Making-Of
Petit (petit ?...) making-of personnel, au sujet du livre « La France qui gronde », cosigné avec Antoine Dreyfus, (aux éditions Flammarion) en parlant de ma propre expérience.
Se lancer dans une aventure comme celle-là, ça veut dire sauter tout habillé dans une piscine. S’y plonger intégralement, en laissant pour quelques mois derrière toi la famille, les articles en cours, tes préjugés aussi. Et partir.
Les rencontres, elles se sont faites un peu au hasard. Avec des gens qui ont aimés des trucs que tu as mis sur les réseaux sociaux, que tu ne connais pas, qui te contactent en message privé sur Facebook, qui t’engueulent même parfois, avec lesquels tu échanges un numéro de portable.
Après c’est une voix, un feeling, des hésitations au bout du fil, et un train ou un car, qui débouche sur une rencontre qui va en amener d’autres. C’est aussi des amis que tu n’as pas vus depuis longtemps, qui sont allés faire leur vie ailleurs, et puis que tu retrouves et chez lesquels tu vas passer quelques jours. Et puis des personnes que, par le passé, dans un cadre professionnel, tu as été amené à contacter
Au final ça donne des émotions fortes, des discussions à bâtons rompus durant des heures, un matin autour d’un café, dans la rue, autour d’un verre (parfois deux, trois et une bouteille qui y passe) le soir dans une cuisine ou un salon, un bar une nuit. Pleins de moments de bonheurs, de joies, des anecdotes, des scènes du quotidien, des peines aussi, des phases de découragement où tu te retrouves dans une gare avec ton sac à dos, tes jeans élimés, tes pompes de marche, fatigué, déprimé, et que tu te demandes ce que tu fous là.
Parce que partir dans ce genre d’aventure c’est dépasser ton métier, ta fonction de journaliste, pour te mettre aussi l’âme à nu, parce que c’est ce que font les gens que tu rencontres en face de toi quand la confiance vient, qui se transforme d’ailleurs parfois en amitié. Il faut savoir ressentir ce que vit ton interlocuteur, quitte parfois à se sentir perdu, impuissant face à une situation difficile, partager les bonheurs, les détresses aussi, et savoir reprendre ta vie derrière. Et ne pas juger.
Un exercice nécessaire pour être capable de raconter vraiment. Et surtout prendre le temps. J’ai passé plus de 20 ans de ma vie professionnelle à travailler dans une grande agence de presse 24/24 et 7j/7 où une actualité chasse l’autre et où tu n’as pas le temps de prendre du recul. Ecrire un livre avec un éditeur derrière soi est un véritable bonheur en raison du temps qui permet l’écoute, le respect. Et aussi d’avoir une idée de ce que tu veux faire, sans débarquer dans la vie des autres avec une grille de questions bien formatées. Là, tu laisses filer. C’est un échange, une belle soirée, des moments sur la longueur où tu t’ouvres toi aussi. Ca étonne d’ailleurs. Parce que celles et ceux que tu rencontres s’attendent parfois à quelque chose de très cadré, où tu prends des notes, où l’enregistreur tourne. Alors que là, tu te poses, tu discutes aussi sans rien noter. Parce que ce n’est pas le moment, ou parce que les deux parties ont d’abord envie qu’on passe un moment sympa à parler de tout et de rien.
Le temps est une richesse, un outil capital pour écouter l’autre. Et être capable de faire vivre ce que tu vois.
Et puis, il faut arrêter ce leitmotiv consistant à dire « je suis allé me mettre au niveau des gens ». Ca veut rien dire, ou plutôt si. C’est d’une condescendance insupportable. Parce que ça voudrait dire quoi ? Que sous prétexte que tu es « journaliste » tu es « au-dessus » des « gens » ? Les « gens » (je hais ce terme), on en fait tous partie. Je ne me suis pas mis « au niveau des gens », j’y suis déjà. Je suis comme toi, moi, vous, les autres. Les différences elles sont juste professionnelles, des contextes, des cultures, des milieux autres, des parcours professionnels mais dans mon esprit pas des « niveaux ». Juste des univers à croiser et à mettre en commun. Mon métier, mon expérience professionnelle, me permet juste de « raconter » les autres et leurs univers. Mon boulot c’est de le faire au mieux. Je le fais avec des mots, d’autres le font aussi très bien en photo ou en vidéo. Mais aucun journaliste n’est sur un quelconque piédestal.
