Martyre pour l'émancipation de la femme
Les Chinois emploient des signes pour désigner les mots. Ainsi le signe qui représente le mot "bon" s'obtient par la combinaison des signes correspondant aux mots "femme" et "enfant":
femme + enfant = bon
De même le mot "pain" s'obtient par la juxtaposition des mots "femme" et "toit":
femme + toit = pain
On peut trouver beaucoup d'interprétations pour cette combinaison des signes et quelles que soient ces interprétations, je crois que toutes expriment la même idée, à savoir qu'en tout ce qui est BON une part de mérite revient à la femme, et en tout ce qui, comme le pain, est nécessaire pour la vie, non moins essentiel est le rôle de la femme, à la seule condition, bien entendu, que la femme soit éduquée et que par suite de cette éducation, elle prenne conscience de son rôle dans tout ce qui est bon et dans tout ce qui est nécessaire.
Or, de tous les temps, ce qui était considéré comme tout ce qu'il y a de meilleur et de plus nécessaire c'était la PAIX, cette paix qui reste toujours à réaliser.
Mais quelle est la relation entre la FEMME et la PAIX pourrait-on nous demander?
C'est que précisément, selon les enseignements baha'is, l'une des conditions pour l'établissement de la paix est l'octroi de l'égalité des droits de la femme, afin de lui permettre une participation active dans toutes les branches de l'activité humaine, ce qui lui a été refusé dans le passé, où la femme était privée de la liberté dont jouissaient les hommes.
Heureusement, depuis un peu plus d'un siècle la page de l'histoire a tourné et l'émancipation de la femme a commencé.
Ce soir, je ne vais pas faire un exposé sur l'émancipation de la femme, mais je vais vous lire une page de l'histoire qui parle de la vie de la pionnière-martyre pour cette émancipation, j'entends TAHIRIH, cette femme concernant laquelle l'éminent orientaliste Professeur Brown dit: "L'apparition d'une femme comme elle, dans n'importe quel pays, et à n'importe quelle époque est une rareté et une source d'étonnement pour le monde. Mais son apparition en Iran est un miracle".
Tahirih est née en 1817, dans une famille hautement respectée, dont les membres occupaient une haute position dans la hiérarchie ecclésiastique en Iran. Depuis son enfance, elle fut considérée par ses concitoyens comme un prodige, à la fois par l'intelligence et la beauté.
Elle reçut son instruction à la maison par un professeur que son père avait choisi afin de lui apprendre l'iranien, l'arabe et la théologie. Au cours de ses études, elle manifesta une telle intelligence et une telle capacité que son père regrettait vivement qu'elle ne fut pas un garçon sur lequel il aurait pu compter afin de le remplacer après sa mort. Mais, en tant que femme, cela ne pouvait pas se faire selon les lois islamiques et surtout à son époque.
Un jour en visite chez l'un de ses cousins, Tahirih trouva dans la bibliothèque de son parent les ouvrages du chef de l'école Shaykhie, qui contrairement à l'opinion admise à l'époque, interprétait les questions de la Résurrection des morts, le Retour, l'Ascension dans le sens spirituel, ce qui l'intéressa vivement.
Elle demanda à emprunter cet ouvrage afin de l'étudier chez elle. Comme aux yeux de son père, de telles interprétations étaient hérétiques, le cousin de Tahirih fut terriblement embarrassé par sa demande. Finalement, elle insista tellement que le cousin s'inclina et c'est ainsi qu'après avoir étudié les écrits de l'école Shaykhie, Tahirih devint l'une des ferventes disciples, de cette école. Ensuite, elle essaya de convaincre son père que la Résurrection des morts ne pouvait pas se faire physiquement, ou le Retour du Messie matériellement, et qu'il faut comprendre ces questions dans le sens purement spirituel.
Mais son père ne voulait rien entendre, malgré les arguments irréfutables de sa fille, arguments basés sur les Écrits sacrés de l'Islam. Chacun resta sur ses positions et Tahirih, voyant qu'il n'y avait rien à faire avec son père, cessa d'entrer en discussion avec lui. Mais en échange, elle entra en correspondance avec le successeur du fondateur de l'école Shaykhie. Celui-ci ayant reçu un jour l'un de ses commentaires sur un problème délicat de la théologie islamique fut émerveillé par la profondeur des pensées qui y étaient exprimées.
Elle était, à cette époque, mariée à un autre de ses cousins, et avait déjà trois enfants dont aucun ne partagea ses idées, pas plus d'ailleurs que son mari, homme très fanatique. Ses discussions envenimèrent l'ambiance familiale et finalement lasse de la situation insupportable créée au sein de la famille Tahirih retourna dans la maison de son père où elle pouvait recevoir ceux qui partageaient ses idées et approfondir ses connaissances.
