1989. Elle définit dans son 1er article la philosophie qui l’anime « la directive (…) comporte des principes généraux concernant la prévention des risques professionnels et la protection de la sécurité et de la santé, l'élimination des facteurs de risque et d'accident, l'information, la consultation, la participation équilibrée conformément aux législations et/ou pratiques nationales, la formation des travailleurs et de leurs représentants, ainsi que des lignes générales pour la mise en œuvre desdits principes ».

[2] Les références « P + B + R I » signifient, en effet, que l’arrêt fera l’objet de la publication la plus étendue qui soit, puisqu’il sera publié au Bulletin civil, au Bulletin d’information, et enfin au Rapport annuel et des arrêts de la Cour de cassation et sur son site internet

[3] Voir en ce sens, F Champeaux, « L’infléchissement de la jurisprudence sur l’obligation de sécurité » SSL, 2015, n° 1700 ou encore l’article de Cécile Crouzel, dans le figaro économique du 7 décembre 2009, p.29.

[4] « Le traité des obligations » de Demogue reste à nos yeux la référence pour comprendre la distinction entre les obligations de résultats et celles de moyens, A Rousseau 1925, .V, n° 1237.

[5] Cass. Soc. 28 février 2002, 99-18.389, 00-10.051 et s, Droit soc. 2002, 445, obs. A. Lyon-Caen, Rapport annuel de la Cour de Cassation, 2002, p.109, P. Sargos, « l’évolution du concept de sécurité au travail et ses conséquences en matière de responsabilité », JCP 2003, doct.104.

[6] Voir M Blatman « l’obligation de sécurité de résultat en six étapes » SSL, n° 1295, p. 6.

[7] Le concept de « santé physique et mentale », a été introduit dans le Code du travail par la loi « de modernisation sociale » du 17 janvier 2002.

[8] Voir sur ce point M. Blatman, « l’obligation de sécurité de résultat de la cour de cassation en six étapes » SSL 2007, n° 1319, supplément

[9] Cass. soc.  29 juin 2005, D. 2005, 2565, note A. Bugada ; Dr. soc. 2005, 971, note Savatier, SSL,n° 1254, 27mars 2006. Plus récemment, Cass. soc., 6 oct. 2010, n° 09-65.103, JCP S 2011, 1043, note Verkindt ; Cass. 2ème civ., 8 nov 2012. , n° 11-23.855

[10] Selon M Blatman, précité, ce changement date de l’arrêt n° 04-40.625 du 30 septembre 2005

[11] Voir sur l’expansion de la JP, JP Lhernould « obligation de sécurité de résultat : des arrêts amiantes à l’arrêt Snecma, brève chronique jurisprudentielle d’un univers en expansion », JSL, 2008, n° 239.

[12] Cass soc, 30 novembre 2010, n°08-70.390 ; Cass. Soc. 17 novembre 2015, n° 14-15.584.

[13] P.Y. Verkindt, « L’acmé de l’obligation de sécurité du chef d’entreprise » SSL n° 1346, p. 10-11.

[14] Cass. soc., 21 juin 2006, no 05-43.914 à 05-43.919, Bull. civ. V, n° 22.

[15] Voir sur l’affirmation que l’obligation de sécurité n’est pas une mais multiple, Odile Levannier-Goüel, « Areva NC : la jurisprudence Snecma fait-elle pschitt », SSL, 9 nov. 2015, n° 1697 notamment, p. 8 et s.

[16] Cass. soc. 3 février 2010, n° 08-40.144, com. N. Léger ; Marie Hautefort, et Cass soc., 3 février 2010, n° 08-44.019, « L’employeur a une obligation de résultat en matière de prévention du harcèlement moral », JSL 2010, n° 273, p. JCPG, 22/02/2010, n° 8, p. 414-415 ; J. Mouly, «obligation de sécurité de l’employeur et harcèlement « horizontal » : vers une obligation de résultat absolue », JCPG, 22/03/2010, n°12, p. 592-595.

[17] Sophie Fantoni-Quinton et Pierre-Yves Verkindt, l’obligation de résultat en matière de santé au travail : à l‘impossible l’employeur est tenu ? », Droit social, mars 2013, p. 233.

[18] La directive cadre a été transposée dans le code du travail par la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991.

[19] Cass. Soc. 3 décembre 2014, n° 13-18743, non publié mais commenté par J. Gérard, « L’obligation de sécurité dans l’insécurité », JCP S, 15 avril 2015, °15 ,p.28, JP 1135.

[20] Cass. soc. , 19 nov. 2015, n° 13-26-199

[21] Cass. Soc. 5 mars 2015, n° 13-26321, inédit

[22] Cass. Soc. 22 octobre 2015, n° 14-20173

[23] Nous renvoyons sur ces arrêts au forum de la SSL, du 9 novembre 2015, notamment à l’article d’Odile Levannier-Gouël, précité

[24] La Cour vérifie que la décision des juges du fond est suffisamment motivée. La cassation est encourue lorsque les motifs invoqués par le juge ne suffisent pas à démontrer que la règle de droit a été exactement appliquée. Voir en ce sens P. Ancel, Président honoraire de la Cour de cassation, « cycle droit et technique de cassation » déc. 2009

[25] On notera que dans une décision non publiée du 24 juin 2015, visant l’article L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail, la Cour va reprocher à la Cour d’appel de Paris de ne pas avoir déduit de l’absence d’aménagement adéquate des locaux de travail un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité cass. Soc. 24 juin 2015, n° 13-26.923..

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