Et puis l’écriture. Une souffrance. Des moments où tu butes. Des moments où tu culpabilises en te disant « est-ce que c’est vraiment ça ? Est-ce que je ne vais pas trahir sa pensée ? ». Et puis ces phases où tu es super content de toi et le lendemain tu relis en te disant « je fais de la merde ». Et puis quand tu rends ton manuscrit ce truc bizarre où tu détestes ton livre, tu te dis que ce que tu as fait est nul, tu ne veux plus en entendre parler, ça te sort par les yeux. Tu as passé des semaines à écrire puis à relire 500.000 signes…
Le bonheur, c’est quand le livre est sorti, que tu l’as envoyé aux principaux protagonistes, et que tu reçois ce genre de SMS, un samedi soir à une heure de matin, venu de la campagne quelque part à proximité de l’Atlantique « Je ne savais pas que tu arriverais à faire quelque chose de la discussion décousue et très agréable que nous avons eu ce soir-là. Merci. Ce livre est plein d’humanité ». Ou l’homme de 80 ans, qui te laisse un message sur ton portable « reviens quand tu veux boire un verre ».
Aujourd’hui, je suis resté en contact avec quasiment toutes les personnes que, de mon côté, j’ai rencontré au cours de ce voyage. Des instits, des profs, des musiciens, des commerçants, des employés municipaux, un ancien de la marine nationale devenu agent de sécurité et aujourd’hui à la retraite, des médecins libéraux et hospitaliers, des policiers… Un commissaire de police incroyable d’humanité, un personnage bien réel mais qui pourrait sortir d’un film de Olivier Marchal ou d’un livre de Michael Connely, qui t’aborde en t’engueulant alors que tu prends un café avec un de ses hommes -la confiance n’est pas forcément évidente au départ entre un journaliste et un « flic », d’autant m’a dit une personne qui les connait bien pour avoir longtemps travaillé avec eux que « leur confiance a été souvent trahie »- et qui finit par te faire faire le tour de la ville dans sa voiture, ton sac à dos posé sur la banquette arrière, avec, juste au dessus de tes yeux, la plaque « police » sur le pare-soleil collé au pare-brise, avant de t’inviter à déjeuner. Une préfète, finalement rencontrée deux fois, des flics de la sécurité publique qui ont l’impression de vider la mer à la petite cuillère et qui t’ouvrent leur cœur. Des maires, de droite, de gauche, un postier syndicaliste, un photographe, une artiste transexuelle dans une fête, présentée par un copain, avec laquelle tu bois des verres de blanc assis autour d’une table en bois, et à laquelle tu poses quelques questions sur sa vie mais qui finit en fait par te faire parler de toi sans arrêt, une vraie psychanalyse sauvage… Une petite bande de trentenaires un peu punks, un peu en galère, qui te propose de venir manger des magrets de canards rissolés autour d’une bouteille de rouge, à la fermeture du bistrot à une heure du matin… Un prêtre aussi….
Et avec toujours, ce souci de dépasser la fonction, de gratter le vernis derrière la posture et la profession pour trouver l’humain…
Et franchement ça rend accroc. Le contact avec les autres, raconter la vie tout simplement, les univers différents, c’est un drogue. Un truc qui te met en joie, parfois t’empêche de dormir la nuit. Sept mois comme ça. L’entourage morfle. Et le retour est compliqué. En fait tu déprimes. Tu sens que la vie quotidienne s’est organisée sans toi, tu ne te sens pas à ta place, et en plus les petits trucs du quotidien, matériels, les petits tracas, t’emmerdent profondément. Physiquement tu es là mais en toi tu n’es toujours pas revenu. Et tu te rends compte que le moral remonte quand tu traines dans une grande gare parisienne en regardant le tableau des départs, et que tu finis par remonter dans un train. Je suis devenu accroc aux trains low-cost OuiGo, avec cette gare de Marne-la-Vallée qui te fait penser à un aéroport…
Alors, je suis actuellement dans un deuxième livre à base d’humanité, sur un secteur bien spécifique, ouvrage prévu pour la fin de l’année.
Merci à toutes celles et ceux qui m’ont accordés leur confiance, continuent à le faire, et à toutes celles et ceux que je ne connais pas encore qui le feront.
Et pensez parfois à éteindre la télé et les réseaux sociaux, pour vivre. Et lire.