Ma théorie des bancs vides.
Helha Tournai - Auditoire de la section communication

Ma théorie des bancs vides.

Je suis prof. Enfin, j'essaie. Quelques heures par semaine, en plus de mon activité professionnelle. Je donne cours dans une Haute École de communication. Là où j'étais étudiant il y a moins de 10 ans, J'en ai fait aujourd'hui mon terrain d'expérimentation, je me casse les dents avec quelques blagues qui font des flops, je construis des débats mais j'essaie par-dessus tout de transmettre mes connaissances à des étudiants dont le seul boulot est d'en sortir grandi.

Aujourd'hui, je fais mon bilan en 3 points, rien de tel pour entamer cette troisième année.

Primo : J'ai de la chance. D'avoir un patron tolérant qui me permet de m'absenter deux/trois heures pendant 14 semaines de l'année afin de donner ma matière. Ce n'est pas un cadeau, je bouscule mes horaires, je bouscule les codes. Mais pour un Y comme moi, c'est un bonheur de savoir qu'on peut s'épanouir dans deux jobs et faire coexister deux fonctions radicalement opposées tout en sachant que derrière, il y a des gens qui vous font assez confiance pour vous laisser vivre.

Secundo : Transmettre, c'est apprendre. Je donne beaucoup pendant ces quelques heures. J'ai tendance à croire que tout enseignant qui aime son métier n'a qu'une seule volonté, mener ses étudiants au succès. Et si le chemin de cette montagne est parfois abrupt, le prof, en bon Premier de cordée, doit mouiller son maillot, oser et surtout se mettre à la place de ses étudiants. 

Ma méthode est-elle bonne? Mon cours intéressant? Ai-je été à la hauteur de leurs attentes? Mais Helloooooooo, qui sont ces étudiants endormis?! 

J'apprends à enseigner via des vidéos YouTube, les conseils de certains collègues, ou encore des essais que je fais au fil des ans et qui me reviennent comme un boomerang en plein visage. Mais j'apprends. J'apprends à parler de manière claire, à les écouter, à les comprendre, à dépasser ma timidité. Parce qu'en vrai, j'ai peur des foules et transmettre une idée avec force à 80/100 étudiants, ça demande du dépassement... et parfois de courtes nuits. Plus le temps passe, plus je me rends compte du fait que je ne sais rien en matière de pédagogie et qu'aucune de mes lectures ne m'en apprend plus que 2h dans un auditoire à interagir avec cette bande de post-ados qu'il faut pouvoir enrouler à la cordée.

Tertio : Je pense autrement. N'existe-t-il qu'une seule approche de l'enseignement en grand nombre? Une approche standardisée de cours magistraux où les auditoires se vident au fil des semaines, où la lassitude s'installe avec comme sentiment pour l'étudiant de DEVOIR venir et non de VOULOIR être là? Je ne fustigerai jamais un enseignant qui fait le choix d'enseigner de manière traditionnelle avec un syllabus, un partage de son contenu en demandant l'écoute d'élèves attentifs. Mais je fais le choix de penser qu'un auditoire est un terrain de jeu dans lequel ils sont là pour apprendre et pas uniquement de ma bouche. Des rencontres, des conférences, de l'action, des visites peuvent compléter un programme. Les sondages en ligne ou les jeux de rôles existent et les possibilités sont infinies pour sortir de sa zone de confort et rentrer dans la leur. Pourtant, je ne me considère pas comme totalement disruptif par rapport à ce qui existe en termes de pédagogie. J'essaie juste de répondre à leurs demandes car oui, pas une semaine ne passe sans que 3 étudiants choisis au hasard ne soient collés avec moi 10 minutes à la fin du cours pour qu'ils me partagent leur ressenti.

Je n'aime pas le confort, je n'aime pas les codes, je n'aime pas les "Je-sais-tout". Car je n'en sais que trop peu et cela me plaît de me dire que, comme eux, à chaque début d'année, j'ai tout à apprendre.

Même si ces quelques heures sont une source d'épanouissement considérable, je comprends mon père et mon grand-père lorsqu'ils me soulignaient leur désarroi face à des bancs vides.

Ces étudiants-déserteurs ne voulant plus apprendre, indisciplinés, ne sont malheureusement que le miroir de notre propre volonté. L'abandon des salles de cours est un fléau qui hante nos âmes comme le constat d'un échec cuisant qui se rappelle à nous.

Je ne ferai jamais de l'enseignement mon métier principal, je ne suis pas assez courageux, mais si je peux continuer de remplir les bancs de mes auditoires et nourrir leurs esprits pendant quelques temps encore, j'espère le faire avec la même vigueur que celle qui m'anime aujourd'hui. Car avant de remplir les bancs, je dois moi-même remplir mon coeur avec cette volonté de réussir à les faire réussir.

Enfin, je me devais de vous souligner que le plus grand paradoxe dans cette affaire est que j'enseigne le cours où j'eus mon seul échec lors de mes études dans cette école. À ce moment-là, déjà, je me demandais pourquoi les bancs étaient vides.

Gm

Benjamin Vanherpe

Marketing Coordinator chez Pollet - Cleaning & Hygiene Solutions

7 ans

Un professeur inspirant, même si le système politique belge n'est pas des plus simples !

Courageux le monsieur ......

Kevin Mestdagh

Manager @ Exeko Belgium - Expert Région Wallonne @ Chèques Entreprises : Maturité numérique et Cybersécurité

7 ans

"Par cœur" que l'on nous apprends depuis les primaires n'est pas l'avenir... j'ai moins de problème de bancs vides, mais sûrement car il y a la carotte des "points de présences" instaurée dans l'école. Former la relève de demain, citoyenne et investie... c'est cela que je recherche en premier :)

Kevin Mestdagh

Manager @ Exeko Belgium - Expert Région Wallonne @ Chèques Entreprises : Maturité numérique et Cybersécurité

7 ans

Je suis aussi prof dans une haute école en plus de mon boulot. J'essaie sans cesse de leur faire comprendre que l'école n'est pas le reflet de demain, en entreprise, en association, etc. J'essaie de partager mon vécu et en effet, cela n'est pas facile tous les jours... mais qu'est ce que c'est plaisant de voir certaines pratiques chez des étudiants s'opérer au fil de l'année et comprendre que le

Bravo pour le témoignage Gérald. A sa lecture on perçoit clairement ta motivation à transmettre et l'énergie qui t'habite au quotidien. En même temps, je te propose de créer un point de rencontre en dehors de ta zone de confort et celle de tes étudiants. Un nouveau territoire à parcourir ensemble. Je ne suis pas persuadé qu'il faille chercher à rentrer dans leur zone de confort comme tu l'écris.

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