L’Union européenne, entre multilatéralisme et multipolarité
Un des principes que l’#Union #européenne défend depuis sa création est la promotion du multilatéralisme, que ce soit par la primauté donnée à l’ONU ou aux partenariats qu’elle tisse avec d’autres organisations régionales ou multilatérales. Si l’UE ne peut trouver un consensus sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, par l’opposition entre le G4 et l’Italie, elle s’accorde sur la nécessité de moderniser le tissu multilatéral alors que se multiplient les sommets minilatéraux et qu’un monde multipolaire se dessine.
Les fondements du multilatéralisme pour l’Union européenne
La définition même du concept montre comment l’UE y trouve non seulement sa place, mais aussi ses moyens d’action. Système mondial de coopération entre plus de deux acteurs où chaque État cherche à promouvoir ses relations avec les autres plutôt que d’agir unilatéralement, il est à la base du maintien de la paix par la discussion plutôt que par l’absence de dialogue qui peut mener au conflit. Andrew Knight le définissait comme un outil normatif, les mesures et actions prises par la CEE/UE la qualifiant ainsi de puissance normative. Pour être multilatérale, la coopération entre États doit se faire dans la durée et elle peut revêtir plusieurs formes. Elle peut être universelle (ONU), régionale (CEE, OUA), intercontinentale (OTAN, OSCE), institutionnalisée (organisations internationales) ou informelle (groupes de contact) voir thématiques, les organisations se formant selon les sujets à traiter.
Tandis qu’émerge l’idée d’une réforme de la gouvernance, que la Commission européenne définissait en 2003 comme « la capacité d’un État à servir ses citoyens », que le multilatéralisme onusien affronte la crise irakienne, la rédaction par l’UE d’une stratégie de sécurité mettra au premier plan le concept d’ « effective multilateralism » et le renforcement de l’ONU comme l’objectif à atteindre. Il s’agit de « construire une société internationale plus forte, des institutions internationales qui fonctionnent bien et un ordre international fondé sur un ensemble de règles » tout en de nouant des « partenariats stratégiques ».
Le document identifie cinq menaces majeures liées à la soft security ou la hard security : le terrorisme international, la prolifération des ADM, les conflits régionaux, les États en déliquescence et la criminalité organisée. Ces menaces doivent être combattues par un « multilatéralisme efficace », mais aussi par une diplomatie préventive non basée sur l’attaque préventive unilatérale comme a pu le faire Washington en Irak, mais sur une assistance apportée par l’UE à un État en difficulté.
Aussi, la SES est avant tout un moyen de se présenter comme une organisation multilatérale qui dispose d’un agenda et qui développe ses capacités d’intervention dans tous les domaines. Il n’y a pas de hasard dans le choix des pays cités, les États-Unis et le Canada afin de renforcer (ou reconstruire) le partenariat transatlantique, l’Inde et le Japon qui défendent les mêmes valeurs, mais avec qui les contentieux commerciaux existent, la RPC avec qui l’UE a une relation en dent de scie ou la Russie qui ne peut être ignorée de la politique étrangère européenne, que ce soit par l’histoire, les conséquences de l’élargissement ou tout simplement en raison du « robinet énergétique ».
Une vision idéale bousculée par l’émergence
En effet, tandis que le multilatéralisme reste une ambition à atteindre, le fait est qu’une forme de multipolarité s’ancre dans les relations internationales. Le multilatéralisme suppose que des règles ou des accords universels et réciproques doivent prendre le pas sur la liberté d’actions des États et sur leurs accords bilatéraux tandis que la multipolarité suppose des acteurs à la puissance comparable, un accord sur les règles du jeu, une liberté d’action diplomatique et une capacité d’action militaire. Les deux notions sont donc bien éloignées, la première vision idéaliste promue par l’UE faciliterait une fluidification du jeu mondial tandis que la seconde accoucherait d’un monde hétérogène, fracturé et conflictuel même si l’interdépendance économique croissante limiterait les risques de conflit majeur.
Dans ce monde, l’Union européenne doit composer avec les stratégies mises en place par les acteurs principaux, États-Unis et Chine en tête, qui peuvent mettre en péril sa vision du multilatéralisme. Mais aussi par d’autres pays émergents qui, en se regroupant au sein de mini-sommets, pratiquent une « club governance » qui peut s’opposer aux intérêts européens, comme ce fut le cas lors de la conférence de Copenhague sur le climat en 2009. Tout cela dans un monde encore dominé par les États-nations ou la place de Bruxelles peut être fluctuante.
