L'opposabilité de la clause de compétence au chargeur réel - un retour à plus d'orthodoxie ?
La clause de juridiction figurant aux conditions générales auxquelles il est fait référence dans le connaissement n’est pas opposable au chargeur réel qui n’a pas la qualité de partie au contrat de transport conclu par l’intermédiaire d’un commissionnaire de transport.
Un producteur de poisson confie à un commissionnaire le soin d’organiser l’expédition de six conteneurs de poissons surgelés de Dakar (Sénégal) à Gemlik (Turquie).
Le commissionnaire confie à son tour la marchandise à un transporteur maritime qui prend les conteneurs en charge. Lors d’une escale à Istanbul, durant les opérations de transbordement, un conteneur chuta sur l’un des six conteneurs transportés l’endommageant fortement.
La préservation de la chaîne du froid ne pouvant être garantie, il fallut procéder à la destruction de la marchandise.
S’en suit une réclamation des intérêts cargaison, en l’occurrence le chargeur réel, domicilié en France, qui assigne en France à la fois le transporteur maritime et le commissionnaire de transport.
Le transporteur maritime tente de faire échec à la compétence des juges français sur le fondement d’une clause de juridiction incorporée dans ses conditions générales auxquelles il est fait référence dans le connaissement établi en vue du transport. Cette clause de juridiction attribuait compétence exclusive à la Haute Cour de Justice de Londres.
La Cour d’appel recherche alors si le chargeur a accepté la dite clause pour déterminer si elle peut lui être opposée.
La réponse est négative et ce pour plusieurs raisons :
- Le chargeur n’a pas directement contracté avec le transporteur maritime, il n’a donc pas qualité de partie au contrat de transport ;
- Le chargeur n’a pas signé le connaissement de sorte qu’il ne peut avoir accepté les conditions générales auxquelles il est fait référence ;
- Il n’est pas démontré qu’il existait un courant d’affaires entre le chargeur réel et le transporteur qui permettrait de supposer la connaissance des conditions générales.
Par conséquent, les juges du fond admettent leur compétence sur le fondement de l’article 6 du Règlement (CE) 44/2001 (devenu l’article 8 du règlement (UE) n° 1215/2012) qui permet, en cas de pluralité de défendeurs, d’attraire une personne d’un Etat membre devant la juridiction de l’un d’eux dès lors que les demandes sont liées entre elles par un rapport étroit nécessitant de les faire juger ensemble. Ce qui est le cas en l’espèce.
La Cour d’appel rejette les arguments du transporteur et confirme la décision des juges de première instance qui ont retenu leur compétence pour connaître la demande formée par le chargeur réel contre le transporteur maritime afin d’obtenir indemnisation de son préjudice.
Reviendrait-on à un peu plus d’orthodoxie en matière d’opposabilité des clauses de compétence figurant dans les connaissements ?
[CA Rennes, 25 juin 2019, n° 16/05568]