Matinale Fondation Korian "Je suis vieux, et alors ?"​ - Un regard sur l'interculturalité en EHPAD (en 3 minutes)

Matinale Fondation Korian "Je suis vieux, et alors ?" - Un regard sur l'interculturalité en EHPAD (en 3 minutes)


Richard MICHEL : A dessein, je vais caricaturer le propos. Entre une personne âgée, issu d’un milieu bourgeois, qui intègre, demain matin, une maison de retraite et une soignante débutante d’origine extra-européenne y a-t-il des risques d’incompréhension culturelle, de malentendus ? Liés à des modèles familiaux différents, à des arts de vivre différents, à des systèmes de croyance différents, à des valeurs spirituelles différentes, à un rapport à la maladie, à la douleur ou à la mort différent ? Et si oui, comment concilier respect de la diversité, égale dignité de tous et prise en soin ?

Ariane NGUYEN : Nos modes de vie occidentaux actuels ne nous permettent pas d’accueillir nos parents très dépendants à notre domicile de manière toujours sereine. Alors, dans les années 1990, nous avons créé les EHPAD.

Des lieux que j’aime vulgairement appeler des lieux artificiels où des gens qui n’étaient pas amenés à se rencontrer « dans leur environnement habituel » se rencontrent. Alors forcément oui, l’EHPAD, ce lieu de vie, accueille des gens de tous horizons, de cultures ethnique, religieuse, professionnelle, sociale, très différentes ! Tout cela peut compliquer l’accompagnement dans les actes de la vie quotidienne.

Le piège de l’universalisme consisterait à accompagner tous les individus de la même manière alors qu’ils ont des besoins différents. Dans ce cas, oui, un seul et même protocole d’hygiène des mains s’entend et se comprend très bien, peu importe l’histoire qui nous a conduit à nous rencontrer.

Mais prenons l’exemple de la prise en charge de la douleur. La conception de la douleur est très culture-dépendante ; elle dépend aussi du genre, de la personnalité, de la maladie, de l’histoire de l’individu... Une même blessure ne se sera ressentie de la même manière d’un individu à l’autre. Son évaluation et sa prise en soin seront donc soumises à une expertise fine et coûteuse si le soignant cherche à être le plus efficace pour apaiser son patient.

Mais parlons aussi de la mort et des rituels qui y sont associés et qui vont être vécus différemment en fonction de la culture, de la religion et des angoisses du patient ou du résident.

Bref, on pourrait parler pendant des heures de tous ces thèmes en lien avec le soin et l’accompagnement qui nous différencient et qui peuvent tendre à des tensions observables dans notre clinique.

Une résidente de 91 ans, d’un milieu social favorisé, me confiait sa difficulté à entrer dans l’alliance avec une soignante. Je lui ai alors demandé ce qui lui permettrait de mieux communiquer avec cette personne ?

Elle a marqué un temps puis m’a répondu… l’Amour.

Au-delà de cette réponse touchante qui témoigne du fort besoin d’attachement de nos aînés dépendants, on peut déjà lister les outils de manière non exhaustive que nous avons déjà pour permettre aux différents acteurs de l’EHPAD de se rencontrer et qu’il nous faut encore parfaire :

-      Le projet personnalisé qui permet d’offrir un accompagnement qui ont pour point d’honneur de respecter les capacités préservées, les habitudes et les intérêts du résident.

-      S’approprier les recommandations « bonnes pratiques » de l’HAS[1] tout en sachant les personnaliser et les adapter à la demande du résident d’une part et aux obligations des équipes d’autre part.

-      Réaliser des activités ludiques soignants/soignés pour se voir au-delà de la dépendance et de la différence. Le vecteur de la transmission est alors fondamental.

-      Cela nécessite que les professionnels (aides-soignants, paramédicaux mais aussi médicaux) soient sensibilisés dans leurs formations initiale et continue à :

o   L’importance de ne pas figer les pratiques, de rester en mouvement, d’avoir et de défendre des espaces de paroles pour penser celui qu’on accueille et sa différence, et ce pour se rendre totalement disponible à lui (groupes de parole, commissions d’éthique ou autres groupes de réflexion).

o   L’importance de ne pas imposer leur système de croyance personnelle à l’individu qu’ils soignent, entendre et rencontrer l’Autre là où il se trouve, là où il est en est de son parcours de soin et de son histoire. Et je suis certaine que l’étude de l’interculturalité et de l’ethnopsychiatrie peuvent nous aider à trouver des solutions à de nombreux malentendus.

o   L’importance de sortir de la pensée unique : il n’y a pas qu’une seule façon de faire, pas une seule façon de prendre soin.


Tout ceci est un équilibre subtil à trouver et qu’on voit émerger dans de nombreux champs du soin mais qui doit s’inscrire encore plus profondément dans notre culture et ce par des remises en question permanente des pratiques professionnelles au regard des découvertes scientifiques en sciences humaines et sociales notamment.


Quelques références bibliographiques :


AINSWORTH M. D. S., L’attachement mère-enfant, Enfance, 1983 n°1-2, 7-18.

BOWLBY, J. (2002). Attachement et perte, vol. 1, L’Attachement. Paris : PUF.

MICHALON, C. (2001). Les différences culturelles Mode d’emploi, Paris : Sepia.

NATHAN, T. (2015). Nous ne sommes pas seuls au monde. Normandie : Points.


[1] HAS : Haute autorité de santé




Coraline BRESSY 🌱

◊ Ergonome ◊ QVCT ◊ Qualité du travail ◊ RSE ◊ Développement durable

5 ans

Chronique très intéressante qui me donnerait envie de prolonger en mettant en lumière la part d'engagement incompressible de la ligne hiérarchique : penser des dispositifs de mise en discussion et de soutien de la pratique professionnelle impose un engagement de la hiérarchie à les rendre possible dans les emplois du temps contraints que tout le monde connait ce jour mais également pérenne dans le temps car ces démarches de mise en lumière, de professionnalisation, de capitalisation s'inscrivent dans un temps long

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