Mais ou est parti camper l’utopie ?
En guise de réponse au post de Denis Cristol
https://cursus.edu/articles/43826/lutopie-pedagogique-a-change-de-camp#.X4lptnpCIoQ.linkedin
Au fond, la question est de savoir ce qu’est une utopie
Il me semble paradoxale de dire que « libres enfants de summerhill » est une utopie puisque précisément cette expérience a eu lieu à summerhill et donc quelque part de bien précis et pas « nulle part ». La question n’est pas de savoir si summerhill est une utopie mais si le discours sur ce qui s’y passait était ou non un déni de réalité.
Certes c’était une expérience extra-ordinaire dans le sens premier de « non-ordinaire », qui n’est pas banal. Par contre, le discours merveilleux qu’en avait S. Neill, ressortait plus de la poétique et de l’expression de son enthousiasme ( voire d’une démarche commerciale) que d’une démarche scientifique, comme R.Steiner et la théosophie ou Montessori.
Que ce soit extra-ordinaire c’est évident ! Maintenant la question est de savoir si le discours sur cette réalité extra-ordinaire était réaliste ou pas.
En fait l’utopie dans le sens étymologique du terme est à distinguer du déni de réalité.
Par exemple : 1984 n’était pas une utopie dans la mesure ou c’était une transposition d’une perception de la réalité, une lecture à distance de la société totalitaire soviétique. Mais au fond n’était-ce pas aussi une lecture distanciée de la société américaine ?. On peut penser qu’à certains égards le rideau de fer était plus proche du miroir dans ce que les commentateurs occidentaux y voyaient.
Et aujourd’hui, de quoi parle la presse américaine quand elle parle de l’Iran religieux ou de la corée sur-armée et dirigée par un enfant un peu demeuré, capricieux et dangereux ?
Au fond on peut faire l’hypothèse que l’Utopie est impossible car on ne peut parler seulement que de ce qu’on pressent exister déjà. si on le conçoit c’est que c’est déjà quelque part : la réalité dépasse toujours la fiction, même si on ne le voit pas encore. On peut pour s’en persuader, relire les ouvrages de sciences fiction du siècle dernier pour voir à quel point c’était un discours sur ce qui se passait à cette époque mais qui n’était pas forcément conscientisable quand on baignait dedans, sans la distance que permet l’évasion utopiale.
L’entreprise apprenante dans les années 1990 avec Yves St Arnaud, n’était pas une utopie dans la mesure où, même si on ne peut pas identifier facilement des lieux de sa matérialisation concrète, la démarche était latente et n’attendait qu’un poète, un rêveur, un metteur en mot pour la découvrir comme une photo se révèle dans le produit révélateur.
Je fais l’hypothèse que notre capacité à imaginer quelque chose qui n’existe pas est très réduite voire nulle. Et qu’on est davantage capable de révéler ce qui s’invente dans l’intuition de l’action. Ce qui s’invente et qui n’attend que le poète qui nomme pour être découvert dans le sens premier de « enlever le couvercle ». On a souvent besoin de la distance décontextualisante pour faire apparaitre le réel, d’où l’illusion de l’utopie « nulle part ». C’est sans doute pour cela que toujours se nomme dans un ailleurs imaginaire, l’extra-ordinaire des contes dans le sens premier de « non-ordinaire ».
Mais toutes les utopies deviennent des dystopies dès qu’on désir trop fort qu’elles deviennent réalité comme on les a imaginés. Il n’y a qu’à voir comment une théorie scientifique comme le marxisme, géniteur de la sociologie et des sciences humaines, a pu se muer en un modèle totalitaire en devenant le communisme. Tous les modèles poétiques spirituels se muent en totalitarisme dès qu’on veut les rendre réel.
Au fond la distinction à faire n’est pas utopie versus dystopie comme l’opposition bonne chose/mauvaise chose. Mais :
- D’une part utopie comme « discours distancié sur la réalité, pressentiment du réel » : irréaliste par essence.
- d’autre part dystopie : « tentative de rendre réel un désir d’idéal » : dangereux par essence.