Merlene Ottey, de paille, de toile et de pisse

Merlene Ottey, de paille, de toile et de pisse



J’aimais Merlene Ottey au-delà de tout.


L’écran était épais, bombé, ils n’avaient pas encore inventé les écrans plats, coins carrés, marionnettes des Guignols et Dechavanne à volonté. C’était les premières chips Flodor, et Hutch qui tentait de se caresser avec son pédoncule imberbe et juvénile. Car nous ne nous rappelons plus que ces misérables séries, ces Casimirs, Goldorak et Chapi Chapo… Mais nous avions aussi droit à Merlene, la jamaïcaine façon fusée qui ridiculisait des dizaines d’adversaires sur une piste olympique.

La lucidité, les coups de reins, ça ne servait simplement à rien.


Tonton regardait le journal de treize heures, celui de vingt heures sur TF1 et entre les deux, il y avait le sport auquel je me soumettais tant bien que mal. Merlene avait donc deux défauts à ses yeux : elle était une femme et elle était noire. Malgré ça, il se taisait lorsqu’elle s’installait dans les starting-blocks, sa bouche pleine de bêtises se taisait, figée, mi-close, ses yeux écarquillés, ses poings serrés sur les cuisses. Les quelques secondes qui séparaient la ligne de départ de la ligne d’arrivée paressaient s’écouler lentement, avec cette tension particulière qui transformait mon oncle en gros nounours attendrissant. Quand elle remportait enfin la course, il hurlait de joie, poings toujours serrés mais moulinant l’air devant son visage comme s’il mettait des crochets du droit et du gauche à un obstacle invisible.

« Ah cette femme ! Elle en a des couilles ! Si j’étais pas marié, c’est avec elle que je ferais des acrobaties au plumard ! »


Dans ma tête de gamin perpétuellement en état de questionnement, je me demandais s’il n’était pas du genre à préférer les hommes. C’était étrange de l’entendre parler à longueur de journée des « bamboulas » (en imitant les cris du singe) à chaque fois qu’il voyait un noir à la télé et de dire des femmes qu’elles étaient juste bonnes à faire le ménage et à baiser –« et encore, quand elles font putes, parce que les autres, c’est pas des cadeaux au plumard »- et révéler qu’il était clairement excité par une femme à la peau sombre qu’il affublait d’une paire de couilles et pratiquant un sport qu’il réservait aux hommes. Ça m’interpellait. Il y avait peut-être une différence entre les filles qu’on trouvait jolies et celles qui savaient bien utiliser notre zizi.


Merlene, toute athlétique, puissante, championne olympique depuis les jeux de Moscou en 1980, était une sorte de version parfaite de la maîtresse absolue. Tonton lui donnait une définition telle qu’il trahissait tous ses « idéaux » pour cette femme. Le poster de cette dernière dans le couloir d’entrée faisait jaser les visiteurs. « Ouais c’est une bamboula, c’est une bonne femme, mais c’est la plus grande championne au 100 et 200 ! C’est la plus magnifique ! »


Merlene s’insinua dans mon esprit comme l’archétype de la maîtresse rêvée, envoyée par Dieu pour corrompre à son tour l’esprit teigneux de mon oncle.


Extrait de « Robert de Niro n’est plus un héros », à paraître en 2018.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets