L’organisation pyramidale : la délégation au cœur du modèle
Dans un billet précédent, j’ai proposé de distinguer quatre grands types d’organisations différentes selon la manière dont l’autorité y est distribuée : l’organisation personnalisée, pyramidale, duale et cellulaire.
Un premier billet a été consacré à l’organisation personnalisée. Celui-ci est dédié à l’organisation pyramidale.
La colonne vertébrale des activités opérationnelles des grandes entreprises
Quand on pense organisation, le modèle pyramidal vient spontanément à l’esprit. La pyramide est sans doute la représentation des organisations la plus courante, au moins de celles du XXème siècle. Souvent, les méthodes et les outils présentés dans les manuels d’organisation et de management sont issus du modèle pyramidal sans que ce dernier ne soit explicitement nommé ; comme si cela relevait de l’évidence et comme s’il n’y avait qu’un seul et unique modèle d’organisation.
Dans la « vraie vie », qui peut fortement différée du contenu des ouvrages, l’organisation pyramidale se trouve fréquemment mise en œuvre aux niveaux intermédiaires des activités opérationnelles des grandes entreprises. On les nomme souvent « line », par opposition aux fonctions supports qualifiées, elles, de « staff ». L’organisation d’un « Business Group », d’une « Business Unit », d’une « Business Line »… relève fréquemment du modèle pyramidal.
La « line » prend la forme d’une cascade de pyramides hiérarchiques avec, à chaque niveau, un manager en charge de la coordination entre la pyramide de rang supérieur, à laquelle il appartient en tant que managé, et la pyramide de rang inférieur placée sous son autorité hiérarchique.
Une distribution déléguée de l’autorité
Dans le modèle pyramidal, le manager se voit allouer une autorité déléguée de la part de son propre manager, son N+1 dit-on couramment. A son tour, il délègue une part de son autorité à ses collaborateurs, ses N-1. Lorsqu’ils sont en situation de management, ces derniers en font de même avec leurs propres collaborateurs, et ainsi de suite. C’est en ce sens qu’Henry Mintzberg qualifie ce type de distribution de l’autorité de décentralisation verticale du pouvoir de décision.
Pour bien comprendre ce mécanisme, il est utile d’avoir présent à l’esprit ce qui distingue les trois grands types d’autorité statutaires :
- l’autorité hiérarchique est une autorité déléguée sur les personnes. Comparable au pouvoir exécutif, elle s’exerce dans le domaine de l’action opérationnelle (exécution du travail, production de résultats suivant des objectifs prédéfinis…). Elle se traduit en général par un pouvoir de récompense (prime, augmentation de salaire, promotion…) et de sanction (avertissement, mise à pied, licenciement…). Ce que l’on appelle en langage courant « la carotte et le bâton ».
- l’autorité fonctionnelle est une autorité déléguée sur les activités. Comparable au pouvoir législatif, elle s’exerce dans le domaine des modalités de l’action, c’est-à-dire sur la manière de faire les choses et d’utiliser les ressources (humaines, financières, technologiques…). Elle se traduit par le pouvoir d’édicter des règles et par la capacité de contrôler leur bonne application.
- l’autorité de compétence, enfin, est déléguée sur la base de savoirs et de connaissances. Elle permet d’être consulté en amont de la prise des décisions qui relèvent de son domaine d’expertise.
Ce qui distingue fondamentalement le modèle pyramidal du modèle dual, c’est que, dans le premier, autorités hiérarchique et fonctionnelle sont toutes les deux dans les mains de la « line » alors que, dans le second, elles sont partagées entre la « line » et le « staff ». Dans le modèle pyramidal, les fonctions supports (finances, ressources humaines, qualité…) ne possèdent qu’une autorité de compétence. Elles donnent un avis avant la prise de décision, mais ne décident pas. Les managers de la « line » sont les seuls « maîtres à bord ».
En conséquence, la décentralisation verticale du pouvoir de décision s’opère autour de l’autorité hiérarchique (chaque manager de niveau N possède une autorité hiérarchique sur ses collaborateurs de niveau N-1) et de l’autorité fonctionnelle (chaque manager a autorité pour organiser et coordonner le travail au sein de son périmètre de responsabilité).
Au dernier niveau de déclinaison pyramidale, les collaborateurs du manager sont des « doers » et non des managers. Ils n’ont donc pas d’autorité hiérarchique. En revanche, ils reçoivent de la part de leur manager la délégation d’une partie de son autorité fonctionnelle, ce qui les dote d’une certaine autonomie sur la manière de faire leur travail. Cela les place dans une logique de résultats et pas seulement de moyens comme dans le modèle personnalisé.
Une structure en râteau
La structure de l’organisation pyramidale prend la forme d’un râteau. Pour mesurer son « span of control », c’est-à-dire le nombre de collaborateurs qui lui rapportent hiérarchiquement (ses « direct reports » disent les Anglo-Saxons), on demande au manager combien de dents possède son râteau hiérarchique.
Le leader de l’organisation personnalisée se place au centre de son équipe. Le manager de l’organisation pyramidale se situe, lui, au-dessus. L’expression « mes N-1 », pour parler de ses collaborateurs, prend ainsi tout son sens.
