Myriam Monsonego ( un kaddich pour)
Aujourd'hui commémoration de la tuerie de l'école juive Ozar Hatorah ( 19 Mars 2012)
Voici un texte que j'ai écris en 2015
Myriam Monsonego ( un kaddich pour)
Un
Les rues se rejoignent et cela forme une sorte de T. Moi, j’habite dans celle du haut et l’école est située dans le pied du T, dans une sorte d’impasse. C’est le matin du lundi 19 mars. Comme presque chaque jour, je sors de chez moi pour aller au travail.
Coincé dans l’arc de cercle que décrit l’avenue de Lavaur, le quartier est la plupart du temps calme. Aujourd’hui, j’entends très bien la pétarade d’un moteur, sans doute une mobylette qui remonte la rue Saint-Hyacinthe. Puis de drôles de bruits, des claquements secs comme des battements de mains, résonnent et créent des échos dans la rue Jules Dalou. Ce sont les cris qui me poussent à courir. À courir sans choisir une direction particulière. La mobylette s’éloigne. J’arrive devant l’école, il y a des gens à terre. Une fillette baigne dans le sang. Je me précipite vers elle. Très fort, je sers contre moi ce corps mou qui se vide.
N’ais pas peur. Tu ne pars pas seule, car je suis là. Je te tiens. Est-ce que tu sens comme je te tiens ? Je te tiens pour que tu te laisses aller. Je t’accompagne.
Voilà ce que je lui dis à l’enfant assassinée.
Les sons reviennent peu à peu. Quelqu’un tente de desserrer mon étreinte. Un autre me dit que l’homme allongé à quelques mètres est le père de la fillette. Il est mort lui aussi.
Tout d’un coup je suis heureuse. Je me dis que l’enfant ne doit plus avoir peur. Avec son père, ils ont du se donner mutuellement du courage pour partir, pour se laisser aller loin de nous qui sommes terrifiés, mais en vie.
Aujourd’hui je ne vais pas travailler. Il y a trop de police, d’ambulances et de psychologues devant l’école. On me raccompagne gentiment chez moi.
J’ai oublié de demander comme s’appelle la petite fille.
Deux
Bonjour, je m’appelle Myriam et j’ai huit ans. Déjà, la cour de mon école ,elle est grande, mais celle-là, elle est immense. Ici, ce n’est pas mon école. Ici c’est l’école des grands et moi, j’attends juste le minibus qui doit me mener à mon école à moi.
Il y a eu le bruit du scooter juste avant que les gens, ils tombent par terre. J’ai eu peur et j’ai crié. J’ai eu peur et j’ai pleuré et j’ai couru. Je crois que jamais je n’ai couru aussi vite. Quand je cours, mon manteau et mon sac me gênent.
J’ai galopé tout droit. Elle est immense, cette cour de récréation. Je cours, mais c’est tellement grand que j’ai toujours l’impression d’être au milieu. Le monsieur, il me rattrape. Il y a quelque chose qui ne se passe pas bien avec son fusil. Plus tard, dans les journaux ils écriront que l’arme s’est enrayée, alors il a du en prendre une autre. Il m’abat à bout portant. À bout portant, ça aussi ce sera écrit dans les journaux.
Bonjour, je m’appelle Myriam et j’ai huit ans. Je suis morte dans la cour des grands. Je ne suis pas allée bien loin, parce que j’ai de toutes petites jambes. Je suis morte toute seule au milieu de la cour de l’école. C’est interminable, mais ça ne dure en réalité que quelques dizaines de seconde. Ça ne dure que quelques dizaines de secondes, mais c’est interminable. Je ne sais même plus si je me suis retournée. Je ne sais même plus si mon regard a croisé celui du monsieur.
Bonjour, je m’appelle Myriam et je suis morte seule sur le macadam de la cour de récréation sans personne pour me tenir dans ses bras.