Moyens de preuve : La question de l'opposabilité technologique
Le principe de non-rétroactivité des lois, posé par l'article 2 du code civil, a notamment pour vertu de protéger les moyens de preuve nonobstant toute évolution des textes. En effet, la recevabilité d'une preuve préconstituée se compare aux règles qui étaient en vigueur à l'instant de son établissement, et pas nécessairement à celles qui existent au moment de sa production en justice.
Mais, à l'ère numérique, cette règle d'or se voit remise en cause par une question nouvelle : l'opposabilité technologique du moyen de preuve dans le temps. En effet, il est tout à fait envisageable de préconstituer aujourd'hui la preuve d'un acte par des méthodes admises et de façon conforme, et se retrouver quelques années plus tard avec un moyen de preuve sans doute recevable, mais qui ne prouve plus rien parce que l'intégrité qu'on lui accordait à l'origine a perdu toute crédibilité du fait de l'évolution des techniques.
Les effets de l'article 2 sur la preuve se voient ainsi inversés par l'économie numérique puisque, pour avoir des effets juridiques, la fiabilité d'un moyen de preuve doit être opposable à l'état des techniques qui prévaut au moment de son versement en justice, et non à celui qui existait lors de sa préconstitution.
Le risque d'inopposabilité technologique de la preuve à l'instant où l'on en a le plus besoin est donc un piège redoutable, d'autant que le futur technologique reste imprévisible. Cet aspect des choses doit donc être sérieusement pris en compte.
Et ça se passe à l'amont. Rappelons en effet que, par principe, la préconstitution des preuves s'effectue "à froid", de façon voulue et réfléchie, et dans un contexte où l'on a toute liberté d'adopter des méthodes et des supports choisis pour leur fiabilité et leur appropriation aux enjeux. On prendra soin, désormais, de réfléchir à la permanence de leur opposabilité technologique, qui repose principalement sur le choix du système d'archivage.
Il existe bien évidemment des moyens de pallier le risque d'inopposabilité technologique, moyens sur lesquels nous reviendront dans de prochaines communications.
Débat ouvert.