Manager Sisyphe...
On apprend dans l’Odyssée que pour avoir défié les dieux, notamment Thanatos, Sisyphe fut condamné à faire éternellement rouler jusqu'en haut d'une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet. L’enfer est alors de faire et refaire sans cesse sans parvenir au but fixé.
Homère (VIII siècle av. J.-C.), trouve Sisyphe très astucieux. Aristote, cinq cents ans plus tard, sur les mêmes faits, juge Sisyphe sournois et mystificateur.
L’actualité démontre chaque jour un peu plus la vérité du dicton dû à Cicéron « o tempora, o mores » … autres temps, autres mœurs…
Il est fréquent aujourd’hui de lire des événements passés à la lumière du présent ; il en naît des polémiques incessantes…mais il y a pire… C’est de ne pas connaître le passé et ses enseignements, car les erreurs oubliées du passé se répètent, comme le rocher de Sisyphe redescend chaque soir.
Cicéron, qui n’a pas dit que des sottises, résume cela gentiment : “Ignorer les événements qui se sont passés avant votre naissance, c’est rester toujours enfant.”. Et les enfants souvent font des sottises dues à l’inexpérience et au manque de connaissances.
Au XVIIe siècle, Boileau dans l’art poétique invite les poètes à la persévérance :
« Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. »
Ce qui implique de changer, retravailler les contenus et approches, les mots et les pensées, pour améliorer voire parfaire son œuvre.
Sisyphe, lui, ne change rien. Il pousse son rocher chaque jour vers le sommet qu’il n’atteint jamais. Il n’a pas véritablement conscience du « problème », il fait sa punition. Peut-être espère-t-il chaque jour parvenir à la cime ?
En faisant ce que l’on a toujours fait, on obtient ce que l’on a toujours obtenu. La grande illusion est de croire qu’en ne changeant rien on pourrait avoir un résultat différent.
Les vieilles recettes et croyances du management sont toujours, pour beaucoup enseignées et pratiquées… Le vocabulaire a évolué, des considérations élégantes ont été introduites, la psychologie s’est insinuée dans les pratiques, à travers notamment la recherche d’efficacité en communication et la conscience du paradoxe de l’autorité qui a amené à la sacralisation du « leadership » et la vogue des « soft-skills ». Mais sur le fond, on fait toujours plus de la même chose.
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“Il y a un art de savoir et un art d'enseigner ” distinction apportée par Cicéron, aujourd’hui se dirait « Il y a un art de savoir et un art de manager ».
Nombre de managers ont une vie « misérable »… Ils sont dans l’enfer de Sisyphe, et ont oublié ou méconnaissent ce très vieux principe : “Misérable est la vie de ceux qui aiment mieux être craints qu'être aimés.”
Êtes-vous un manager Sisyphe ?
Quel rocher poussez-vous chaque jour qui dégringole chaque soir? L’absentéisme ? Le recrutement ? Les erreurs/ dysfonctionnements ? Les réclamations clients ? La non-qualité ? Les retards sur objectifs ? Les projets décalés ? Les budgets compromis ? Les récriminations ? Les priorités changeantes ? Les tensions ? Les moyens ? Les réunions improductives ? Les procédures paralysantes ? Les process à consolider ? La mauvaise foi de quelques-uns ? Les changements qui capotent?...
Pire que la sanction imposée à Sisyphe, il n’est pas rare que des managers aient à pousser plus d’un rocher. Alors avec le temps apparaissent l’agacement, la fatigue, le stress, la saturation, la résignation, la démotivation, le désengagement,… ainsi certains rêvent d’une vie meilleure, et parmi eux quelques-uns font le saut, quand on ne les y force pas…
Le plus bel accomplissement pour un manager, un dirigeant, est de n’être pas Sisyphe et de ne pas entrer dans l’enfer ou encore, si jamais il y fût, d’en sortir rapidement.
Les solutions méthodiques et durables, à l’opposé des emplâtres sur les jambes de bois, sont la clé.
Bien cordialement,
Gerard-D Carton