MA CRISE   2008/2009
BERCY DÉCEMBRE 2008

MA CRISE 2008/2009

Premier épisode 2008 (incluse la suite des posts précédents)

Juin 2008, les 8 usines du groupe tournent à plein régime.

Nous battons des records de croissance de chiffre d'affaires .

Les clients nous annoncent des montagnes de volumes devant nous. 

Ma seule préoccupation est, comment fabriquer plus et bien sans détériorer nos marges.

Une trop forte croissance est aussi mortelle qu’une récession si elle n’est pas gérée correctement.

Début juillet les premières prévisions de volumes pour la rentrée tombent, non ce n’est pas possible ! c’est une erreur, rappelez vos interlocuteurs pour confirmer !

Hélas, le constat est sévère, tous les clients affichent des baisses très brutales de l’ordre de 20 à 30%.

Pire, chaque semaine les nouveaux programmes écrasent les anciens et accentuent la baisse.

En septembre je rencontre les directeurs des achats de mes principaux clients, même discours partout : nous ne savons pas où nous allons, le sol s’effondre sous nos pieds.

La crise des subprime de juillet 2007 vient d’atteindre l’économie réelle.

Les banques ne financent plus rien, il ne se fabriquera pas une voiture en Europe en décembre, les constructeurs et équipementiers au bord du gouffre en appellent à l’état.

Et pour nous sous traitants c’est bientôt la fin.

Mercredi 19 novembre 2008, je réunis le comité de Direction du Groupe comme chaque mois.

La réunion tourne autour des mesures drastiques d’économies que nous avons déjà engagées sur chaque site dès la confirmation de la baisse vertigineuse des volumes depuis septembre.

L’annonce de la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre a crispé toute l’économie mondiale.

Les banques s’épient en se demandant qui sera le prochain.

L’argent ne circule plus, l’accès au crédit est gelé et les biens de consommation qui nécessitent un prêt ne se vendent plus.

L’industrie automobile est touchée de plein fouet, nous ne le savons pas encore mais notre Groupe va perdre 43% de son chiffre d’affaires en 2009 comme nos confrères.

Notre croissance externe de juillet 2007 nous a propulsé leader français en fonderie d’aluminium sous pression, nous venons tout juste de redresser les entités reprises et déjà le ciel nous tombe sur la tête !

A 17h, en plein comité mon téléphone vibre, c’est le cabinet de Luc Chatel secrétaire d’état à l’industrie.

Une voix me demande de participer au premier comité stratégique pour l’avenir de l’industrie automobile vendredi 21 novembre à 8h à Bercy.

L’avenir ? Ça m’intéresse !

Bercy, vendredi 21 novembre 2008, 7h50.

Je suis arrivé depuis quelques minutes dans la grande salle du septième étage de l’hôtel des ministres bâtiment Colbert qui enjambe comme un viaduc le quai 45 mètres plus bas.

Je n’ai pas le temps d’apprécier la vue je cherche mon nom sur un des cartons de l’immense table carrée qui accueille une quarantaine de participants. J’en fais le tour et repère ma place, au passage j’ai lu la plupart des noms.

Un côté de la table est réservé à Luc Chatel qui va présider entouré de son cabinet d’un député et d’un sénateur, en face il y a les constructeurs et équipementiers.

Côté gauche tous les syndicats et à droite diverses personnalités représentant les instances patronales ainsi que des experts de la filière.

Je me trouve là à l’angle du côté ministériel ce qui me donne une vue panoramique sur les participants.

Je ne fais partie d’aucun syndicat, pourquoi suis je ici ?

Un membre du cabinet qui m’avait invité à intervenir lors d’une table ronde auparavant et à qui j’avais posé la question me répondit avec malice, nous comptons sur vous pour nous faire part des réalités du terrain.

Il n’allait pas être déçu..

Soudain un brouhaha dans le couloir, Carlos Goshn arrive !

Les participants déjà là discutent en aparté par affinité ou intérêt.

Christian Streiff le PDG de PSA moins médiatique fera une entrée discrète.

Une fois tout le monde présent, Luc Chatel fait le tour et salue chacun, la réunion va commencer.

Très vite, ce qui devait être un comité stratégique voulu par le Président Sarkozy pour inverser la courbe de la production automobile en France, car depuis 2007 nous sommes passés d’exportateur à importateur, devient une cellule de crise pour sauver l’industrie automobile qui est prête à s’écrouler comme des dominos alignés.

La parole est donnée à Carlos Goshn qui décrit une situation catastrophique rejoint dans ce constat par ses homologues.

Les syndicats tour à tour sans polémique insistent sur l’urgence d’agir pour éviter un drame social sans précédent.

Je n’entends pas la voix des sous traitants à cette première réunion, les appareils des fédérations ne sont pas suffisamment au contact.

Je pense à mes 2500 collaborateurs inquiets car mon chiffre d’affaires prévisionnel pour décembre 2008 est tombé à 5 M€ contre 30 M€ en juin.

Ma trésorerie si solide qui faisait ma fierté adopte une pente tragique.

Je dois agir, je lève la main, Luc Chatel me donne la parole...

J’ai l’habitude de parler devant des centaines de personnes, mais là c’est différent.

J’ai la filière automobile comme auditoire, je me lance dans une longue tirade émaillée de propositions.

Les banques nous retirent les financements ? Alors il faut qu’Oseo (ancêtre de la BPI) nous garantisse.

Les assureurs crédit se débinent ? Alors il faut que l’état intervienne pour l’interdire sinon la filière est au tapis.

Nous devons garder nos salariés et les former pendant que nous réactiverons le dispositif de chômage partiel oublié depuis la crise de 1993.

