Manager à distance en situation de télétravail
A l'heure d'un deuxième confinement, le télétravail s'impose de nouveau au domicile des salariés. En rompant avec une unité de temps et de lieu, le télétravail bouleverse l’organisation du travail et l’exercice traditionnel du management.
« En leur donnant des trucs précis à faire et s'ils ont fini avant l'heure, on s'en fout non ? » Stéphanie Laporte, chef d’entreprise.
Les mutations du travail
Introduit en 2012 dans le code du travail, le télétravail n’a pas connu un franc succès … avant l’impact du coronavirus. La crise de la COVID-19 a donné un brusque coup d’accélérateur à la mise en place du travail à distance.
Nos sociétés avancent au gré de vagues successives d’évolution d’usages et d’innovations technologiques. Dans ce cadre, l'évolution du travail sera la prochaine grande mutation de notre société. Le développement du télétravail est indissociable du contexte de changement qui caractérise le monde du travail. Ces mutations s'appellent individualisation des salariés, développement des compétences et explosion des technologies de l’information…
En réalité, le télétravail apporte une forme d’organisation flexible. Il entraîne une réorganisation des processus de travail, des pratiques et de l’autorité managériale.
Le travail à distance
Un accord-cadre, signé par les partenaires sociaux européens en 2002, en donne une définition générique : c’est une «forme de travail utilisant les technologies de l’information, qui est effectuée hors des locaux de l’entreprise». Derrière la dénomination « télétravail » se cache en fait des pratiques diverses. Le travail à distance se pratique à domicile, en bureaux partagés, en espaces de Coworking, en bureaux satellites ou dans d’autres tiers lieux.
Le télétravail donne aux salariés plus d’autonomie pour organiser et exécuter leurs missions. Il interpelle le manager sur la gestion de la distance physique mais aussi psychologique du travailleur.
Le télétravail provoque des ruptures
Pour nombre de salariés, le travail s’est structuré autour de la notion d’espace et de temps « au bureau ». La multi-localisation croissante de celui-ci introduit donc un changement important dans la manière de vivre l’espace et le temps. En fait, il imbrique l’espace-temps privé et l’espace-temps professionnel.
Le télétravail modifie les fondements de l’exercice traditionnel du contrôle managérial. Traditionnellement les formes de contrôle s’articulent autour de la règle «des trois unités» : de lieu, de temps et d’action. Le télétravail remet en cause cette règle sur laquelle repose la plupart des dispositifs classiques de contrôle.
Quelle que soit la manière dont il se pratique, le télétravail modifie la nature des relations professionnelles. Il impacte le principe d’autorité, l’esprit d’équipe et les relations entre collègues.
Les principaux freins à la mise en place du télétravail pour les entreprises
Du point de vue de l’employeur, le principal frein a longtemps été lié à la confiance. La perte de visibilité sur l’activité des salariés peut créer un climat de suspicion. « Le vrai problème venait surtout du manque de confiance envers les salariés. C’est ce management à l’ancienne, où l’on veut pouvoir tout contrôler, et qui a conduit au présentéisme », analyse Patricia Wendling, auteur. En fait, il s’agit d’abandonner la surveillance du travail pour développer une culture du contrôle à postériori. C’est la principale difficulté pour organiser le travail des équipes à distance comme le reconnaissent 56% des cadres (Malakoff Médéric 2019). En effet, certains managers s’inquiètent que leurs collaborateurs ne profitent de leur éloignement pour moins travailler.
Le télétravail présente également des difficultés dans le domaine de la supervision et de l’aide en face à face. La perte du lien physique avec le salarié peut entraîner une mauvaise appréciation de son moral et de ses difficultés.
Enfin le bureau reste un espace où tout le monde se croise, se parle et s’entraide. Il reste important pour développer une culture d’entreprise et un sentiment d’appartenance. L’unité de lieu favorise la cohésion entre les salariés.
Les difficultés ressenties par les salariés en télétravail
En premier lieu, de nombreux télétravailleurs font état d’un sentiment d’isolement social et professionnel. Le télétravail implique, en effet, une distance géographique et psychologique qui éloigne l’individu de son cadre de travail habituel. Cet isolement peut se traduire par une perte de lien avec le groupe et avec les collègues.
Ensuite, les salariés ne se sentent pas tous en capacité de travailler à domicile. Certains peuvent craindre d’être insuffisamment encadré et de devenir moins productif. D’autres connaissent des difficultés matérielles ou d’organisation. Celles-ci ont trait à la connexion, à l’utilisation de l’écran domestique unique ou à la délicate conciliation entre espaces de travail et de vie. Elles concernent aussi l’organisation du travail. En effet le travail à distance demande de la rigueur dans la gestion de son temps. Le télétravail remet aussi en question la séparation entre vie professionnelle et vie privée. C’est une intrusion de l’entreprise dans son intimité.
L’inquiétude pointe aussi une inflation du temps de travail, comme le confirment les dernières études sur le sujet. Il s’agit donc de bien cadrer les horaires dédiés au travail.
Adaptation du management au travail à distance
Le management des équipes à distance demande encore plus d’accompagnement, d’écoute et de confiance que le travail en présentiel. Cela demande de la préparation et de la formation. En premier lieu, les managers doivent s’assurer de l’aptitude du salarié à l’autonomie. Il est aussi nécessaire de suivre la durée et la charge de travail. C’est pour cette raison qu’une charte doit détailler l’organisation du travail à distance et les modalités de son contrôle. Il revient aussi au manager de ne pas déborder lui-même sur les horaires définis !
