Mon expérience Vipassana

Mon expérience Vipassana

La semaine passée, je me mettais en route vers Mont-Soleil (dans le Jura Suisse) pour aller y vivre une expérience de Vipassana. Enfin! Après plusieurs tentatives pour m'y inscrire, ce coup-ci fut la bonne.

Le Vipassana, c'est une technique de méditation bouddhiste qui vise à ouvrir le chemin (le dhamma) vers l'illumination. Ce chemin se base sur une pratique méditative intensive visant à reconnaître et accepter les sensations expérimentées par le corps. En intégrant le fait que nos réactions et nos pensées ne sont que des réponses conditionnées à ces sensations apportées par les sens et par l'intelligence, en acceptant que ces sensations sont par essence impermanentes, nous développons ainsi notre équanimité, traçant ainsi le chemin vers la dissolution de notre "soi-disant inconscient" et de nos schémas limitants. L'illumination est au bout de ce chemin.

Autant vous le dire tout de suite, j'ai abrégé cette expérience après 7 jours. Ce que je partage ici, ce n'est donc PAS un "débriefing" à proprement parler, mais plutôt une rétrospective très personnelle sur les raisons qui m'ont amené à faire cette expérience, sur ce que j'y ai trouvé et sur ce qui m'a décidé à écourter mon séjour. Séjour écourté, mais article un peu long, désolé. Décidément, heureusement que je ne suis pas resté 10 jours ;-)

Pourquoi y allais-je?

D'abord, évidemment, pour des raisons personnelles. Disons, pour faire simple, que mon inconscient me titille: je verrais d'un bon œil qu'il daigne davantage me montrer le bout de son nez. Pour le peu que je connaisse du bouddhisme, cette volonté d'auto-élucidation n'est sans doute pas très éloignée de ce qu'un bibendum assis en lotus appellerait "l'éveil". La méditation (que je ne pratique guère) me paraissait donc une voie d'accès tout-à-fait plausible pour lever un coin du voile.

J'y allais également dans un état d'esprit assez proche de celui qui m'a amené à découvrir la pratique du jeûne début 2018. Plus facile pour moi de frapper un grand coup que d'y aller par petites touches successives. Marrant hein, pour un coach agile? Mais bon, ce n'est pas le sujet... Un Vipassana, pour moi, c'était donc une façon bien marquée (et avec un peu de chance, marquante) pour entamer une pratique méditative digne de ce nom. A raison de 10h par jour, difficile d'imaginer quelque chose de plus engagé que cela...

Il y avait également une bonne dose de curiosité professionnelle. Accompagner un groupe de 60 méditants pendant 10 jours, ce n'est pas rien. J'étais très curieux de voir comment cette entreprise allait être menée.

Ce que j'y ai trouvé

D'emblée, on y est. Dans les quelques heures qui suivent l'arrivée des participants, hommes et femmes sont séparés et la règle du "noble silence" est instaurée. La parole est bannie, de même que les gestes et toute forme de contact physique. Pas de "merci" ou de signe de la tête à quelqu'un qui vous tient la porte ouverte. C'est parti pour 10 jours de silence, en évitant aussi de croiser le regard des autres. C'est nécessaire pour permettre l'introspection? OK, adopté. Première expérience du genre.

Parmi les 60 personnes qui sont rassemblées dans le dhamma, environ un tiers en sont à leur deuxième ou troisième stage de Vipassana. Ces participants sont plutôt jeunes (petite trentaine pour le plupart), plutôt sympas, et plutôt engagés sociétalement. "De belles personnes", comme l'on dit de nos jours. Ca rassure. On est en bonne compagnie, même si l'on a compris que l'on ne va pas beaucoup pouvoir en profiter.

