Métavers : le meilleur des mondes ?

Il aura suffi de l’annonce d’un nouvel outil plus un changement de nom pour que tous les thuriféraires de la nouveauté digitale et tous les chasseurs de possibles bulles spéculatives se jettent sur le dernier cri de la créativité virtuelle : le métavers.

A-t-il, ce nouveau concept, le brillant futur que certains lui prévoient, cet avenir fructueux restera-t-il virtuel comme son univers ou le résultat se situera-t-il dans un entre deux plus ou moins prospère ? Il serait évidemment présomptueux de ma part d’en prédire le devenir sans recourir à des formulations ambigües dignes de Nostradamus ; mais, quand on est un adepte du numérique sans nécessairement en être un « ayatollah », on peut à tout le moins essayer d’en faire une analyse un peu plus distanciée et moins immédiatement passionnelle.  

La leçon de l’expérience « Second life » incite en effet à un peu de distance, sinon de scepticisme. Certes, on peut arguer que Second Life n’était qu’un… avatar, bien simpliste, de ce que peut proposer la technologie d’aujourd’hui combinée à la puissance financière et marketing de Facebook. Il n’en reste pas moins que, d’un point de vue purement marketing, une segmentation est envisageable, sinon possible. 

Il n’y a probablement pas de doute sur l’avenir du métavers dans les jeux vidéo en ligne où il recrutera certainement ses nombreux adeptes ; c’est d’ailleurs probablement le domaine où il aura le plus de débouchés… car, le monde de ces jeux est déjà un métavers.

 On peut également prévoir, sans trop de risque de se tromper, que le métavers fera une entrée remarquée dans le monde du marketing et de la vente en ligne des produits de grande consommation. Non que ce soit là une révolution particulièrement remarquable et/ou utile dans la mesure où il ne s’agira que de l’extension des chatbots actuels, bornés pour l’instant plus par les limites de l’intelligence artificielle qu’ils utilisent que par leur forme quelque peu rudimentaire. Mais, au-delà d’une extension due à l’effet de mode, on peut envisager en effet que les modes d’emploi et les didacticiels actuels puissent progressivement migrer sous la forme de métavers, car présentant de meilleures conditions de rapidité, de souplesse, de facilité et de coût de mise à jour.

 En revanche, les espoirs des promoteurs des métavers de prendre pied de manière importante dans la sphère professionnelle sont-ils fondés dans la même mesure ?

 Là encore, l’expérience, même non aboutie, de Second Life, montre que ce type d’application peut s’avérer effectivement utile sous forme de supports pédagogiques en matière de formation continue ou de didacticiels pour les manuels d’utilisateurs, en particulier lorsqu’il s’agit d’intervention en milieu dangereux, pour les mêmes raisons de ratio coût/facilité d’élaboration et mise à jour. Reste à savoir comment et surtout à quel rythme ces métavers seront capables de franchir la barrière d’inertie de l’appropriation par ses utilisateurs.  

 En revanche, les espoirs de Facebook, pardon de Meta, de devenir significativement, voire quasi-exclusivement, des outils de formation et de réunion à distance, paraissent beaucoup plus aléatoires. Tous ceux qui ont « profité » de la pandémie pour expérimenter la formation professionnelle à distance ont pu mesurer les limites de l’exercice : difficulté de l’interaction, de la créativité, de la participation et, surtout, le handicap, pour ne pas dire la frustration, que représente l’absence de perception du langage corporel et de la véritable implication des participants. Les réunions présentent les mêmes types de problèmes (la « Zoom fatigue »…), même pour celles qui relèvent (trop souvent…) de la « réunionite » ; il est donc à prévoir que la présence à travers des avatars se heurtera à de vrais problèmes d’acceptation par les utilisateurs, en particulier par les managers.

 Mais, au-delà de ces aspects purement marketing, deux questions plus générales émergent face à cette véritable machine de guerre de Facebook/Meta pour vanter les mérites des métavers et leur inévitable succès.

 Tout d’abord, quels dangers de manipulation portent ces outils, quand on sait qu’une récente étude les pointait déjà pour les chatbots, pourtant rudimentaires en comparaison ? Et peu importe son changement de nom : peut-on laisser Facebook/Meta, dont l’activité addictive s’attaque au cerveau de ses utilisateurs, accroître son emprise en enfermant davantage encore ses « drogués » dans une bulle virtuelle, traumatisés lors de leur retour dans une vie réelle bien décevante en comparaison, emprisonnés parmi leurs seuls pareils et enveloppés de publicités encore mieux ciblées grâce aux millions de données supplémentaires ainsi recueillies sur leurs habitudes et réactions. On en viendrait presque à comprendre les mesures de limitation prises par le gouvernement chinois…

 Le second aspect est encore plus « philosophique » : est-ce là l’avenir que nous souhaitons, l’avenir dans lequel nous faisons progressivement entrer nos enfants ? Le meilleur des mondes, envisagé par Huxley ou Orwell impliquait un contrôle exercé par une autorité étatique ; ce que nous voyons poindre là, si nous n’y prenons pas garde, c’est une soumission « volontaire », à travers des outils addictifs proposés par un oligopole d’entreprises privées et une déconnexion progressive, déjà perceptible aujourd’hui, par rapport à une réalité qui ne pourra jamais égaler l’univers rêvé des métavers.

 Décidément, sans vouloir jouer aux vieux grincheux, on a envie de dire « c’était mieux avant » !  

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