Orpaillage dans les cours d'eau au Mali: Le fleuve Niger se meurt
Des orpailleurs au moyen de drague Crédit photo: Bamada.net

Orpaillage dans les cours d'eau au Mali: Le fleuve Niger se meurt

Le Niger, 4200 km, est le fleuve le plus long d’Afrique de l’Ouest qui traverse le Mali sur 1700km. Depuis une dizaine d’années, il fait face à un péril d’un genre nouveau : le dragage. C’est une activité, qui selon l’Agence du Bassin du Fleuve Niger, mobilise plus de  40.000 personnes dans notre pays. En mai dernier, le gouvernement du Mali décide de le suspendre pour la durée d’une année après le constat de plusieurs conséquences dégradantes sur le fleuve. Dans la commune rurale du Mandé, Cercle de Kati, l’une des zones où elle est très pratiquée, son interdiction fait débat.

Le premier ministre malien Boubou Cissé à la Brigate fluviale après la saisie de nombreuses dragues

Boubou Cissé, le premier ministre malien à la Brigade fluviale après la saisie de nombreuses dragues. Crédit Photo: L'Essor

3 500 000 FCFA. C’est le montant que Broulaye Dialla a investi dans une machine d’extraction d’or comme c’était à la mode il y a six ans à Samanyana dans le cercle de Kangaba: la drague. Aujourd’hui avec la décision du gouvernement du Mali de suspendre en mai dernier toute activité de dragage sur tous les cours d’eau pour une durée d’un an, la drague de Broulaye Dialla dort à l’ombre d’un magasin dans la concession familiale au quartier des pêcheurs appelé « Somono-So », non loin du fleuve.  Pour s’occuper et subvenir aux besoins de sa famille, Broulaye Dialla est retourné à son activité d’antan, la pêche.

Être à la fois pêcheur et orpailleur dans le fleuve, voilà un curieux profil pour qui connait la nature des deux activités. Le dragage est une technique d’orpaillage au moyen d’un engin mécanisé, la drague, qui s’effectue au fond des cours d’eau. La drague est munie d’un moteur et des tuyaux pour l’extraction du gravier dans le fleuve traité ensuite jusqu’à l’obtention de pépites d’or. Il est fabriqué de façon artisanale par des menuisiers métalliques maliens. Broulaye Dialla  en a été attiré il y a six ans à cause du profit qu’on y faisait. Il décide alors d’abandonner la pêche au profit de l’orpaillage au moyen de  drague.

Ce 15 juillet, sous un hangar de sa maison, Broulaye Dialla s’affaire à nouer une nouvelle maille de filet destinée à attraper avec toujours  la même peine, des poissons qu’on trouve encore dans le fleuve. Il y voit une conséquence directe du dragage. « La pratique du dragage a considérablement réduit la réserve en poissons du fleuve. Elle embourbe l’eau et détruit les nids de poissons. », Reconnait-t-il en vrai expert bozo qu’il est. Avant l’avènement du dragage sur le fleuve Niger au début des années 1980, la quasi-totalité des besoins en eau du village  était réglée par le fleuve. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. « L’eau du fleuve est impropre à la consommation. Elle est polluée du fait que les dragueurs y déversent de l’huile de vidange des moteurs », déclare-t-il.vu des risques encourus par sa consommation,  la population de Samanyana a bénéficié de pompes manuelles et d’un château d’eau de la part de la Coopérative des Femmes pour l’Education, la Santé familiale et pour l’Assainissement (COFESPA), une ONG œuvrant pour l’amélioration des conditions socioéconomiques des communautés et de celles des femmes et des enfants en particulier. Parmi les produits chimiques utilisés, Broulaye Dialla confirme l’utilisation du mercure dans l’amalgamation, un procédé qui consiste à isoler l’or des autres minerais.

La décision du gouvernement du Mali de suspendre en mai  toute activité de dragage sur l’ensemble du territoire national est saluée par beaucoup d’habitants de Samanyana, à l’instar du chef du village, Siaka Diakité. Il regrette encore l’avènement de la pratique du dragage dans son village. A l’entrée de son salon, il est assis dans une grande tenue de chasseur dozo. Une tête de biche est suspendue à droite de la porte à une hauteur d’un mètre cinquante environ. Près d’elle est rangée une cinquantaine de photos sur lesquelles, on voit notre hôte du jour en compagnie de grandes personnalités de la République  de la République du Mali, comme Amadou Haya Sanogo, ancien chef de la junte militaire de 2012 ou encore Thierno Hass Diallo, le Ministre des Affaires religieuses et du Culte. D’un air consterné, il nous montre sur une affiche des animaux aquatiques et terrestres autrefois présents à Samanyana et qui, aujourd’hui, n’existent plus que de nom. « Le lamantin [espèce protégée] était dans notre fleuve et en grande quantité. A cause de l’action des dragues qui rendent l’eau boueuse et sans compter les produits chimiques que les orpailleurs y utilisent, on ne le voit que très rarement. » Il évoque également la pollution sonore, due aux bruits de moteurs de dragues, à laquelle sont confrontés les animaux aquatiques (les poissons, les tortues, les crocodiles, les hippopotames) et même les riverains. Nonobstant la suspension du dragage par le ministère des mines, le chef du village confie que « des personnes continuent toujours avec la pratique le soir vers minuit ». Siaka Diakité se défend d’avoir des arrangements avec les orpailleurs comme il en est le cas dans d’autres localités.

L’interdiction de l’orpaillage par drague par le gouvernement du Mali ne fait pas que des heureux.