Et puis ça démarre. Première journée entièrement focalisée sur la prise de conscience de sa propre respiration. Un grand classique. La prise de conscience qui me tombe dessus, c'est à quel point les personnes qui m'entourent et mon activité contribuent à la vision que j'ai de moi-même. La réalité de ma déconnexion complète (le GSM enfermé dans une armoire dont j'ai du rendre la clé) me fait éclater cela à la figure. Du coup, je comprends mieux pourquoi les 10 derniers kilomètres avant d'arriver sur place était tellement difficiles, pourquoi mettre fin à ma dernière conversation téléphonique en cours de route m'a donné l'impression d'ouvrir les doigts et de lâcher la dernière corde qui m’empêchait d'être happé par le vide. Seul face à soi-même. Exit ma relation aux autres, exit mes activités quotidiennes et exit mes projets d'avenir. Cette auto-définition permanente que je me sers à moi-même (mon ego quoi...) s'en trouve subitement challengée d'une manière très neuve pour moi. C'est interpellant. Merci pour cette belle première prise de conscience.

La deuxième prise de conscience a suivi dans la foulée. Ces 60 personnes assises en tailleur vont contempler le nombril de leur conscience pendant 10 jours, et elles vont en sortir grandies, davantage élucidées. Ca m'interpelle en plein cœur de ma pratique de coaching. Le coaching est un luxe. Je le verbalise pour la première fois d'une manière si explicite. Pour moi qui (comme 99% de la population) veut "aider les autres" et si possible, tant qu'à faire, "changer le monde", me voilà remis à ma juste place: celle d'un accessoire. Quand le courage individuel de se lancer dans un processus d'introspection est au programme, le développement personnel (ou le salut, ou l'éveil, ou l'illumination, selon vos croyances) est déjà en marche. Pas besoin de coach ni de groupe de parole pour cela. Juste le courage de faire face à soi-même. Ca relativise pas mal le rôle du coach. C'est la capacité individuelle d'introspection qui sauvera le monde, pas le coaching. Petite leçon de modestie professionnelle actée, merci.

Je ne détaillerai pas le déroulé du processus durant les jours qui ont suivis. Je résumerai simplement ce que j'en ai retiré.

L'exercice constant d'objectivation des sensations du corps porte ses fruits. Ca se fait dans la douleur (essayez vous-même, en restant simplement assis en tailleur pendant 5 minutes) mais c'est pertinent et nullement susceptible d'être qualifié d'auto-châtiment. Vraiment, c'est un processus sensé, bien amené. Apprendre à regarder la douleur (toute relative malgré tout) dans le blanc des yeux, ça change la donne. C'est un processus qui me sera forcément utile un jour. Maladie, décès, accident... On n'a que l'embarras du choix sur la manière, mais la fin est inéluctable et sans doute moins agréable qu'on ne le souhaiterait. Tout ce que j'ai aujourd'hui, tout ce que j'aime, tout ce qui me définit (y compris mon corps), tout cela me sera un jour retiré, brutalement ou bout par bout. Regarder cela en face, l'expérimenter à petite dose, c'est pertinent. J'y ai appris à faire la différence entre réactions et sensations. Mes réactions sont, selon les circonstances, mentalisées à l'extrême ou au contraire très archaïques. Mes sensations sont par contre très concrètes, objectivables, tangibles, pour peu que je développe ma capacité à les identifier, à les reconnaître. A les disséquer, aussi, chose qui a beaucoup plu au coach agile qui sommeille en moi. Une douleur est trop forte pour vous? Disséquez-la. Quelles sont les composantes de cette douleur? A quoi ressemble-t-elle? Le simple fait de se poser ces questions, le ressenti de la douleur change. Et pour les (petites) douleurs que j'ai pu expérimenter, ça fait plus d'effet qu'un Dafalgan Forte. Au rayon des prises de conscience, une de plus: la douleur, c'est majoritairement dans la tête que ça se passe. Je me rends bien compte que je n'échapperai pas à une réouverture de cette discussion le jour où on me coupera un bras ou quand surviendra mon cancer de la prostate, mais d'ici-là, j'intègre cette prise de conscience dans mon quotidien.

