A Mon Humble Avis 1 : De la discorde Franco-Congolaise sur le terme "Compromis à l'africaine"
Les images ont fait le tour des réseaux sociaux pour le plus grand bonheur de certains panafricanistes, des détracteurs de la politique française mais aussi, et ce ne sont pas les moins nombreux, de tous ceux qui ne portent pas l'actuel Président Français dans leur cœur.
Alors que sa visite à Kinshasa ce 4 mars 2023 devait consacrer le retour en force de la France en Afrique Centrale, Emmanuel Macron s’est retrouvé au cœur d’un échange embarrassant avec son homologue Congolais Felix Tshisekedi dont il se serait bien passé. En cause les déclarations de Jean Yves Le Drian quelques années plus tôt qualifiant de "Compromis à l'Africaine", l'issue des élections présidentielles et législatives simultanément organisées au Congo et qui avaient vu la victoire contestée de Felix Tshisekedi au poste de Président. Une journaliste française a cru bon de rappeler cet épisode lors de la conférence de presse causant donc une discorde certes polie mais profonde face camera entre les deux présidents. La France n’ayant plus vraiment bonne presse dans l’opinion publique africaine, beaucoup se félicitent de cet énième camouflet qu’aurait infligé un autre Président Africain à l'arrogante France... Chacun se fera sa propre opinion au vu de la séquence, mais personnellement je n'en ai retiré aucune satisfaction, juste un certain malaise.
Quant à la forme : Un échange très peu diplomatique...
Je pense profondément que du fait de sa fonction, un Chef d'Etat ne doit jamais se départir d'une certaine réserve en public de manière à ne pas exacerber inutilement certaines passions. Ce rôle est, à mon avis, cense être au dessus de la mêlée tant dans les affaires intérieures qu'extérieures et doit servir a arrondir les angles plutôt qu' à cristalliser des divisions ou exacerber inutilement des passions. il aurait à mon sens été souhaitable que le Président Congolais en public se limite à rappeler les principes de souveraineté de l'Etat Congolais, de la maturité de son peuple dans le choix de ses gouvernants, de la solidité des institutions. En coulisses par contre, il aurait pu exprimer son déplaisir au partenaire Français ou encore, laisser ses collaborateurs s'exprimer plus bruyamment sur le sujet pour ensuite calmer le jeu lorsque nécessaire. En retour, il aurait été plus judicieux pour le Président Français de calmer le jeu sans chercher à répondre point par point aux propos de son homologue Congolais, au risque d'énoncer des contre-vérités que le Président Congolais n'a de nouveau pas manqué de soulever... Au fil de l'échange , on aurait dit que les deux chefs d'Etat oubliant leur fonction ont plutôt choisi d'adopter des postures d'hommes politiques en débat tentant d'emporter l'adhésion d'un auditoire. A ce jeu, Tshisekedi qui jouait pour ainsi dire a domicile l'a emporté, pour le plus grand plaisir de son public..., et au grand dam de la bienséance diplomatique.
Quant au fond : Le respect ne se demande pas, il s'impose...
L’échange de Kinshasa est pour moi, une nouvelle illustration de ce qu’est devenue la relation franco-africaine ; une litanie d’incompréhensions et de frustrations dans une atmosphère passionnée que même les convenances diplomatiques ne suffisent plus à masquer. Il souligne surtout que derrière la volonté de partenariat et les efforts des deux côtés, Africains francophones et Francais se parlent mais ne se comprennent pas ou plus vraiment. Les uns croient tenir un langage de vérité au nom de la défense de certaines valeurs universelles quand d’autres n’y voient que paternalisme et manque de respect.
Recommandé par LinkedIn
En vrai, le terme compromis à l’africaine n’est pas en soi un terme méprisant, bien au contraire. Sauf qu’au-delà du terme, il y a l’art et la manière de l’utiliser. En faisant référence a ce concept dans une interview où son ton désabusé laissait percevoir tout le bien qu'il pensait de l'issue des élections Congolaises, Jean Yves Le Drian, consciemment ou non, donnait au terme " Compromis à l'Africaine" une connotation folklorique destinée a masquer d’énièmes élections frauduleuses. Chacun aura son opinion sur les conditions d’accession de Felix Tsishekedi, au pouvoir, mais le respect du partenaire aurait dû consister pour un officiel Français à se limiter à constater que la cour constitutionnelle avait validé l’élection de Tsishekedi à la magistrature suprême. Le principe de souveraineté des Etats en droit international l’exige.. sauf qu'il est un fait qu’à tort ou à raison, les grandes puissances, prennent souvent des libertés avec ce principe, selon que le vainqueur d’une élection dans un pays du tiers monde leur soit favorable ou non.