Les constructeurs auront 3 milliards€ de prêt de l’état chacun ? Moi je demande la solidarité et la garantie pour que nous puissions nous financer et je veux que l’on m’aide à conserver mes collaborateurs à l’image de l’industrie allemande.

Lorsque j’ai fini de parler je balaye du regard l’auditoire, beaucoup acquiescent, les syndicats reprendront mes arguments sur le chômage partiel et la formation.

Chacun rédigera 5 propositions qui seront synthétisées et appliquées.

A la fin de la réunion Luc Chatel me remercie pour mon intervention franche, il y a maintenant un consensus pour agir vite et ciblé, la crise sera longue.

Comment préparer mon groupe à passer 5 années de crise ?

Quelques jours plus tard en décembre se tient la seconde réunion.

Entre temps, chaque participant a été debriefé individuellement par les membres du cabinet de Luc Chatel chargés d’élaborer le plan d’action d’urgence.

Je me suis appliqué à reformuler mes propositions en tenant compte des enjeux court, moyen et long terme pour notre filière.

Au matin de la seconde réunion, à peine arrivé, je suis attendu par un jeune conseiller, lunettes et barbe courte qui ont du mal à dissimuler son jeune âge.

Il me demande à quelle niveau de garantie par Oseo je pensais, pour conserver mes financements bancaires ?

Je lui réponds que pour compenser la perte des découverts à blanc que j’avais et que les banques s’apprêtaient à me retirer il me faudrait une garantie de 15 millions€ minimum.

A ma grande stupéfaction c’est ce montant qui sera retenu pour la filière.

J’aurais du dire 20 !

Les grands axes du plan d’urgence sont dévoilés, les 2 constructeurs français bénéficieront d’un prêt de 3 milliards€ chacun, en échange d’engagements de maintien d’emploi et de relocalisation.

Un code de la performance et des bonnes pratiques sera rédigé pour éviter les errements du passé qui ont conduit des acheteurs trop zélés à délocaliser sauvagement.

500 millions seront aussi débloqués pour la filière française du poids lourds qui va durement déguster puisqu’elle s’effondrera de 70% pendant le premier choc de la crise.

Le dispositif couplé chômage partiel-formation sera réactivé pour amortir la chute de l’activité.

Christine Lagarde, ministre des finances mettra en place un dispositif pour que l’assurance du crédit fournisseur soit maintenu par les assureurs.

Un fonds de modernisation des entreprises de l’automobile va être créé, il sera doté de 200 millions€ par chaque constructeur et par l’état soit 600 millions disponibles pour recapitaliser la filière....

Luc Chatel nous annonce que le 20 janvier se tiendront les premiers états généraux de l’industrie automobile et que toutes les mesures y seront annoncées officiellement.

Oui la crise est là, elle va durer plusieurs années nous le savons maintenant, mais je vois pointer un espoir, je dois réorganiser mon groupe en profondeur pour lui faire traverser cette tempête.

Les premières mesures que nous dévoileront le 20 janvier me rassurent un peu.

Je demande à mes Directeurs de ralentir jusqu’à l’arrêt les productions sur tous les sites très tôt en décembre, il faut mettre tout le monde en congés et vider tous les comptes RTT en attendant que les conventions de chômage partiel se mettent en place en janvier.

On ne garde que le minimum d’effectif pour la surveillance des fours.

Nous allons arbitrer le redémarrage de janvier en priorisant les usines les plus rentables. Je fais travailler les équipes sur la répartition optimale des charges.

Mon objectif pour 2009 est de ne pas brûler la trésorerie qu’il me reste. 

Je vais finir l’année avec 32 millions€ de stocks produits vendables, je vais donc décider de déstocker de 22 millions€ d’ici fin août 2009.

Mais avant ça il va falloir que j’explique à tous les salariés comment nous allons faire et quelles seront les conséquences sur l’activité de chaque usine.

Je fais programmer des réunions d’information que j’animerai dès la rentrée de janvier.

Quelques jours avant Noël je reçois un coup de téléphone surprenant, un journaliste de l’émission capital me demande si je suis d’accord pour un reportage qui raconterait comment un industriel du secteur automobile vit la crise...

A suivre dans le second épisode.

PATRICK BELLITY  #industrie #crise #automobile #fonderie

gerard Defarge

directeur de operations de production chez groupe arche

5 ans

Je crois et je le dis sans prétention avoir vécu cette crise a tes cotés sans reelle angoisse , non pas par désinvolture mais simplement avec cette confiance que tu es capable de générer autour de toi, sans jamais nous faire perdre la foi, et c'est en cela que tu es cette homme digne de tous les superlatifs honorifiques

FRANCOISE MPOUAL

Consultante Qualité - Auditeur QUALIOPI

5 ans

Quel récit ! J'ai subi cette crise comme bon nombre de personnes; mais j'étais loin d'imaginer la défertante des premiers instants

Lucie Bernat

Consultante RH / Coach professionnelle certifiée / Formatrice

5 ans

Quelle période... Je ne pourrais jamais oublier mon début de carrière en pleine crise auto... Merci pour vos détails sur votre stratégie de l’époque, toujours intéressants pour nous, anciens salariés...

Stéphane RODRIGUEZ DE LINARES

Group Sales Director chez DELMON GROUP_Executive MBA_ NEOMA Business School

5 ans

Toujours aussi intéressant! Merci

Patrice ROTINAT

Consultant/Auditeur/Formateur en management de la qualité - Auditeur AEA EN 9100 - IRCA ISO 9001 - AQAP 2110

5 ans

Faire prendre les congés et RTT à tout le personnel, çà me rappelle des souvenirs plutôt angoissants à l'époque ! Est-ce que l'état va tenir sa parole ?... A suivre...

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