Parfois, un changement de lentille c'est tout ce qu'il faut...
Il y a deux ans, je m’identifiais avec cet article de l'Orient le Jour par Lamia Sfeir Darouni... plus jamais.
Un extrait de l' article: "Parce que je fais partie de cette génération qui s'est retrouvée réfugiée dans son propre pays, ballottée d'une région à une autre, refusant l'aumône, subissant avec dignité son sort, dans le silence assourdissant de l'opinion internationale. Parce que surtout aujourd'hui j'essaye de lutter pour mieux me relever, d'effacer le passé pour mieux rebondir et d'oublier pour mieux me reconstruire. Voilà pourquoi je ne veux plus revivre et subir ces douloureux instants. Voilà pourquoi je refuse inconsciemment tous ces réfugiés dans mon pays. Voilà surtout pourquoi je ne veux plus être témoin de la guerre des autres. Parce que ma guerre, je ne l'ai pas encore oubliée, pour pardonner et accepter.
Bien que dans mes veines coulait un sang libano-syrien, j’avais toujours ignoré voire même caché ce mélange d’où je venais. J’étais libanaise et je ne voulais rien savoir de mes origines ¼ syriennes, car je n’avais pas oublié la peur inhumaine que l’occupation syrienne nous a fait vivre durant presque toute mon enfance, mon adolescence, et mes années de jeune adulte, cette peur qui m’a fait quitter mon pays à tout jamais.
Je m’identifiais avec ce poste jusqu’au jour où j’ai eu la chance de parler avec un jeune réfugié syrien. Il avait accepté de participer à mon projet de recherche, n’ayant aucune idée de l’effort que je faisais pour masquer ma rage contre son pays. Durant ma deuxième entrevue, je n’ai plus été capable de me contrôler, et je lui ai posé la question qui me rongeait le cœur :
Pourquoi ? Pourquoi quand les libanais souffraient sous l’oppression syrienne, aucun syrien n’a ouvert la bouche et s’est prononcé contre ce régime qui nous torturait ? Pourquoi ton peuple a laissé mon peuple souffrir ?
Sa réponse était :
On vient d’ouvrir la bouche et 4 millions Syriens n’ont plus de pays.
J’ai senti sa réponse me gifler jusqu’à l’âme.
Il a continué par me raconter comment son peuple vivait la peur et l’oppression, comment son père paniquait si une conversation contre le régime commençait dans sa propre maison. Les murs avaient littéralement des oreilles, d’après le père. Soudain, ma façon de voir mon propre passé a changé, mon ennemi ne l’était plus.
Probablement les faits politiques étaient plus complexes que ça mais à ce moment, en écoutant sa réponse, ses construits ont bouleversé les miens.
Le peuple syrien qui souffre aujourd’hui est le même peuple qui a vécu des années d’oppression dans sa propre maison, par ses proches, et qui était incapable de sauver ma vie de peur de perdre la sienne.
Peut-être les libanais ne pourront jamais oublier, la plaie est trop profonde pour juste l’ignorer, mais il faut faire un pas en arrière, essayer de changer de lentille et réexaminer ce passé. Les réfugiés syriens ne sont pas nos ennemis. Il faut arrêter de généraliser.
Eux ... nous… nous deux étions forcés de devenir victimes, et c’est le temps que nous deux nous cessons de l’être.