« Nul n’est irremplaçable » : un bien curieux propos sur l’humain au travail
Qui n’a pas entendu cet adage, répété à l’envi, dans la sphère des grandes entreprises de culture traditionnelle ? Entretenant la peur parmi le personnel, ces mêmes employeurs se targuent souvent, au sein de leur direction RH ou exécutive, de compter parmi les plus gros créateurs d’emploi du pays.
A l’ère des modèles alternatifs sur le mode collaboratif qui fleurissent, ces propos semblent bien étranges, surtout aux yeux des jeunes générations qui arrivent. Et pourtant il n’y a pas si longtemps…
“De la terre au ciel se mesure la distance qui sépare la modestie de l’humilité”
Frédéric Laloux ne s’y est pas trompé, qui décrit dans son excellent livre « Reinventing Organizations – Vers des communautés de travail inspirées » (1) comment le cadre d’une entreprise ayant atteint le stade de la Réussite, s’est paré d’un masque de rationalité et a endossé le rôle du gars « calme, compétent et maître de la situation. »
Nous connaissons le vide existentiel qui s’en est trop souvent suivi, avec ses désordres en tous genres, dont le burnout semble aujourd’hui la manifestation la plus évidente.
De 1980 à nos jours, « nul n’est irremplaçable » a été entonné et repris par tous les types de cadres engagés dans la société active (du manager opérationnel au commercial en passant par les fonctions dites de support), avec cette double conviction que :
1- Seule la modestie permettait de relativiser son importance dans l’entreprise – fausse bonne idée intuition qui allait prémunir, croyait-on, contre l’indicible souffrance et honte de perdre un jour peut-être et quel que soit son engagement, emploi et privilèges.
2- Les membres de la Direction de l’entreprise dont ils faisaient partie (ou presque) se devaient d’être prêts à jeter le bébé avec l’eau du bain et à se saborder – jusqu’à aller supprimer leur propre emploi – si cela s’avérait intellectuellement nécessaire.
Et pourtant ces cadres, engagés souvent ad nauseam dans leur job, défendaient le business d’un patron, ils n’étaient pas les chefs de leur propre entreprise.
(1): Les Editions Diateino - Mai 2016 pour la traduction française - ISBN978-2-35456-105-5
Le fléau du burnout rend le changement urgent. Et le socle vacille
Les ravages liés au mythe du cadre dynamique ont permis un constat clair. Impossible de ne pas changer, au risque de voir imploser les mastodontes bureaucratiques au pied d’argile qui se font « uberiser » les uns après les autres.
Les questions suivantes paraissent simples : quel a été le sens de ces dévotions frisant le sacerdoce ? Qu’ont fait de ces managers les sociétés qui les emploient ? Et surtout : quel sens donner, maintenant, à notre vie au travail ?
Avec la reconstruction de l’individu vient aussi cette volonté, jetée comme un droit qui se revendique : « Ce que je ne veux plus, avant tout, c’est travailler dans un milieu anxiogène. Ma santé d’abord ! »
“Nous sommes nos choix” – Jean-Paul Sartre
Sans aller aussi loin que Frédéric Laloux qui pousse jusqu’au bout l’immédiateté de l’auto gouvernance, la suite est bien, déjà, en train de s’écrire.
Je suis unique et je le dis ! D’ailleurs je viens au boulot avec mon bagage entier. Je suis créatif, je suis émotions. Et j’ai un pouvoir : ma vulnérabilité, qui rend unique ma valeur ajoutée dans le groupe.
L’homme sacrifié a-t-il vécu ? Oui si l’on entend nos 15-25 ans, qui sont les travailleurs de demain.
Mais avant d’y arriver tout à fait - surtout si l’on veut limiter les mouvements de foule - il y aura encore un vrai chemin à parcourir. Il est temps de se réveiller pour le faire en douceur.
Michèle Lahaye
Public Driver - Corporate Expert - Board Member - Project Leader - Business Coach
7 ansJe m'en vais replonger dans ce livre, merci!