Péril jeune, vraiment ?

"Une erreur répétée, n'est pas une erreur, c'est un choix" nous dit Paolo Coelho. Mais quel est donc le choix derrière la répétition de cette idée reçue que les jeunes seraient "les premières victimes de la crise économique" ? Dans un pays où 800 000 demandeurs d'emploi de plus de 45 ans sont au chômage depuis plus d'un an, n'y a-t-il vraiment qu'un "péril jeune" ?

"Emploi : Le péril jeune". Le magazine Liaisons sociales, habituellement un peu plus professionnel dans son approche des sujets RH, fait très fort ce mois-ci."Les jeunes sont les premières victimes de la crise économique liée au virus" affirme d'emblée l'article...  

Outre le fait qu'il faut se méfier du concept de "premières victimes" qui sous-entend en général que les "deuxièmes" n'ont qu'à la fermer pendant que l'on s'occupe des autres, cette façon de hiérarchiser les demandeurs d'emploi en fonction de leur âge plutôt que de leur besoin est aussi absurde qu'injuste.

Méfions nous du concept de "premières victimes" qui sous-entend en général que les "deuxièmes" n'ont qu'à la fermer pendant que l'on s'occupe des autres.

Absurde, parce que les chiffres contredisent l'affirmation du journal. Si on prend un échantillon de dix demandeurs d'emploi, on trouve UN jeune et QUATRE "seniors". Quelle population a le plus souffert de la crise en voyant le nombre d'offres d'emploi s'effondrer ? Le problème du projet de réforme des retraites était le faible taux d'emploi des seniors. Ce n'est plus un sujet ? 

Injuste, car, quand vous avez vingt ans, 6 mois de crise sanitaire, c'est l'équivalent d'un retard sur votre carrière de la durée d'un demi service militaire (vous vous rappelez ce truc imposé aux "seniors" d'aujourd'hui dans leur jeunesse d'hier). Ok, c'est pénible, mais cela reste supportable (surtout si, comme un jeune sur deux, vous êtes encore chez papa-maman). Quand vous avez 50 ans, cela signifie que vous passez dans la case des demandeurs d'emploi de longue durée dont les chances de retrouver un emploi s'amenuisent un peu plus chaque matin. Il y a en France près de 800 000 demandeurs d'emploi de plus de 45 ans cherchant depuis plus d'un an. Il y a des moments où 6 mois de plus ou de moins, ça change tout.

Il y a près de 800 000 demandeurs d'emploi de plus de 45 ans cherchant depuis plus d'un an. Il y a des moments où 6 mois de plus ou de moins, ça change tout.

Cerise sur le gâteau, le plan "Un jeune, une solution" prévoit un allègement de charges pour les entreprises qui recrutent des jeunes. Et hop, en un trait de plume, plus de 400 000 demandeurs d'emploi (ou titulaires d'un petit boulot, souvent précaire) de plus de 45 ans sans formation n'ont plus qu'à dire adieu à toute perspective emploi. Entre un jeune sans charge et un senior, sans formation mais chargé, qui choisira le 45+ ???

Dans tous les cas, il est absurde de généraliser. Bien sûr, certains jeunes traversent des situations très difficiles (et l'on ne peut que se féliciter que des structures comme les Missions Locales, sans équivalent pour les "seniors", existent pour les accompagner), bien sûr, d'autres peuvent voir leurs espoirs de formation ruinés par l'impossibilité de trouver une alternance... Mais ce ne sont ni TOUS les jeunes, ni, encore moins, TOUS les demandeurs d'emploi.

Lors de la crise sanitaire que nous venons de traverser, le message des soignants était clair : prendre soin de ceux qui en ont le plus besoin, quel que soit leur âge ou leur situation personnelle. Ne serait-il pas important de le reprendre à notre compte en matière d'emploi, tout en veillant à ne pas créer de concurrence entre les générations ? Il y a des centaines de milliers de personnes, jeunes comme moins jeunes, qui souffrent vraiment du fléau du chômage. C'est pour eux, qu'ensemble nous devons concentrer nos efforts, même si cela ne donne pas d'aussi beaux titres aux patrons de presse.

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