Métaux stratégiques : sortir des griffes chinoises, le pari compliqué des Etats-Unis
Deuxième volet de notre dossier spécial sur "les métaux critiques : la bataille à ne pas perdre pour les puissances occidentales pour réussir la transitiion énergétique". Un deuxième volet consacré à la stratégie américaine. Pour sortir de la dépendance à l'égard de la Chine et sécuriser la chaîne de valeur des industries de la transition écologique, les Etats-Unis relancent en effet l'activité minière, notamment celle des terres rares. Mais les capacités de raffinage de l'Oncle Sam reste le problème central pour envisager une réelle autonomie. Analyse.
Durant l'été 2019, la rumeur selon laquelle l'administration Trump voulait racheter le Groenland au Danemark faisait les gros titres de la presse. Vue comme une énième fantaisie du président américain, l'idée n'était peut-être pas si absurde qu'elle en avait l'air. Le sol du Groenland est, en effet, riche en terres rares, dont le gouvernement américain avait alors bien saisi l'importance stratégique.
L'appellation « terres rares » correspond à une classification géologique bien précise. Elle désigne 17 métaux qui font partie du tableau des éléments chimiques de Mendeleïev. En 2018, le Département de l'Intérieur américain a identifié 35 minerais considérés comme stratégiques pour l'économie et la sécurité nationale, parmi lesquels se trouvent ces terres rares.
« Terres rares et minerais stratégiques sont de plus en plus vus comme le pétrole du XXIe siècle : ce sont les ressources qui se trouvent derrière la nouvelle ère de croissance technologique et économique mondiale », affirme James Grant, chercheur au Foreign Policy Research Institute, un laboratoire d'idées basé à Philadelphie, et auteur d'un rapport sur les terres rares.
Celles-ci sont employées dans un grand nombre d'industries, de la défense (par exemple pour les systèmes de guidage de missiles) aux microprocesseurs, en passant par les voitures électriques et les énergies renouvelables (éoliennes offshore, panneaux solaires...). Si les terres rares sont des minerais stratégiques, du moins selon la classification du gouvernement américain établie en 2018, la réciproque n'est pas vraie. Le lithium et le cobalt, utilisé dans les batteries électriques, ne sont par exemple pas des terres rares, pas plus que le gallium, capital pour la fabrication des microprocesseurs 5G.
Les liaisons dangereuses
L'idée de racheter le Groenland a fait long feu, mais la stratégie américaine visant à accroître son autonomie sur les minerais stratégiques demeure, elle, plus que jamais d'actualité. Car les États-Unis sont à l'heure actuelle fortement dépendants de la Chine pour ces matières premières. L'Empire du Milieu, qui exporte 85% des terres rares dans le monde, assure plus de 80% des besoins américains. 14 des 35 minerais identifiés par le gouvernement américain ne sont ni extraits ni raffinés aux États-Unis.
Dans un contexte de tension croissante entre les États-Unis et la Chine, cette dépendance devient de moins en moins acceptable aux yeux du gouvernement américain. D'autant que le dragon chinois, fort de sa domination dans ce secteur stratégique, n'a pas hésité à montrer les crocs par le passé.
Ainsi, en septembre 2010, à la suite de l'arrestation d'un chalutier chinois par la marine japonaise au large de l'archipel disputé des îles Senkaku/Diaoyu, la Chine a été accusée (ce qu'elle a toujours nié) d'avoir mis en place un embargo de deux mois sur les cargaisons de terres rares à l'encontre du Japon. Alors que la guerre commerciale, démarrée sous l'administration Trump, continue de faire rage sous celle de Biden, la menace de voir Pékin fermer le robinet des terres rares fait couler des sueurs froides à Washington.
L'État-stratège américain aux manettes
Plusieurs mesures ont donc été adoptées pour renforcer l'indépendance stratégique du pays vis-à-vis de la Chine autour des minerais rares. Dès 2018, Donald Trump signe le décret présidentiel 13817, qui donne pour mission au gouvernement fédéral de renforcer les capacités d'extraction et de raffinage de minéraux sur le sol national. Un second décret suit en 2020, qui qualifie la dépendance à la Chine sur les minerais rares d'urgence nationale et prévoit la construction de mines américaines par le Département de la Défense.
Une Critical Minerals Mapping Initiative est également établie pour encourager la construction d'usines de minage et de raffinage aux États-Unis, et diversifier l'approvisionnement du pays en s'appuyant sur les pays alliés plutôt que sur la Chine. Le Pentagone a également financé le développement de la mine de Mountain Pass, en Californie, à ce jour la seule mine américaine spécialisée dans l'extraction de terres rares, un temps fermée et de nouveau active depuis 2017.
Dès son accession au pouvoir, Joe Biden a quant à lui ouvert une commission qui a eu cent jours pour analyser les faiblesses de la chaîne de valeur américaine autour des minerais stratégiques. Au sein du plan d'infrastructure actuellement en négociation au Congrès américain, 80 millions de dollars doivent être dépensés pour muscler les capacités de production et de raffinage américaines.
