Mohamed et l’intellectuel.
Trajet de train.
A côté de moi un jeune homme, mohamed. J’entame la discussion. Il est à science po Paris, il réfléchit à faire l’ENA et hésite. Il me raconte qu’il a loupé le bac. Il me raconte que sa mère est femme de ménage. Il me raconte qu’il vit en banlieue. Il me raconte qu’après son 2nd bac il a découvert le droit et là…. LA LUMIERE. Une passion. Et aujourd’hui Science po Paris, il est brillant mais il souffre … Beaucoup…. Il ne comprend pas tout ce qu’il ne comprend pas…. Ce rejet l’air de rien. L’impossibilité, pour les autres, d’avoir loupé son bac et d’être à Science po Paris…. Bref tous les modèles mentaux sociétaux dont nous parlons pas et qui nous gèrent. Mais il s’engage, il continue… Il me touche tellement. Je suis émerveillée.
Et il s’avère que mohamed s’est trompé de place dans la train. Il doit changer. Là un business man qui regarde en replay un match de foot le remplace. Je ne lui parle pas.
En marchant dans le couloir, je vois un monsieur d’une cinquantaine d’années qui lit un livre très compliqué dont le titre m’intrigue beaucoup. Je lui demande. Ouhla je vois que ça lui semble étrange. Mais il joue le jeu. Il répond à mes questions. C’est un érudit en lettres anciennes, il organise divers évènements artistiques, culturels etc…pour changer le monde… Très tôt il me dit avoir fait ce qu’il voulait dans la vie. Notamment construire sa vie autour du « Feu », un de mes sujets de passion ces temps-ci. Au bout d’un moment je suis obligée de lui dire que je comprends ce qu’il me dit car il m’explique comme à un enfant… Je continue à poser mes questions, j’aime comprendre comment les humains se créent. Je lui demande d’où vient sa passion pour le feu. Et là : « Et bien c’est compliqué cette question , est ce que je vous demande pourquoi vous êtes-vous, pourquoi vous avez ce ventre ?.... ». Un peu sidérée, je réponds « euh j’ai eu 4 enfants… ». La discussion se poursuit mais je ne suis plus là. J’y mets un terme et je vais m’asseoir.
Je suis passée de la béatitude avec mohamed à l’hébétude avec ce monsieur.
Pour m’aider je me rappelle Tolstoï « Tout un chacun songe à changer le monde mais personne ne songe à se changer. ».
J’ai le besoin de chercher mohamed. Je le retrouve. Je lui raconte. Il est sidéré et me dit quelque chose d’adorable.
Cette histoire illustre tout mon sujet de travail. Elle me fait penser à Sartre dans l’être et le néant (1943) : « Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client (…) . Il joue, il s’amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de café. »
Pourquoi joue-t-il ? Car il a peur de se réaliser vraiment, explique Sartre. Le garçon de café se ment et il ne le sait pas… Ce n’est pas à sa conscience.
Le plus gros problème c’est que ce garçon de café ignore qu’il a peur, le refuse. La puissance des modèles mentaux figés en prison et chacun fait son plaidoyer pour y rester.
Le grand problème ce n’est pas la peur c’est le REFUS de la peur.
Mohamed souffre, a peur, le dit et je sais que cet homme va avoir une vie merveilleuse, vivante, engagée car il accepte cette peur. Lui ne simule pas, ne feint pas, il existe réellement. Il se réalise.
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Être libre ce n’est pas faire ce qu’on veut. C’est être QUI ON EST.
La question essentielle n'est pas la "forme", "ce que je fais", garçon de café, intellectuel, étudiant à science po ou coach... La question essentielle est de quel endroit j'agis, "ce que je suis".
Et oui on peut être drôlement libre avec un petit ventre.
Merci Mohamed.
Et on continue...
AESH
3 ansOn sous-estime parfois le pouvoir d'une rencontre fugace. Pourtant, elle peut laisser des traces. Merci donc à Mohamed et à vous. J'ai beaucoup aimé votre article. Il est très parlant.
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3 ansJe ne comprends pas vraiment ce que vous avancez , Jérôme, car , comment donner du sens à ce que l’on pense , dit , fait , sans conscience ? Que notre inconscient ait un certain pouvoir , oui , mais à partir du moment où nous avons connaissance de ce fait et des dégâts que cela peut induire dans nos comportements , nous avons donc ce qu’il faut pour nous remettre en question, donc , changer , vers un sens qui nous apporte la paix avec nous mêmes. La recherche du Sens ne peut se faire sans conscience . A mon avis . Nous sommes ce que nous voulons , me semble t’il , en toute responsabilité , donc .
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3 ansJ’ai aimé votre récit , ce joli partage . Chaque rencontre nous apprend sur nous mêmes. Mohamed me touche comme vous . Vous avez fait deux rencontres différentes dans ce train qui vont ont provoqué deux émotions différentes . L’agressivité de la deuxième personne était inattendue et incompréhensible. Force est de constater que le monde est ainsi fait . Vous avez bien fait de partir . C’est avec plaisir que je vous relirai !! 🙏🌟🍂🍃
Consultante RH/DRH | J'accompagne les entreprises dans leur stratégie RH, leur management et leur organisation
3 ansMerci pour cette jolie histoire…