Autre point notable: les discours du soir, chaque jour, entre 20h et 21h. Tous enregistrés avant la mort de S.N. Goenka en 2014, ils ont chaque fois fait mouche. S.N. Goenka, ça sonne comme le nom d'un sous-marin russe, mais c'est lui qui aurait redécouvert cette pratique du Vipassana et qui l'a systématisée et documentée. Son approche résolument non-sectaire sonne juste et sincère. Chaque jour, dans ses discours, il a su aller me chercher là où j'étais, avec mes doutes et mes apprentissages du moment. Philosophiquement intéressant, et intellectuellement satisfaisant pour boucler chaque journée, pour l'inscrire dans le contexte plus général des 10 jours et pour introduire les enjeux du lendemain. On y parcourt par la même occasion les principes de base du bouddhisme. La découverte que l'on en fait en chevauchant de manière aussi appliquée nos propres sensations y est fort justement mise en perspective.

Et donc les minutes, les heures et les jours passent. Point d'orgue pour moi au matin du sixième jour: une gigantesque déferlante de "qu'est-ce que je fous ici?" me prend à la gorge lors de la première méditation du matin, oui, celle de 4h30... Des frissons glacés, des bouffées de chaleur, une envie d'hurler et de faire exploser la dhamma. Mais nous sommes au sixième jour, j'ai quand même un peu appris la leçon: je reste immobile et je constate. Je détaille, je dissèque, j'objective, je décris mentalement. Pire, je me réjouis de voir déferler ce tsunami "sensationnel". Enfin des perceptions dignes de ce nom à me mettre sous la dent! "Ah pas mal", "oh tiens, plus faible celle-là", "ah tiens, les frissons partent du crâne et descendent jusque dans les pieds", "ouh, les bouffées de chaleur partent des cuisses et montent vers la gorge". Intéressant. Sans que je ne m'en rende compte, tout focalisé que je suis sur cette analyse du ressenti, ça passe, tout simplement. Un quart d'heure plus tard, je suis serein. Aurais-je donc fait une première expérience concrète de l'impermanence et de l'équanimité? Impermanene? Equanimité?

L'impermanence. Tout vient, tout va. Rien ne dure. Anitya, anitya, anitya... L'univers est réductible à de simples probabilités énergétiques traduisant la position des particules élémentaires. La matière elle-même n'est donc qu'une illusion. Toute notre vision du monde (et de nous-même) n'est que projections et supputations. Le temps de le dire, tout a déjà changé. Le proverbe chinois de circonstance, c'est "on ne plonge jamais deux fois dans la même eau". Se connecter à ses sensations, c'est rebrousser chemin, prendre du recul par rapport aux projections et en revenir à une acceptation plus ou moins complète que "je", "les autres" et "le monde" sont des entités que j'ai construites dans ma tête. Les sensations nous donnent une **illusion** de l'existence du monde, mais il suffit de constater objectivement l'impermanence des sensations elles-mêmes pour accepter la vacuité fondamentale de l'univers. C'est lorsque nous arrêtons de nous débattre pour nier cette impermanence que le chemin vers l'éveil s'ouvre. Nous commençons alors à prendre conscience de la vraie nature de l'univers, dans sa dimension la plus subtile, au-delà des expériences grossières du corps et des réactions qui en découlent. Vous me suivez?

L'équanimité. Face à cette évidente impermanence des sensations et donc des choses, un Vipasssana, ça sert donc à développer donc son équanimité. En clair, je ne me prends pas la tête avec des trucs impermanents, et j'accepte que tout est par définition temporaire. Dès lors, à quoi bon s'exciter? J'arrête donc de prendre des vessies pour des lanternes. Je regarde passer les trains, je les constate, mais je ne me les approprie pas, je ne m'identifie pas à ce que je ressens. Très proche de la conception des Stoïques j'imagine? Je ne suis qu'un observateur, ni objet, ni sujet. Il ne s'agit même pas d'accepter plutôt que de rejeter. Il s'agit de ne faire ni l'un, ni l'autre. Je ne me réjouis de rien, je ne rejette rien. Je constate, c'est tout. OK, j'entends... Sur le coup, ça me parait un peu théorique, mais il me reste encore quelques jours pour approfondir. J'accepte provisoirement cette hypothèse de travail.