Cet épisode qui s'ajoute a plusieurs épisodes de "disgrâce" dans d'autres régions du continent indique que face aux crises et bouleversements géopolitiques actuels et pour l’avenir, il faudra pour la France, composer avec les susceptibilités d’un espace sur lequel elle a pourtant toujours été hégémonique. Cela passera par repenser un langage que des siècles de domination et d’influence ont peut-être inconsciemment perverti, ce qui ne sera pas facile à changer du jour au lendemain.
Ceci étant dit, il faudra aussi aux décideurs africains d’éviter de donner le bâton pour se faire battre et s’en plaindre après coup. La mise au point du président Congolais était certainement nécessaire et légitime mais le florilège de satisfaction dans l’opinion qui a suivi me semble exagéré pour au moins deux raisons.
La première est que l’intelligentsia africaine se gargarise trop souvent de propos d’estrade, oubliant au passage les sujets de fond nécessaires à l’amélioration des conditions de vie des populations vivant sur le continent. Depuis plus de 60 ans, l’histoire politique Africaine fourmille de bribes de discours qui, comme celui de Felix Tsishekedi frappent notre imaginaire et nos egos d’africains. Il y a eu Sékou Toure en 1958, l’homme du Non à De Gaulle ; Lumumba en 1960 rappelant au Roi belge les affres de la colonisation ; Sankara en 1986 devant Mitterrand dénonçant les accointances de la France avec l’Afrique du Sud de l’Apartheid, il y a eu Akuffo Addo devant Emmanuel Macron en 2017, appelant à rompre avec la logique d’aide des pays occidentaux aux pays africains. Il y en a eu d’autres encore, plein d’autres… De belles paroles, motivantes qui emportent l’adhésion du plus grand nombre. Mais derrière, qu’en est-il des actes?? Il faudra en effet, bien plus que des discours fussent-ils justifiés, pour que les pays africains s’imposent comme des acteurs majeurs et donc respectés du jeu géopolitique international. Les actes devront donc nécessairement succéder aux mots. Le dire est bien, le faire est mieux.
La deuxième raison est que les extraits devenus viraux sur les réseaux sociaux ont eu pour effet néfaste d’occulter la réflexion sur le réel bilan de la visite du Président Français à Kinshasa. Dans cette conférence de 45 minutes dont 3 minutes vont passer à la postérité, on a parlé de la tragédie subie par les populations de l’Est du Congo, du rôle et de la responsabilité des uns et des autres dans ce drame qui n’a que trop duré, du principe de l’indivisibilité du Congo et d’un nécessaire cessez-le feu. On a parlé de partenariat pour la valorisation des ressources naturelles et stratégiques du Congo. On a enfin parlé d’aide humanitaire dans l’est du Congo, d’aides à l’organisation de futures élections... De l’aide, encore et toujours... Preuve qu’au-delà des discours et malgré ce qu’Akuffo Addo disait il y a plus de 5 ans déjà, rien ne semble changer dans le fond et c’est le nœud du problème. A mon sens, la centralité, ou la part prépondérante de l’aide dans le partenariat des pays africains avec les pays occidentaux est un frein au respect que les dirigeants africains réclament par ailleurs. En effet, si le regard de la France, et plus généralement de l’occident sur l’Afrique reste celui d’un continent d’assistés, le discours, ou du moins la perception de l’interlocuteur africain ne changera pas peu importe la force et/ou l'emphase avec laquelle ce respect sera réclamé. Aux dirigeants africains de trouver les solutions pour privilégier les véritables partenariats progressivement dénués de la notion d’aide. A eux de s’appuyer en priorité sur les ressources intérieures de leur pays afin de s’orienter vers des choix sociaux, économiques, éducatifs et politiques en phase avec leur réalité mais aussi en adéquation avec leurs moyens financiers et humains. Cette démarche est essentielle, mieux, incontournable pour regagner dignité et respect. Ensuite, seulement ensuite, les discours auront plus de poids...