A Badougou-Djoliba, village situé à 25 km de Bamako sur la route de Kangaba et distant de 10  km de Samanyana., la pratique de l’orpaillage au moyen de drague est très importante. Avec cette interdiction, c’est un tout autre langage qu’on y tient. « Nous ne savons plus à quel saint nous vouer. Les commerces ne marchent plus. Que les autorités reviennent sur leur décision d’interdire le dragage car elle est un frein à notre développement socioéconomique ». Voilà le cri de cœur de Souleymane Keïta, chef du village de Badougou-Djoliba. Sa position concernant la pratique de l’orpaillage dans le fleuve est sans équivoque : le dragage, souligne-t-il, n’a aucune conséquence néfaste pour le fleuve contrairement à ce qu’avancent les autorités. « Chez nous le dragage a considérablement baissé le taux de chômage et de l’exode rurale . Aujourd’hui nous ne dormons plus dans des cases, mais dans des bâtiments comme ceux de Bamako », renchérit Adama Kané dit « Koplan ». Il est le responsable local de la Fédération Nationale des Orpailleurs du Mali (FNOM). Pour lui, les arguments brandis par le Gouvernement du Mali afin d’interdire le dragage n’ont aucun sens. Il nie l’usage du mercure dans le fleuve auquel « les orpailleurs tiennent, car très précieux ». Quant au cyanure, il jure n’en avoir jamais vu. « Ce sont des orpailleurs Burkinabè qui l’utilisent fin de récupérer les restantes des pépites d’or disséminées entre les tas de graviers qui ont déjà fait l’objet de traitement de la part des dragueurs. », accuse-t-il. Les témoignages à Badougou-Djoliba sonnent tous comme  un plaidoyer en faveur du dragage. Mariam Kamissoko, représentante des associations féminines de Badougou-Djoliba est inquiète. Elle craint qu’avec l’arrêt des travaux de dragage les jeunes du village ne partent à l’aventure.

La vision des habitants de Badougou-Djoliba entre en formelle contradiction avec celle de plusieurs experts nationaux du domaine. Baba Faradji N’diaye est le chef du département protection et gestion des écosystèmes à l’Agence du Bassin du Fleuve Niger. En 2018, son service a participé à une mission conjointe d’évaluation des impacts de l’exploitation de l’or par drague initiée par le ministère de l’environnement et de l’administration du territoire. La mission a démontré l’impact du dragage sur la géomorphologie des cours d’eau et sur la santé. Elle a enfin aboutit en mai dernier à un arrêté interministériel qui suspend le dragage pour une année.

Les dommages des dragues causés au fleuve Niger sont énormes

Baba Faradji N’diaye est formel. Les dragueurs utilisent le mercure pour isoler l’or des autres minerais, un produit dangereux contre lequel la convention de Minamata (Japon) pose les jalons de son interdiction. Développée sous l'égide du Programme des Nations Unies pour l'Environnement et adoptée à Kumamoto, au Japon, le 10 octobre 2013, cette convention internationale vise à protéger la santé humaine et l'environnement contre les conséquences néfastes du mercure.

Baba Faradji N’diaye explique qu’en dehors des produits chimiques utilisés, l’orpaillage au moyen de dragues a aussi pour conséquence de rendre le fleuve boueux et donc de soulever du sable qui, entré en contact avec les branchies, constitue un réel danger pour la respiration des poissons. Il ajoute que l’eau boueuse ne permet pas une bonne alimentation de la faune aquatique en rayons lumineux, très importants pour la viabilité de celle-là.Dans un rapport de mission datant déjà de mai 2012 de la Direction Nationale de l’Assainissement et du Contrôle des Pollutions et des Nuisances dans le cercle de Kangaba, le constat est inquiétant. « Pollution due au déversement d’huile et de carburant, perturbation de la faune aquatique, encombrement du lit », les dommages des dragues causés au fleuve Niger sont énormes.

Le nouveau code minier prévoit l’interdiction totale de l’orpaillage au moyen de drague au Mali

Il en est ressorti également que beaucoup de sociétés de dragage exercent librement sans aucun permis. Selon Baba Faradji N’diaye, le nombre de dragues en activité sur tous les cours d’eau au Mali, avant l’interdiction, est d’environ 5000. La quasi-totalité de ce nombre exerçait sans permis en parfaite violation de L’article 46 de la Loi du 27 février 2012 portant Code minier qui dispose :« L’exploitation artisanale mécanisée de substances minérales est exercées par les détenteurs de l’autorisation d’exploitation artisanale mécanisée. L’exercice de cette activité est autorisé par arrêté du Ministre Chargé des mines. » L’article poursuit que « L’autorisation d’exploitation artisanale mécanisée est attribuée à des personnes physiques de nationalité malienne ou à des personnes morales dont le capital social est exclusivement détenu par des Maliens. L’exploitation artisanale mécanisée est exercée dans les couloirs d’exploitation artisanale, avec l’avis favorable exprès des Collectivités Territoriales dont dépend le couloir. »

A en croire la Ministre des mines et du pétrole, Mme Lelenta Hawa Baba Ba, d’ici à la fin des 12 mois de suspension du dragage, la relecture prochaine du code minier de 2012 prévoit l’interdiction totale de la pratique au Mali. Après des années d’orpaillage au moyen de dragues, vu ce qui se profile à l’horizon, Boulaye Dialla a peut-être raison de se doter de nouvelles mailles de filet. Cependant la moisson risque d’être difficile.

Boubacar DIALLO et Mohamed TOURE,

Étudiants à l’École de Journalisme du Mali

 

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