Je vous mentirais en vous laissant croire que j'ai médité de manière non-stop. Le ratio est sans doute proche de 10% de méditation, 90% de projections. Avec des pics à 40-50% de méditation pendant les épisodes de 20-30 minutes où je m'appliquais vraiment. Score très honorable d'après S.N. Goenka, qui fournit aimablement quelques éléments de benchmarking dans ses premiers discours (c'est rassurant et décomplexant).

Les jours passent et peu à peu quelque chose d'autre s'installe en moi. C'est là que l'on passe au chapitre suivant: ce que je n'ai pas trouvé sur ce parcours de dhamma et ce qui m'a finalement amené à prendre sereinement la décision de ne pas aller jusqu'au terme de l'expérience.

Ce que je n'y ai pas trouvé

Nous voilà donc 7 jours plus tard. Une évidence s'installe peu à peu pendant cette septième journée: je vais en rester là. Voilà pourquoi.

D'abord, à la longue, ce cher "S.N. Goenka", il me prend un peu la tête... Sa voix très théâtrale débite des instructions hyper-répétitives au début de chaque séance de méditation. Quelques jours, ça va, ça contribue à l'ambiance, mais à la longue, ça devenait un peu lourd, un peu dogmatique, un peu infantilisant. "Work diligently, work seriously, work persistently, work properly, work as the technique wants you to work"... Et toujours ce "you are bound to be successful", qui suscite chez moi un doute viscéral qui croît au fur et à mesure que cette incantation est répétée.

Sa contribution à l'ambiance méditative sous la forme de chanting est surprenante au début, mais à la longue, franchement, ça finissait par me faire pouffer intérieurement. Je repensais en permanence à cette vieille pub pour la Renault Clio Williams. J'en arrivais à entendre des "ge'tup'am" à tout bout de "chant", et puis à avoir envie de le hurler moi-même. Geṭṭupām...

Le "noble silence", pourtant finalement assez confortable et facile à respecter, me semblait peu à peu perdre de son sens. Ce point est abordé dans le discours de la sixième journée, je crois. "On vous demande de ne pas communiquer, parce que si vous partagiez vos expériences, vous vous compareriez, et vous n'êtes pas comparables". Donc on vous épargne de vous décourager inutilement en vous interdisant de communiquer. Logique. Mais est-ce juste? Le collectif est un contexte tellement fertile pour le développement personnel. Les autres ne sont pas que des éléments de comparaison, ce sont aussi des miroirs. En me renvoyant ma propre image, ils m'incitent à avancer. L'introspection aussi, bien-sûr. Mais pourquoi l'un et pas l'autre? Pourquoi pas l'un ET l'autre? Et puis suis-je prêt à accepter que l'on m'interdise de communiquer (et d'entendre ce que les autres ont à communiquer) au motif que je serai incapable de m'abstenir de comparer? Qui préjuge donc ainsi de mon incapacité à prendre du recul? Non mais, franchement...

Tout ça, c'est donc sur la forme. A la limite, on met ça dans le même sac que les douleurs physiques résultant de la posture méditative et ça ajoute du sens. Ca fait partie de l'expérience, ça aide à travailler son é-q-u-a-n-i-m-i-t-é... Mais il y a aussi le fond du fond, et là, je coince vraiment.