En fait, le manager de proximité accompagne ses salariés en mettant en place une relation de confiance, un management par objectif et une évaluation de la performance. Car la confiance est essentielle dans l’accès du salarié à l’autonomie. Si le manager ne lui fait pas confiance, le travailleur n’accèdera jamais à l’autonomie. Avec le travail à distance, le manager ne demande plus combien de temps on travaille mais fixe les objectifs à atteindre.
Cette nouvelle organisation comporte aussi la mise en place d’outils adaptés et dédiés, tels que l’ordinateur, le téléphone et les logiciels. Le manager définit la fréquence et les modalités d’échanges avec le salarié. Ainsi, il détermine les tâches qui peuvent être réalisée à distance et celles qui nécessitent un travail en équipe. Il est opportun de susciter des occasions d’interactions sociales à distance pour maintenir une cohésion de l’équipe.
En réalité la distance génère de nouveaux défis pour les managers : développer une véritable culture du feedback, entretenir la dynamique collective autour du sentiment d’appartenance, déceler les signaux faibles de lassitude ou de surchauffe et piloter la performance.
Un choix gagnant – gagnant sous certaines conditions
Le télétravail est le fruit d’un choix contractuel. Il nécessite un ensemble d’outils, de compétences, de postures et le respect de règles claires. Une fois ces règles posées et ces compétences acquises, le télétravailleur peut optimiser les conditions de l’exécution de son travail.
En réalité, le travail à distance présente des avantages pour le salarié comme pour l’entreprise. Dirigeants et salariés s’accordent pour dire que le télétravail diminue le stress, améliore la qualité de vie et permet de gagner en efficacité.
- Les gains des salariés
En France, 70 % des salariés plébiscitent le télétravail : moins de stress et de fatigue, de temps de transport, de frais, plus de responsabilisation… Les salariés gagnent en autonomie car le travail à distance confère une liberté spatiale et temporelle. Ainsi, les travailleurs à distance peuvent devenir les acteurs de leur vie professionnelle. Face aux difficultés posées par le travail à domicile, certains télétravailleurs décident de s’installer en espace de travail partagé. Ces tiers lieux permettent de lutter contre l’isolement, de maintenir un lien social et de recréer des contacts professionnels.
- L’intérêt des entreprises
Au niveau des entreprises le travail à distance permet des économies, en particulier en termes de surface immobilière et de dépenses de fonctionnement. En effet, 42 % des bureaux sont sous-occupées dans les entreprises et dans les collectivités. La flexibilité donnée aux salariés leur permet de mieux concilier leurs activités professionnelles et personnelles. Ils sont donc moins enclins à quitter l’entreprise. Le télétravail devient un atout pour recruter et fidéliser ses salariés. Les organisations innovantes acceptent la distance et le fait que chacun peut être efficace et rester attaché aux valeurs communes loin « du bureau ».
- Les bienfaits pour l’environnement
Les citadins ont pu observer pendant le confinement l’amélioration de la qualité de l’air. La limitation des transports a réduit les émissions de gaz à effet de serre et la pollution de façon non négligeable. Les cartes, publiées par l'Agence spatiale européenne le 16 avril 2020, montrent une baisse de 54 % du dioxyde d’azote à Paris. L'Institut de physique du globe de Paris révèle dans la revue Nature que les mesures de confinement ont entraîné une réduction de 50 à 80% du bruit sismique dans le monde !
Conseils du coach
Le travail à distance challenge la pratique managériale et la responsabilité du télétravailleur.
- Le travail à distance se coconstruit dans la durée à partir des retours d’expérience. Il nécessite un équilibre à définir entre présentiel et télétravail. En effet le virtuel ne peut pas se substituer à la réalité. L’émulation, l’implication, le charisme traversent difficilement l’écran. D'autre part le présentiel est important pour de nombreux salariés.
- L’organisation du travail nécessite une anticipation du manager à travers une feuille de route claire et contractuelle. Le maintien d’une synergie collective, des échanges fructueux et un suivi efficace de la performance nécessite de refonder les pratiques managériales : une culture du feedback enrichissante, une grande disponibilité des managers, le développement des compétences des équipes.
- Tant pour son moral que pour l’efficacité de son activité, le travailleur à distance doit s’astreindre à une hygiène de vie et à une autodiscipline. Il est opportun de créer des rituels dans l’organisation de sa journée. Ces routines concernent la préparation quotidienne, la tenue des horaires, la création d’un environnement favorable et le maintien des liens avec ses collègues. Enfin il lui faut apprendre à faire de vraies pauses : de l’activité physique, de la méditation, une pause musicale, une déconnection.
- Grâce aux nouveaux usages le salarié peut élargir le champ des possibles entre le bureau et le domicile. Il existe des ressources disponibles importantes dans les entreprises et dans les collectivités. Trouver un bureau à proximité de chez soi devient possible. Les plateformes digitales de référencement et de partage d'espaces de travail, comme Base 10 par exemple, offrent de belles opportunités.
Entrepreneur et co-fondateur de base10, AOUI - Professeur / Intervenant en Entrepreneuriat, Finance, Etude de cas, Direction mémoire - Co-auteur de "Passez le cap de l'entrepreneuriat"
4 ansMerci et bravo Gerard Dubois pour cet article, le premier confinement nous a montré que le travail à distance était tout à fait possible. Ce second confinement nous enseigne que ce que nous vivons va durer. Si l'intérêt du travail à distance semble évident, la question de la proportion est la variable d'ajustement. Enfin, c'est un consensus rare employeur / salarié. La conjugaison du flexoffice et du travail à distance permet des économies très significatives pour l'entreprise et une amélioration de la QVT pour le salarié.