La métaphore du chef d’orchestre s’applique ici au manager de manière beaucoup plus appropriée que dans l’organisation personnalisée où, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, il s’apparente davantage à un homme-orchestre. Le manager de l’organisation pyramidale exerce, d’abord et avant tout, le management. Il fait faire plus qu’il ne fait lui-même. S’il lui arrive de gérer en direct un certain nombre de dossiers, cela relève du régime de l’exception. Les formations au management qu’il reçoit sont axées sur les techniques de fixation d’objectifs et de délégation.
A cause de son positionnement « au-dessus », le manager risque d’être perçu par ses collaborateurs comme relativement distant. Ces derniers attendent qu’il descende de sa « tour d’ivoire ». On parle d’ailleurs couramment de distance hiérarchique. Si le leader de l’organisation personnalisée est plutôt « trop proche » de ses collaborateurs, le manager de l’organisation pyramidale est, lui, plutôt « trop lointain ».
Ses collaborateurs attendent de lui de la reconnaissance mais surtout la défense de leurs intérêts au sein de l’entreprise. Le manager parle en leur nom. Il les représente. C’est lui qui va négocier les budgets, les enveloppes d’augmentations individuelles. Le fait de « passer avant les autres et d’être les mieux servis » ou bien, au contraire, « d’être traités comme la dernière roue du carrosse » dépend de son influence au sein de l’entreprise.
La manière dont le manager est perçu par ses collaborateurs compte dans la mesure où l’autorité dont il jouit lui est déléguée. Il ne l’a pas gagnée, elle lui a été allouée. Pour être effective, elle doit être légitime, même a minima. Il ne s’agit pas pour lui de devenir un véritable leader doté d’une forte autorité personnelle, comme dans l’organisation personnalisée, mais de développer un minimum son leadership pour asseoir sa légitimité aux yeux de ses collaborateurs et rendre l’exercice de son autorité socialement acceptable.
Un besoin d’organisation encore peu complexe
L’organisation pyramidale permet de satisfaire un besoin d’organisation relativement peu complexe. Ce modèle est adapté à des organisations dont le nombre et la variété des parties sont peu élevés (le « span of control » des managers n’est pas extensible à l’infini). En revanche, leurs interactions peuvent être beaucoup plus fréquentes et largement moins prévisibles que dans le cas des organisations personnalisées.
Les membres de l’organisation pyramidale appartiennent à un même processus et concourent à produire un même résultat. Il peut y avoir une interdépendance de ressources entre eux, mais il y a aussi nécessairement une interdépendance d’activité. Cette dernière est parfois séquentielle mais le plus souvent réciproque : l’activité de l’un dépend de celle de l’autre, et réciproquement.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu dans le paragraphe ci-dessus, l’organisation pyramidale est mieux équipée que l’organisation personnalisée pour s’adapter aux changements.
Pour toutes ces raisons, le modèle pyramidal permet de satisfaire un besoin d’organisation plus complexe que celui permis par le modèle personnalisé. Ainsi, si une petite entreprise veut devenir grande, elle doit, à un moment ou à un autre de son développement, quitter son organisation personnalisée originelle pour structurer sa ligne opérationnelle à partir du modèle pyramidal.
Une culture de la loyauté
Pour fonctionner correctement, les organisations issues du modèle pyramidal nécessitent une culture de la loyauté. C’est l’autorité qui est déléguée, pas les responsabilités. Le manager de l’organisation pyramidale reste « accountable » de la performance. Cette délégation nécessite que le délégant (le manager) ait confiance dans les délégataires (ses collaborateurs) et que, dans le même temps, les seconds se soumettent au contrôle du premier en acceptant ses exigences de « reporting ».
Comme précisé dans le premier chapitre, l’expression « la confiance n’exclut pas le contrôle » est un des credo préférés des cultures favorables au modèle pyramidal. La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Le contrôle, lui, génère a priori plutôt de la méfiance. En effet, quand un manager contrôle le travail de ses collaborateurs, ces derniers ont assez naturellement le sentiment qu’il ne leur fait pas confiance.
Confiance et contrôle sont antagonistes dans une vision du monde qui professe que « quand le chat est parti, les souris dansent ». Dans une autre vision du monde, fondée sur des convictions telles que « l’erreur est humaine » et « on apprend de ses erreurs », contrôle et confiance ne s’opposent plus mais se complètent. Le manager peut alors utiliser les rendez-vous réguliers avec ses collaborateurs pour accroître leur autonomie à travers le développement de leurs compétences, et en profiter pour leur envoyer des signes de confiance tout en contrôlant leur travail. Ce changement de cadre de référence est souvent au cœur des enjeux du manager de l’organisation pyramidale.
Senior Learning Manager at Hennessy (LVMH)
7 ansQuitte à garder l'allégorie de la pyramide, qu'elle soit maya, aztèque ou égyptienne, je garde de mes années de passion pour l'archéologie le souvenir que c'est au cœur de la pyramide que se cache le plus grand trésor (et les dernières avancées technologiques mises en oeuvre à Kheops ne semblent pas le démentir). De là à dire que la structure pyramidale (la plus solide et la plus stable des formes géométriques) prend sens pour préserver et cultiver sa richesse intérieure, il n'y a qu'un pas...