Peu de temps après, comme son cousin et son frère voulaient partir en pèlerinage à Karbilà (lieu saint de l'Islam shiah) elle les accompagna surtout dans l'espoir de rencontrer le successeur du fondateur du Shaykhisme.
Mais celui-ci mourut avant qu'elle n'arrive à destination. Elle s'est jointe alors aux disciples du défunt, qui suivant ses instructions devaient se disperser dans la recherche du Promis, après une période de prières et de méditation.
Cependant, étant donné sa grande érudition, Tahirih pendant cette période, instruisait les disciples du Maître disparu. Et pour le faire en tant que femme, elle devait rester derrière un rideau, afin de ne pas être vue de ses élèves.
Une nuit, elle eut un songe. Un Siyyid (descendant du Prophète Muhammad) lui apparut en rêve et récita des paroles que Tahirih apprit par coeur. Entre-temps, le Bab (Prédécesseur de la Foi baha'ie) déclara sa Mission à Shiraz. La nouvelle, ainsi que son premier livre arrivent à Karbila. Ayant retrouvé dans ce livre les paroles qu'elle avait entendues en rêve, Tahirih comprend le sens de ce que lui avait été révélé en songe et reconnaît la mission du Bab.
Comme son beau-frère allait partir à Shiraz pour se présenter au Bab, Tahirih en profita pour lui demander de remettre, en mains propres, au Bab, une lettre scellée, où elle déclara sa foi.
Le Bab reçoit cette lettre et Il nomma Tahirih comme l'un de ses dix-huit apôtres.
Tahirih se donna alors coeur et âme à la propagation du Nouveau Message, qui parmi bien des principes, proclamait l'émancipation de la femme.
Concernant ses activités à Karbila, Shoghi Effendi (Successeur d`Abdu'l-Baha) écrit dans son ouvrage "Dieu passe près de nous":
"C'est elle qui, à Karbilà, principale citadelle de l'Islam shiah, avait été amenée à adresser de longues épîtres à chacun des 'ulamas résidant dans cette ville; ces 'ulamas reléguaient les femmes à un rang à peine supérieur à celui des animaux et leur déniaient même la possession d'une âme. Dans ses épîtres, elle défendait habilement son grand idéal et mettait à jour les desseins malveillants de ces 'ulamas".
Alarmés, les 'ulamas de Karbila portèrent plainte auprès des autorités civiles, lesquelles, par erreur, arrêtèrent une des amies de notre héroïne, en attendant des instructions de Bagdad. Immédiatement, Tahirih en personne se présenta aux autorités pour leur signaler leur erreur et faire libérer son amie. Elle réussit dans sa démarche, mais en échange elle fut condamnée à la résidence surveillée de façon à ce que personne ne puisse la fréquenter.
Comme la réponse de Bagdad ne venait toujours pas, elle partit elle-même à Bagdad où avec non moins d'enthousiasme elle se mit à propager la foi qu'elle avait embrassée.
Par son éloquence prodigieuse et par la force étonnante de ses arguments, elle confondait les représentants délégués par les notables shiah, sunnis, chrétiens et juifs de Bagdad qui s'étaient efforcés de la dissuader de diffuser le nouveau Message.
De ce fait, on ne la laissa plus libre et le gouvernement fut obligé de la renvoyer en résidence surveillée à la maison du Gouverneur de Bagdad (le Grand Muhtf). Là aussi, elle ne resta pas inactive et parvint à susciter l'intérêt du Gouverneur.
Finalement, sur un ordre d'Istanboul, elle dut, accompagnée de quelques amis, quitter Bagdad pour rentrer en Iran.
En route, ils s'arrêteront à Kirmanshah.
Une nuit, suite aux intrigues du clergé, la maison où elle habitait fut attaquée, on la dépouilla de tous ses biens et on l'obligea ensuite à quitter la ville à dos d'âne. Et à peine sortie des limites de la ville, on la fit descendre de sa monture, l'abandonnant démunie de tout.
Elle porta plainte au Gouverneur, lequel lui fit restituer ses biens, mais elle dut quitter la ville pour rentrer dans sa ville natale Ghazvin, où elle s'installa chez son père.
En réponse à son mari qui lui demandait de retourner chez lui, elle lui fit savoir que, s'il était réellement sincère et juste, il ne l'aurait pas laissée seule à Karbila. qu'il l'aurait accompagnée et protégée durant son voyage de retour et qu'étant donné qu'il ne voulait rien savoir du nouveau Message, qu'elle désirait lui expliquer et que depuis trois ans, ils étaient pratiquement séparés, il valait mieux que cette séparation soit définitive.