Le fond, d'abord, c'est que ce postulat que chacun viserait forcément et résolument à l'illumination. La perspective est alléchante, mais est-ce vraiment le but de ma vie? Subitement, j'ai un doute. Les 3 sources du malheur seraient donc l'avidité, l'aversion et l'ignorance. Le désir implique-t-il forcément de l'avidité? Le refus se transforme-t-il forcément en aversion? Et puis quant à l'ignorance, s'il y a bien une chose dont je suis convaincu, c'est de mon ignorance, et elle va croissante. "Plus je sais, moins j'en sais", chantait Gabin. Moi aussi. Donc, voilà, la prémisse m’apparaît du coup douteuse. Mon incarnation actuelle ne vise peut-être pas à l'illumination et l'ignorance n'est pas un ennemi à abattre. Elle m'est consubstantielle. Et si ça ne plait pas à mon âme, et bien qu'elle aille se faire incarner ailleurs !

Il est fréquemment fait référence à la validité scientifique de la méthode. Même la science, avec 2500 ans de retard, vient maintenant confirmer ce que Bouddha clamait depuis longtemps: la matière n'est qu'une vague énergétique. Vacuité de la matière, impermanence des sensations... En gros, puisque les composantes de base du système n'existent pas vraiment, rien n'existe. Sauf qu'entretemps, Koestler est passé par là. Ce dont le sens est hors de notre portée à un niveau du système peut néanmoins composer des ensembles plus vastes porteurs d'un sens qui n'a rien à voir avec celui de ses composants individuels. Avec une lettre, un "A" par exemple, je peux exprimer un nombre très limité de concepts. Même avec 26 lettres prises individuellement, ça reste limité. Ca ne préjuge pourtant pas de la variété des mots que je peux composer, ni de la richesse sémantique des phrases que je peux imaginer, ni de la beauté poétique de mes articles de blog sur LinkedIn ;-) Pour moi, la constatation de la non-existence des choses à un niveau élémentaire du système nous renvoie davantage à notre incapacité à comprendre le sens à ce niveau, plutôt qu'à "l'impermanence" de l'ensemble du système. Relire Koestler, d'urgence...

Au fur et à mesure que les jours se déroulaient, ce renvoi permanent à la responsabilité individuelle de chacun de se "purifier" a fini par m'interpeller. La vie est souffrance, la naissance est souffrance. Face à cette souffrance inévitable, nous avons installés des saṅkhāra qui nous marquent et nous limitent, mais qui rendent cette douleur temporairement supportable. Cela nous permet d'être plus ou moins "fonctionnels", mais cela nous éloigne de l'éveil. Notre mission est donc de les éradiquer, point final. A priori, c'est aussi la base du travail de coaching, donc ça me va: épurer les postures, les simplifier, alléger, remettre en mouvement. Sauf que... En zappant toute référence à tout héritage culturel ou sociétal, en ignorant l'inconscient collectif, en occultant les annales akashiques, la dimension karmique des choses n'est abordée que de manière strictement individuelle. Sa dimension collective est occultée. Rien dans la pratique n'intègre le fait que nous naissons dans un certain contexte, à une certaine époque. L'admettre ne nous exonérerait pas de cette responsabilité à travailler sur soi-même, mais ce serait sympa de reconnaître qu'il y a aussi d'autres dimensions, et que nous sommes une composante infinitésimale d'un ensemble vaste que nous comprenons à peine. Le côté absolutiste et hyper-individuel de cette quête de l'illumination m’apparaît peu à peu dérisoire. Je n'ai rien à purifier. Je suis qui je suis. Mon chemin fut mon chemin. Je cherche à transcender, pas à éradiquer. Ouais, OK, je sens bien que j'ai un peu de difficulté à articuler mes objections à ce sujet, mais voilà, comme vous le voyez, ça me gratouille. Cette injonction "purifiez-vous", à la longue, je la retourne à l'expéditeur avec mention "n'habite déjà plus à cette adresse". Impermanence, quand tu nous tiens...