De l'extraction aux USA, raffinage en Chine
Car l'extraction n'est qu'une partie du problème. Il faut ensuite raffiner les minerais extraits des terres rares pour en faire des métaux utiles. C'est là que se trouve l'enjeu le plus stratégique, selon Drew Horn, qui a mené les efforts visant à renforcer l'autonomie américaine sur les minerais rares alors qu'il travaillait au sein du Département de l'Énergie sous l'administration Trump.
« Concernant le minage, il est possible de s'approvisionner auprès de pays alliés, comme l'Australie, le Canada ou le Groenland. Mais sur le raffinage, la domination des Chinois est écrasante, ils assurent la quasi-totalité de l'offre mondiale. »
Ainsi, la mine de Mountain Pass est actuellement contrainte d'expédier la totalité de ses matières premières extraites en Chine pour les faire raffiner ! Une faiblesse dont les autorités américaines ont bien conscience, et à laquelle elles tentent désormais de remédier à l'aide d'investissements publics dans des entreprises privées, américaines ou alliées.
« Le Département de la Défense a annoncé en 2020 qu'il financerait à hauteur de 30 millions de dollars la construction d'une usine de raffinage au Texas par l'entreprise australienne Lynas », note James Grant. L'U.S. International Development Finance Corporation, un investisseur étatique, a également placé 25 millions de dollars dans TechMet, une entreprise irlandaise spécialisée dans le raffinage et le recyclage des minerais stratégiques.
La pénurie comme opportunité
Mais la mobilisation vient également des entreprises privées elles-mêmes, conscientes de la menace que les déséquilibres autour des minerais stratégiques font peser sur leur chaîne de valeur, comme l'illustre la pénurie mondiale de microprocesseurs actuellement à l'œuvre. Ainsi, General Motors a établi un partenariat avec Controlled Thermal Ressources, une entreprise qui extrait et raffine du lithium en Californie, afin de sécuriser son approvisionnement pour ses véhicules électriques.
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« La stratégie, entamée sous Trump et poursuivie sous Biden, consiste ainsi à promouvoir l'innovation dans un contexte de pénuries affectant la chaîne de valeur des entreprises », analyse James Grant, pour qui « la décision de miner davantage de terres rares sur le sol américain peut aussi être interprétée comme la volonté de bâtir une chaîne de valeur domestique plus résiliente autour des microprocesseurs. »
Pour John Seaman, spécialiste de la Chine à l'Institut français des relations internationales, cette logique s'inscrit ainsi dans une tendance générale qu'ont les grandes puissances à vouloir accroître leur autonomie dans des industries identifiées comme stratégiques, des microprocesseurs aux énergies renouvelables, en passant par les voitures électriques. « Il y a aux États-Unis, comme en Chine et en Europe, la volonté de générer ou de préserver des industries à forte valeur ajoutée sur le territoire national, ce qui passe par la maîtrise de toute la chaîne de valeur qu'il y a derrière », affirme-t-il.
L'épineuse question d'une extraction respectueuse de l'environnement
Reste un obstacle de taille aux ambitions américaines : le coût écologique de l'extraction et du raffinage des minerais stratégiques. L'administration Biden, qui a promis de faire du climat l'un de ses chevaux de bataille, se trouve ainsi davantage en porte à faux que l'administration Trump en voulant stimuler l'essor d'une industrie polluante sur le sol national. Même si celle-ci doit en définitive aussi servir l'essor des énergies renouvelables. « Il y a une tension évidente entre la volonté de répondre aux enjeux climatiques et celle de limiter les dépendances extérieures, qui peuvent se traduire en risques géopolitiques », note Jane Nakano, chercheur au Center for Strategic & International Studies, un laboratoire d'idées basé à Washington.
Pour Drew Horn, qui, à travers son cabinet Greentech, conseille désormais les entreprises souhaitant exploiter les minerais stratégiques tout en respectant l'environnement, les deux objectifs ne sont toutefois pas aussi antinomiques qu'il y paraît au premier regard. « La Chine travaille sans se soucier de l'impact environnemental ni des droits de l'homme, ce qui ouvre aux États-Unis et à l'Europe l'opportunité d'œuvrer ensemble à une alternative plus verte et respectueuse des individus, en mettant en place des normes et régulations adaptées. »
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Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur "la guerre des métaux stratégiques" :
Guillaume Renouard - 23 Nov 2021 - La Tribune
--ingénieur agroéconomiste spécialiste comptable et gestionnaire /Master en sciences comptables et financières/audit et contrôle de gestion à HETEC
11 moisSalut je suis en Guinée je cherche une société chinoise acheteuse de minerait de bauxite
Analyste technicien supérieur chimiste
2 ansIntéressé