Furieux, son mari, ainsi que son beau-père la déclarèrent hérétique et se mirent par tous les moyens à la persécuter.
Ce qui aggrava la situation, c'est qu'entre-temps son beau-père fut assassiné, événement qui servit de prétexte pour accuser Tahirih de participation au meurtre. Elle fut donc arrêtée. Peu de temps après, le meurtrier s'était rendu, mais Tahirih restait toujours en prison. Et ce n'est que suite à l'intervention de Baha'u'llah, que miraculeusement elle fut libérée et amenée à Téhéran, où elle reçut de Sa part la mission d'aller enseigner la Foi dans la province de Khurasan.
Mais le rôle le plus important joué par elle vers cette époque fut sa participation à la Conférence de Badasht où il fallait faire connaître aux croyants que la Révélation Babie était une Révélation indépendante avec de nouvelles lois, dont l'une insistait précisément sur l'émancipation de la femme.
C'est à cette réunion que Tahirih parut sans voile, fait normal pour les Occidentaux, mais à l'époque et dans un pays comme l'Iran, acte constituant un pur sacrilège. Les participants à la conférence furent consternés, certains s'enfuirent et renièrent leur foi, l'un d'entre eux s'ouvrit même la gorge. Mais Tahirih restait calme et avec dignité citait cette parole du Qur'an: "je suis la Parole qui ferait prendre la fuite aux chefs et aux nobles de la terre", voulant dire ainsi combien grande est l'épreuve du jour Promis avec ses nouvelles lois.
Après cette conférence, les croyants prirent conscience de l'importance du nouveau Message et avec un nouvel esprit se mirent à propager la Foi, chacun dans une région de l'Iran.
Quant à Tahirih elle retourna à Téhéran, où peu de temps après eut lieu un attentat à la vie du Shah. La communauté Babie fut injustement accusée et impitoyablement persécutée: l'arrestation de Tahirih fut donc imminente et elle fut emprisonnée dans la maison du chef de la police de Téhéran. Elle était enfermée dans une chambre très haute où l'on ne pouvait accéder que par une échelle.
Mais même dans sa cellule elle ne restait pas silencieuse. A la moindre occasion, elle adressait la parole à ceux qui se trouvaient sous sa fenêtre. Un jour, on célébrait le mariage du fils du chef de la police. Bien entendu, c'étaient les dames des personnalités de la capitale qui y étaient conviées. Il y avait beaucoup de moyens de distraction, mais les invités préférèrent aller écouter Tahirih qui en parlant du Message du Bab ne put s'empêcher d'insister sur l'émancipation de la femme comme l'un des enseignements du Bab.
L'éloquence et le courage de Tahirih devinrent proverbiaux au point qu'un jour le shah lui envoya un message disant que si elle reniait sa foi, il lui donnerait une place de choix à la cour.
Tahirih en réponse, composa un poème, disant:
Toute la royauté, toute la richesse pour toi,
Toute la pauvreté et toutes les privations pour moi,
Si la première est bonne que ce soit pour toi,
Et si l'autre est mauvaise, laisse-la pour moi.
Le Shah ne put cacher son émerveillement devant le courage et le détachement de Tahirih. Mais étant donné son échec dans sa tentative de la convaincre de renier sa foi, il la condamna à mort.
Tahirih non seulement savait que son exécution était imminente mais elle en prédit même la date et se prépara pour le jour de son martyr.
En effet, le matin de ce jour-là, elle avait pris un bain, se parfumant ensuite à l'eau de rose, elle s'habilla en blanc comme une mariée. Puis ayant fait ses adieux à toutes les personnes qui étaient chargées de sa surveillance, leur demanda de lui pardonner la peine qu'elle leur avait donnée, enfin, elle envoya chercher l'épouse du chef de la police, l'informa du secret de son martyr imminent et lui confia ses derniers voeux.
S'enfermant ensuite dans sa chambre, elle se mit à prier jusqu'à l'arrivée des soldats envoyés en pleine nuit pour la conduire dans un jardin en dehors de la ville et la tuer. L'homme qui était chargé de l'exécution refusa d'exécuter sa mission. Finalement, un esclave noir, en état d'ivresse, accepta de l'étrangler. Et elle fut étranglée avec le même mouchoir de soie qu'elle avait conservé dans ce but et qu'elle avait remis au fils du chef de la police, chargé de l'accompagner jusqu'au lieu de son martyr.
On jeta son corps dans un puits qu'on remplit ensuite de terre et de pierres, ainsi qu'elle l'avait elle même souhaité.
Ainsi se termina à l'âge de trente ans, la vie de Tahirih dont les dernières paroles furent: "Vous pouvez me tuer quand vous voulez, mais vous ne pouvez pas empêcher l'émancipation de la femme".
Shoghi Ghadimi