Et puis, tant qu'à faire, autant faire ça dans la douleur, n'est-ce pas? Si la libération était facile, serait-ce vraiment une libération? Puisque la vie est souffrance, n'est-ce pas forcément de la souffrance que viendra la libération? Ben non. La joie et les petits plaisirs ont également un certain potentiel libérateur. Comme l'humour et l'auto-dérision. Comme l'amour. Finalement, quitte à faire dans la spiritualité orientale, j'aimerais tout autant aller chercher l'illumination dans le tantrisme. Pourquoi s'obliger à être stoïque face à la perspective d'une baffe ou d'une caresse? Bien-sûr que je préfère les caresses aux baffes. So what? Pourquoi disqualifier l'émotion que pourrait susciter une fleur qui éclot sous prétexte qu'elle va se faner? Pourquoi me suspecter d'avidité quand je m'attache à contempler le spectacle et la joie que l'arrivée du printemps suscite en moi? Cela ne m'empêche de profiter d'aucune des 3 autres saisons. Au contraire, c'est l'impermanence qui invite à apprécier ce qui se passe à sa juste valeur, pas à s'en détacher. Si l'Univers a choisi de s'incarner en nous, c'est vraisemblablement pour faire une expérience qui autrement ne serait pas à sa portée. Pourquoi lui refuserait-on ce plaisir? Et à propos, à force de vouloir le bien ou le vrai dans sa dimension la plus absolutiste, n'en oublierait-on pas le beau? Si le nirvāṇa est souvent associé à la mort (l'absence de toute tension), de l'orgasme on dit aussi que c'est une petite mort. L'approche Vipassana nous dit qu'on doit choisir? OK, j'ai choisi.

Pour résumer, l'approche Vipassana, au fil des jours, me parait de plus en plus "absolutiste", très "vérité unique", très "technique universelle". Je n'y retrouve nullement la perspective de la voie du milieu chère à Bouddha. Même balisée sur 10 jours, même ramenée à un exercice explicite et volontaire entre adultes consentants, l'approche est donc trop simpliste à mon goût, trop caricaturale, et j'entends bien le paradoxe qu'il y a à qualifier de simpliste une démarche que je comprends à peine. Mais j'assume...

Et puis, en guise de clin d’œil, pour un parcours qui vise à faire prendre conscience de l'impermanence des choses, repasser depuis 10 ans les mêmes enregistrements du même maître spirituel, sans rien y ajouter, sans rien questionner, sans ouvrir le moindre espace de discussion, c'est un peu paradoxal non? Dans ce monde impermanent, cette méthode elle-même serait-elle donc immunisée? Elle semble éternellement valable, imperturbablement efficace, "scientifiquement validée", dixit S.N. Goenka. Il est fréquemment fait référence aux milliers d'années de la pratique, aux millions de personnes qui l'ont suivies. OK, on n'est pas à 10 années près... Le monde change en permanence, mais ne serait-ce pas une autre façon pour dire que rien ne change? Cette entité qui constate l'impermanence, n'est-elle pas permanente par définition? En somme, ce qui change, c'est notre vision du monde, pas le monde lui-même, et les vipassaniens se prennent peut-être les pieds dans leur propre tapis? La très grande permanence du matériel audio fourni par Maître S.N. Goenka étant un clin d’œil amusant pour le faire remarquer ;-)

Donc voilà, 7 jours c'était bien. Ravi d'avoir fait cette expérience. 4 jours de plus, ce serait trop. Je quitte le centre au soir du 7ème jour. Ultime clin d’œil, une corde barre l'accès au parking.

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"Veuillez rester à l'intérieur des limites du cours". Ben non, justement. Ce qui est au-delà m'intéresse aussi. J'ai adoré faire cette expérience, et merci à tous ceux qui, chez dhamma.org, la rendent possible. Mais au-delà de la pratique, que je respecte, ma vision du monde ne s'accommode finalement pas trop des postulats qui transparaissent dans cette démarche. C'est ce décalage que j'ai essayé de détailler ici, la longueur de cet article ne compensant que très mal mon incompétence sur ces sujets.

