« Parcours emploi compétence » et « french impact » : de quel monde parlons-nous ?
Je vous recommande la lecture du communiqué du Collectif des associations citoyennes, « De l’action associative au « Parcours emploi compétences » et à la « French impact », une régression spectaculaire ! » publié le 22/01/18. Parce que je le trouve, comme tous les écrits du CAC, très juste. Et parce que sa lecture me laisse un goût amer. Quoi de mieux que des mots pour en estomper la violence ?
Je me suis engagée dans l’éducation populaire et le monde associatif, puis plus largement dans l’économie sociale et solidaire, par conviction. Parce que je crois que la solidarité, l’entraide, l’émancipation pour tou.te.s, ne sont pas de vains mots ou des idées creuses. Toutes sont portées par des femmes et des hommes qui font ce qu’illes font parce que ça représente quelque chose de fort pour eux, parce que c’est présent dans leurs tripes, parce que ça donne du sens à leur vie, parce que c’est le sens de leur vie. Mais aussi par des femmes et des hommes qui ne se mentent pas à elles ou eux-mêmes, ni aux autres, qui réfléchissent à ce qu’illes font et aux conséquences que cela peut avoir, pour elles ou eux, pour les autres, pour les relations entre les gens, la société, la planète… Pas simplement pour leur développement personnel, pour celui de leur image ou de leur porte-feuille.
C’est pour cela que je suis en total désaccord avec la politique du gouvernement actuel, notamment pour ce qu’il veut faire de l’ESS en général et des associations en particulier : en gros, des startup, c’est-à-dire le modèle qu’il veut calquer sur tout le monde de l’entreprise, et même sur la société entière. Mais c’est quoi ce modèle ?
Définition dans Wikipédia : « Une startup (jeune pousse, société qui décolle, en anglais) est une nouvelle entreprise innovante, généralement à la recherche d'importantes levées de fonds d'investissement, avec très fort potentiel éventuel de croissance économique, et de spéculation financière sur sa valeur future (création d'entreprise). (...) son taux de risque d'échec est très supérieur à celui d'autres entreprises, de par son caractère novateur, sa petite taille et son manque de visibilité. »
Appliquée à la société, aux associations et à l’ESS, cette définition me laisse songeuse… Les seuls objectifs sont l’innovation et la croissance économique, et ce rapidement, dans la précarité, sans réflexion sur les besoins réels des gens, ni sur les conséquences de l’échec éventuel, les emplois perdus, l’incidence écologique, et même le fric gaspillé…
Alors voilà, parce que les contrats aidés « ont servi à combler une réduction des subventions publiques au secteur associatif » (selon le rapport Borello), ce qui n’était pas leur vocation, le gouvernement ne va tout de même pas regarder quoi faire pour aider les associations, non, juste « remplacer les contrats aidés par des « parcours emploi compétences » contenant des obligations précises et contrôlées par l’employeur », avec une optique d’employabilité mais sans garantie ni de travail ensuite ni de formation, pas prioritairement pour les jeunes qui devront s’orienter vers des contrats en alternance… donc pour celles et ceux qui sont en formation et selon un modèle encore orienté « entreprise ».
Et parce qu’il veut montrer qu’il est franchement ouvert d’esprit, le gouvernement ne laisse pas l’ESS en reste et lui offre un accélérateur national d’innovation sociale, en (bon) français : le « French impact ». Où il est question de « mieux identifier les projets innovants ; mieux financer la croissance des innovations sociales ; mieux expérimenter l’innovation sociale ; mieux mesurer l’impact social des innovations ; mieux accompagner les entreprises »… et pas du tout ce qui est l’essence même des associations, la solidarité, le lien social, le partage, la culture, la justice…
On mesure ainsi l’importance de la bataille des idées, mais aussi celle des mots : les mots qui font joli en ce moment, la novlangue qui signifie qu’on fait partie de la France moderne qui gagne, contre les mots ancrés dans notre histoire et qui dessinent un monde bien différent.
Psychanalyste - psychologue clinicienne
6 ansMerci Frédérique pour cette belle analyse