MoST: le retour
Avec la mise sous tutelle de la NSFC et le grand projet de collecte des données issues de la recherche, le MoST impose à nouveau sa marque dans le paysage de la recherche chinoise.
Comme souvent en Chine, les apparences véhiculent rarement des certitudes. Pourtant, dans le cas du Ministère de la science et la technologie (MoST), force est de constater que les récents signaux émis par ce Département ministériel laissent penser qu’il revient au centre du paysage de la recherche chinoise après une assez longue période de silence et de restructuration qui a même fait circuler des rumeurs d’absorption, sinon de disparition. On peut situer ces évolutions autour de la XIIIème Assemblée nationale populaire en mars 2018 même si les véritables options ont sans doute été prises bien avant.
De quoi s’agit-il ? L’événement le plus important et le plus inattendu, c’est évidemment la mise sous tutelle par le MoST de la Fondation Nationale des Sciences Naturelles de Chine (NSFC). Fondée en 1986, mais plus active et visible à partir du milieu des années 90, la NSFC bénéficiait comme agence de moyens d’une relative autonomie en devant sa dotation au Ministère des finances. Au cours des dernières années, elle s’était affirmée comme la principale agence de financement de la recherche fondamentale en Chine.
Trois raisons à cela: la très forte progression de son budget qui situe désormais à environ 3,5 milliards d’Euros (contre un peu plus de 2 milliards en 2013) et qui est encore appelé à augmenter à la faveur du 13ème plan quinquennal (2016-2020) sur la science et la technologie, l’ambition de la Chine étant de consacrer 2,5% de son PIB à la R&D. L’autre raison tient à la réputation internationale que s’est forgée la NSFC quant à la relative indépendance de ses évaluations ainsi qu’à son rôle dans le financement de la recherche d’excellence en Chine. Petite organisation de 400 personnes, la NSFC a aussi développé de nombreux partenariats internationaux avec les plus grands opérateurs et financeurs de la R&D. Parmi ces derniers mentionnons RCUK (17 millions d’euros de budget de coopération en 2016) et DFG qui met en œuvre une demi-douzaine de programmes de cofinancement avec la NSFC (plusieurs millions). L’agence allemande administre également avec la NSFC, sur le site de son siège à Pékin, un centre de promotion des échanges scientifiques sino-allemands qui occupe tout un corps de bâtiment. La NSFC travaille aussi en lien étroit avec l’ERC. Au total, la NSFC apparaît donc une agence intégrée à la science mondiale.
D’où des interrogations sur le véritable impact de cette absorption de la NSFC par le MoST. L’agence chinoise continue pourtant d’affirmer à ses partenaires étrangers que sa nouvelle tutelle n’a aucune influence ni sur le fonctionnement de l’agence ni sur la coopération internationale. Il reste que le changement de sa gouvernance ne s’est pas fait attendre : le Prof. YANG Wei a été remplacé dès le mois de février 2018 par le Prof. LI Jinghai, précédemment vice-président de la CAS, chargé des affaires stratégiques. Un tel mouvement laisse supposer que le nouveau titulaire avait précisément pour mission de faciliter le passage de l’Agence sous la tutelle du MoST. Selon d’autres sources, des changements d’organisation, en particulier au sein des départements scientifiques et du service des relations internationales, seraient programmés. Bref, cela bouge et il est difficile de croire que le MoST ne va pas imprimer sa marque dans l’organisation, le fonctionnement et les orientations de la NSFC.
L’autre événement qui a allumé plusieurs voyants au niveau national et international, c’est une directive publiée le 2 avril 2018 par le Conseil des affaires d’Etat (c’est-à-dire le Bureau du Premier Ministre). Intitulée « règles visant à renforcer la sécurité et l’accessibilité des données scientifiques », le texte de trois pages, très vague, prévoit de créer un mécanisme national de collecte et d’archivage généralisé des données de toute nature. Ce système, dont la mise en œuvre est confiée au MoST, a vocation à non seulement centraliser mais aussi à assurer la fiabilité ainsi que la traçabilité des données.
Compte tenu du flou entourant le projet, il est bien compliqué d’évaluer l’impact de ce projet de législation sur la collaboration. Si l’objectif du projet semble avant tout national (stockage des données en Chine, garantie de l’accès, fiabilité et qualité des données, …), rien n’est dit sur les dimensions internationales de ce nouveau système. Quant aux données sensibles économiquement (données conduisant à une invention, projets de brevet, résultats d’essais cliniques…), rien n’est prévu dans le texte. Mais on comprend bien que le projet de collecte préalable ouvre potentiellement des failles susceptibles de constituer de réels dangers en matière protection de la propriété intellectuelle. Mais aussi en matière de transparence et d’accessibilité des données. Plusieurs médias internationaux ont relayé l’information sous différentes formes, de grandes entreprises ont réagi de même que des organismes de recherche étrangers partenaires de la Chine. L’Union européenne a effectué une démarche avec les Etats-Unis auprès du MoST pour en savoir davantage tout en rappelant les principes en matière scientifique auxquels les deux ensembles étaient attachés. Plus récemment, le 25 juin 2018, à la faveur de la rencontre à Pékin de la Ministre d’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI), Mme Vidal, avec son homologue chinois WANG Zhigang la question a été posée sur les finalités du projet. Aucune réponse du MoST.
Alors que le MESRI vient de lancer un grand plan national de plusieurs millions d’euros pour faire en sorte que 60% des publications soit en accès libre d’ici quatre ans ―plan qui s’inscrit dans le cadre des engagements internationaux de la France en matière de partenariat pour un gouvernement ouvert (OGP)―, le mutisme du MoST alimente bien entendu les interrogations sur les véritables mobiles de cette législation. Il n’incite pas à croire à plus de facilités pour les chercheurs et leurs collaborations internationales. Il laisse également augurer d’autres projets de ce type, marqués par la contingence politique et le souci d’un pilotage centralisé de la recherche.
A. Mynard
Pékin, 11 juillet 2018