Monde VUCA - le temps des décisions: Repenser la raison d'être des entreprises

Depuis 2018, la raison d'être a fait couler beaucoup d'encre. Nouveau coup de pub gouvernemental, relooking des entreprises mises à mal par le ralentissement économique mondial ? Et si finalement la raison d'être était tout autre chose que cela ?

La notion même de raison d'être est intrigante : est-ce que les entreprises n'en avaient pas jusqu'à présent ? Est-ce qu'elles n'existaient qu'à de seules fins bassement mercantiles ? Ou sont-elles en train d'intégrer une nouvelle dimension éthique ?

Comprendre l'objet

De quoi parle-t-on ? La raison d'être est-elle le synonyme de vocation, de raison sociale (stricto sensu), du "mission & purpose" américain ? Remplace-t-elle désormais la vision stratégique ? En réalité, elle est à l'intersection de tout cela, dont elle devrait devenir le soubassement central. La raison d'être, d'une entreprise comme d'un être humain, est ce pourquoi on décide d'exister. Le sens que l'on adopte pour servir de boussole aux moments les plus incertains. Le garde-fou qui permet de se regarder en face, de se juger, se jauger, se rappeler qui on a décidé d'être.

Anticiper ses dérives

Le devenir de ce qui pourrait s'avérer un véritable outil de management et de gouvernance apparaît cependant bien fragile aujourd'hui. Car cette raison d'être pourrait n'être qu'une simple astuce marketing pour redorer un blason terni, un relooking pour se distinguer sur des marchés saturés. Elle pourrait n'être qu'un social washing pour une RSE se cherchant une nouvelle conscience. Ou encore un attracteur RH pour capter ces Alien Gen en quête de sens. Cependant elle pourrait bien, aussi, révéler la quête d'un dessein oublié, gommé par une publicité omniprésente et décérébrée, le besoin de remplir ce vide intérieur forgé par une course insensée à la compétitivité, à l'encontre même des intérêts à long terme des humains que l'entreprise doit in fine servir.

Proposer un rôle définitif

L'histoire des individus, des organisations et des cultures montre que nous ne cessons d'évoluer, du stade de l'enfant qui se projette ingénument dans l'avenir à celui de l'adolescent capricieux en quête d'identité, de celui d'adulte ouvert au monde capable de forger son destin à celui du vieillard sage et distant. Au-delà de ces stéréotypes, se nichent les forces puissantes de la maturation. La raison d'être fait partie de celles-ci : elle est ce qui reste à l'entité mure pour continuer à avancer lorsqu'elle a tout perdu. Elle est le droit d'effacer ce que l'on a été pour affirmer ce que l'on est devenu.

Alors que les entreprises comme les humains sont en plein tangage, bousculées par les turbulences de cette période VUCA, contraintes de changer pour affronter la Grande Transition et y survivre, l'adoption sincère d'une véritable raison d'être représente une nouvelle étape vers la maturité. Car il ne s'agit pas seulement d'une boussole permettant de garder le cap dans la tourmente. La définition et le choix d'une raison d'être peut devenir la clé permettant de sortir de l'obsolescence du monde 1.0 pour ouvrir le regard et l'esprit sur le nouveau monde en train d'émerger et y prendre part à travers ses 4 grandes lignes directrices : le recentrage sur l'humain (satisfaction des besoins premiers, recherche du bien-être) ; la priorité accordée à la nature comme système support de vie (LSS), notamment humaine ; l'exploitation du potentiel de la technologie intelligente ; et enfin le mouvement de planétarisation qui est en train d'émerger sur tous les continents.

La raison d'être de l'entreprise, alignée avec celles de ses collaborateurs, deviendra alors le formidable moteur d'une intelligence collective mature et son levier de transformation agissant.

Revue RH&M, N° 75, octobre 2019, p.43