Malgré les revers qu’elle peut subir, comme le camouflet qu’elle subit lors des débats sur sa représentativité au sein de l’ONU après les réformes du traité de Lisbonne, l’UE reste convaincue que le multilatéralisme est le meilleur moyen pour que le monde puisse s’accorder sur les grands défis à relever. En 2016, dans sa Global strategy, l’UE rappellera que le multilatéralisme faisait partie de son identité et même de son ADN comme Ursula Von der Leyen le précisera en 2019. Il s’agit désormais pour l’UE d’adapter son approche en tenant compte de l’évolution du contexte international.
Les défis à relever
Par son expérience règlementaire et ses principes démocratiques, l’Union européenne a l’ambition d’être à l’avant-garde du renouveau d’un multilatéralisme fondé sur des règles. En proposant des mécanismes de coordination qu’elle veut plus efficaces, il s’agit d’adapter le multilatéralisme au 21ème siècle. Cependant, établir des partenariats et renforcer la coopération avec des organisations multilatérales et régionales ne sera peut-être pas suffisant pour redessiner un multilatéralisme qui doit, comme avant, faire également la promotion des droits fondamentaux. D’autant plus que dans un monde qui devient « plus multipolaire et moins multilatéral » selon le HR, l’UE ne peut redéfinir seule les règles.
Le multilatéralisme étant soit défini par les puissants, soit bloqué par les puissants, elle devra composer avec d’autres pays dont les États-Unis et la Chine. Pékin cherche à transposer sa puissance économique et son poids sur la scène internationale au sein des organisations multilatérales. En 2020, elle dirige 4 des 15 agences spécialisées de l’ONU, les ressortissants chinois occupent de nombreux postes clés et la Chine est le deuxième contributeur au budget des Nations unies. L’UE doit tenir compte de cette nouvelle donne et même si la volonté de l’UE a toujours été d’intégrer la Chine dans les institutions multilatérales, les agendas ne sont pas nécessairement les mêmes, en particulier sur la vision très libérale du multilatéralisme post Seconde guerre mondiale.
Ainsi, afin d’être capable de peser dans le renouveau du multilatéralisme, l’Union européenne ne peut se contenter d’un simple mantra, mais également tenir compte de la multipolarité et devenir un pôle de puissance politique. C’est l’ambition affichée par le Haut représentant.
L’Union européenne, « pôle de puissance multilatérale » ?
Alors que l’idée de défense européenne, malgré les PESCO, reste une chimère, devenir un pôle de puissance uniquement politique reste à sa portée si les États membres se rangent vraiment derrière cette idée. Le HR met en avant que la force morale ne suffit pas pour convaincre, il faut également être capable de s’affirmer et ne pas hésiter à mener une politique de rapports de force. Ainsi, l’UE, en intégrant l’idée d’un monde multipolaire, serait plus à même de défendre et réformer le multilatéralisme en suivant trois objectifs : « consolider ce qui fonctionne, réformer ce qui ne fonctionne plus correctement et étendre le champ d'application du multilatéralisme à de nouveaux domaines. »
L’adoption par le Conseil européen d’une stratégie européenne de coopération pour renforcer la présence et l’action de l’Union européenne dans la région indopacifique peut être une étape importante pour faire de l’UE ce pôle de puissance politique que les puissances de la région devraient prendre en compte…
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Pour aller plus loin :
Conseil européen, Une Europe sûre dans un monde meilleur, 2003.
The European Union and the multilateral system Lessons from past experience and future challenges
Un multilatéralisme renouvelé, adapté au 21e siècle: le programme de l'UE
Le renforcement de la contribution de l'UE à un multilatéralisme fondé sur des règles
Comment relancer le multilatéralisme dans un monde multipolaire?
Souhaite également s’investir dans la rédaction dans le domaine des relations internationales, Asie et Europe en particulier
3 ansQuelle place pour le multilatéralisme dans la politique étrangère et de sécurité européenne dans un monde plutôt porté vers la multipolarité ou un multilatéralisme moins libéral ? L’UE elle-même ayant l’ambition de devenir un pôle de puissance politique, comment concilier deux visions du monde qui semblent contradictoires ?