La minute spiralienne

En guise de bonus, impossible pour moi de ne pas faire le lien avec un autre événement récent auquel j'avais participé: les Clés du Succès. J'y relatais mon expérience dans un autre article de blog. Difficile d'imaginer deux expériences davantage diamétralement opposées. Et pourtant... Autant "les Clés du Succès" sacralisent jusqu'à l'absurde le culte de la réussite individuelle (niveau orange en Spirale Dynamique), autant le Vipassana entretient une vision très monochromatique de la libération individuelle (niveau spiralien bleu). Dans leur style respectif (et très emblématique), chacun résume finalement assez bien ces deux visions du monde. Ce qui les unit est la poursuite d'un objectif commun: la "libération individuelle". Pour les Clés du Succès, cela passe par la maîtrise maximale du système économique et la quête de statut. Pour le Vipassana, la réponse passe par la purification individuelle et la quête de salut.

Paraxodal, non? L'orange hyper-individualiste se fonde sur l'instrumentalisation d'un "système" pourtant vachement collectif (en gros, les lois du marché). Les Clés du Succès le théâtralisent dans une chorégraphie de masse très étudiée, qui fait levier sur toute une panoplie de techniques de mise en mouvement des foules. Et le bleu, qui est au contraire très collectiviste, prône lourdement la purification individuelle, sans hésiter à le mettre en oeuvre dans une scénographie très cloisonnante, qui enferme sciemment chacun dans son individualité. Paradoxal, vraiment? Peut-être pas tant que ça. Interdire tout contact verbal, cela crée aussi un climat collectif qui sert la cause. Là où l'orange compte sur le bruit de la foule et sur l'énergie qui en résulte (contexte qui valorise les extravertis), le bleu mise tout sur le silence et sur le scepticisme qui en découle (contexte qui favorise l'introspection).

Tous les deux font aussi référence à des lois universelles, mais pas les mêmes... La loi naturelle, pour l'orange, c'est la loi économique (put your own mask first). Le Vipassana fait référence à une autre loi immuable de la nature: anitya, anitya, anitya (nothing endures but change). L'un comme l'autre ont donc leur propre cadre référentiel. Et l'un et l'autre mettent en exergue leur pouvoir libérateur par rapport à ce cadre référentiel. Je me demande si l'un et l'autre ne finissent pas par s'y mordre la queue.

Ce que j'en retire, ce que j'en retient

D'abord, une première expérience de la pratique méditative. J'ai enfin eu une vraie occasion de méditer à grosse dose, d'en faire l'expérience profonde. Vais-je installer la pratique dans ma vie? Oui, à des moments choisis, mais sans doute pas sous la forme de rituel quotidien (ou alors, des micro-expériences quotidiennes non-rituelles, enfin bref, un état d'esprit quoi...).

Revoir mes classiques. L'équanimité, est-ce la cousine de la zénitude, ou l'enfant caché d'un stoïcien qui passait par là? Sans doute. Tout cela semble fort se tenir. Une belle occasion d'aller ré-explorer les classiques et de jeter des ponts. Pff... Plus j'en sais, moins j'en sais. C'est reparti pour un tour ;-)

M'intéresser (vraiment) au message du bouddhisme. A force de recevoir du "namasté" à longueur de journée et à faire tinter les cymbales thaïlandaises à longueur de réunions, on nous sert du bouddhique à toutes les sauces (tiens, voilà du bouddhique), et je pourrais finir par croire que je sais de quoi je parle. En fait, du bouddhisme, je ne sais rien. Mais je sens que les réactions (oups, pardon, les sensations) que le Vipassana suscite en moi sont peut-être davantage liées à ma méconnaissance du message bouddhiste plutôt qu'à la pratique du Vipassana en tant que tel. Ca tombe bien, j'ai deux bouquins sur le bouddhisme sur ma table de nuit. Je les mets sur le dessus de la pile!

Une exploration approfondie du niveau bleu de la spirale. Le bleu n'est pas une couleur très en vogue en occident (nous sommes largement passés à l'orange et au vert, comme l'illustre ce slide). Et pourtant, en Orient, en Afrique, ce bleu est encore très installé. Malgré les réactions un peu épidermiques qu'il peut susciter chez nous (et chez moi), le bleu est pourtant porteur de belles choses. Le bleu du Vipassana est un beau bleu. Ma décision d'abréger le parcours renvoie à ma propre posture, pas à la qualité des intentions des organisateurs. J'y ai découvert du bleu sincère, authentique, et j'en avais peut-être besoin pour faire évoluer ma vision du monde. Checked.

Une leçon de modestie dans ma pratique de coaching. Je ne peux pas ajouter grand chose pour un coaché qui a le courage de l'introspection. Et quand ce courage ou cette lucidité semblent faire défaut, mon "méta-job" est de les favoriser, pas d'y pallier par ma propre pratique du questionnement. C'est carrément du méta-maïeutique qu'on tient là ! A ajuster au cas par cas, en fonction du contexte, de l'urgence etc, bien-sûr. Mais merci quand même pour cette mise en perspective et cette leçon de modestie.

Bon allez, je vous laisse. Ah non, un dernier truc, une pensée en guise de boutade qui m'est venue sur le trajet de retour. Et si vouloir se purifier à tout prix, vouloir atteindre l'illumination, aller sonder son âme, invoquer la conscience pure, faire entrer en scène la Présence dénuée de toute présence, si tout cela n'était qu'une pirouette, un trait de génie de l'ego? L'ego qui nous dirait, taquin et manipulateur comme il sait si bien l'être : "regardez, je ne suis plus là, vous avez raison, l'ego, c'est mal, l'âme c'est mieux". Allez pauvres mortels, jetez-moi aux orties et baptisez-moi donc d'une autre nom. Ne m'appelez plus "ego". Appelez-moi "l'Âme". Hulahup barbatruc...? Je mets ça dans ma bucket list de sujets philosophico-sociologiques à discuter à l'occaz. Et rappelez-moi de m’intéresser sérieusement au bouddhisme, histoire que je commence à savoir de quoi je parle quand je parle de tout ceci. Pas exclu que ma méconnaissance du sujet m'ait fait perdre mon temps à écrire cet article de blog, et le vôtre à le lire ;-)

Ah? Vous me demandez si le Vipassana, je le conseille? Peut-être, oui, ça dépend... Assorti d'une suggestion: visionnez quelques discours de S.N. Goenka avant de décider d'y aller. Ils en valent la peine. Vous y trouverez 90% de ce que la tête peut comprendre de ce genre de parcours. Et si ça vous tente, allez-y alors, pour y expérimenter 90% de ce que votre corps pourra vous en dire.

Pour les inscriptions, c'est par ici. Armez-vous de patience, il faut s'y prendre à l'avance, les cours ouvrent peu de temps avant leur démarrage, et les places sont très vite prises. Pour le prix, c'est en participation consciente. Vous mettez ce que vous voulez, et à condition que vous terminiez le cours. On ne peut faire plus honnête que ça !

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Pour en savoir plus sur le centre de Mont-Soleil où j'ai moi-même été, voir ce mini-reportage réalisé par la télévision suisse: https://www.rts.ch/play/tv/12h45/video/la-technique-de-meditation-vipassana-est-enseignee-au-centre-de-mont-soleil?id=9513463

Je viens de vous lire, et je trouve dommage pour vous de ne pas être allé au bout de cette expérience en restant dix jours... peut-être auriez-vous trouvé des réponses à vos questions :) bonne continuation, avec Meta.  Une méditante (j'ai fait mon premier cours au même endroit que vous)

J'ai vécu cette expérience il y a quelques années.Pas simple sur le moment...

Michel Schwarz

+40% de Bonheur & Performance en entreprise

5 ans

Passionnant de te lire Olivier!

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