Parlons Diplomatie Climatique!
Qu’est ce qui pourrait expliquer les blocages dans les négociations internationales ? Pourquoi les COP n’aboutissent pas à une action climatique efficace ?
Un voyage dans les greentheories nous apprend que la problématique environnementale s’est, depuis les années 1970, introduite dans les relations internationales et reste la préoccupation majeure de la diplomatie climatique. Mais, de 1992 à nos jours, l’implication de la science, à travers divers rapports du GIEC, a conduit à une prise de conscience, par les politiques, de l’âge Anthropocène et de la responsabilité de l’homme dans la transformation de l’écosystème terrestre.
L’environnement, comme problématique transnationale, qui selon François Gemenne, englobe tous les domaines de la vie publique, teint ainsi un nouveau visage de la géopolitique mondiale et son inscription dans l’agenda de l’ONU appelle à une coopération internationale. A cet égard, la Conférence des Parties, sous l’égide de l’ONU et de la Convention Cadre des Nations Unies pour le Climat, offre un cadre institutionnel qui permet de réfléchir à une gouvernance mondiale de la problématique climatique. Ainsi, de 1995 à 2022, nous pouvons compter, de la COP1 à Berlin, à la COP 27 à Sharm El Sheich, 27 réunions annuelles, ayant réuni les gouvernements mondiaux autour d’une table, pour trouver une solution commune au changement climatique. En 2015, à la COP 21 de Paris, l’accord final visait à contenir « l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels »[1].
Toutefois, il existe un véritable « schisme » entre l’action politique internationale mise en œuvre jusqu’ici et les mesures nécessaires pour ralentir un changement climatique qui ne cesse d’empirer (Aykut et Dahan, 2015)[2]. D’ailleurs, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de plus de 60 % entre le Sommet de la Terre à Rio en 1992 et la Conférence de Paris en 2015 (Laurent, 2015)[3]. En 2022, alors que les Etats se réunissent à la COP 27, les conclusions du Global Carbon Project montrent que les émissions mondiales de CO2 en 2022 restent à des niveaux records, sans aucun signe de la diminution nécessaire et urgente pour limiter le réchauffement à 1,5°C. L’article sur le bilan global du carbone prévoit que les concentrations de CO2 dans l'atmosphère atteindront 417,2 parties par million en 2022, soit plus de 50 % au-dessus des niveaux préindustriels[4]. Plus les Etats négocient, plus l'urgence climatique est alarmante. Alors, qu’est ce qui bloque ? Le modèle de développement, les divergences d’intérêts, la pluralité des acteurs, le manque de contrainte dans les accords signés,… Les facteurs de blocages sont multiples, mais prenons l’exemple du premier cité.
Une divergence de conception du modèle de développement est clairement un frein à la diplomatie climatique. Le modèle de développement néolibéral s’oppose au modèle de développement durable. Le premier étant un modèle d’exploitation intensive non approprié avec la problématique environnementale et le second étant une alternative qui tente de concilier développement et écologie.
D’un côté, le modèle néolibéral s’inscrit dans une idéologie de croissance continue, d’individualisme et d’industrialisation massive, de consommation de masse, d’absence de régulation et surtout de surexploitation des ressources naturelles. Ces caractéristiques vont à l’encontre des limites et frontières écologiques. La surexploitation de l’énergie et la privatisation des moyens de production menacent le droit des générations futures à profiter de ces mêmes ressources naturelles. Le rapport de la planète vivante 2012 affirme que la demande des ressources naturelles a doublé depuis 1966 au point que nous consommons aujourd’hui l’équivalent d’une planète et demie pour accomplir nos activités[5].
De l’autre côté, le développement durable apparaît comme une réponse à ce danger. De par ses principes et son contenu, le développement durable est un modèle jugé inclusif et capable de répondre aux défis climatiques mondiaux. Dans la définition du rapport Brundtland de 1987 intitulé Our Common Future, le développement durable est « un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »[6]. Il sous-entend une certaine solidarité et une équité intergénérationnelle, mais aussi une symbiose entre la personne humaine et son environnement. Le social, l’économie et l’environnement sont les trois piliers, the triple bottom line, qui fondent le développement durable. Une belle solution pour l’environnement certes. Mais, les Etats sont-ils prêts à reposer leurs économies sur de tels piliers ? L’intérêt national ne prédomine-t-il pas sur l’intérêt global ?
Après des divergences liées au mode de production, il faut souligner les divergences d’intérêts des acteurs du climat. La diplomatie climatique a cette particularité de transcender les négociations interétatiques pour s’élargir à d’autres acteurs clef et très diversifiés comme les ONG, les OIG, la société civile. D’un côté, il y a la position des pays développés, de l’autre, celle des pays émergents sans parler de la place des acteurs non étatiques dans le processus de négociation mais aussi du poids de l’Afrique et des enjeux climatique qui se présentent à elle. Rappelons que développement rime avec industrialisation dans le système capitaliste. Pourtant, l’industrie est le troisième secteur producteur de dioxyde de carbone avec 21 % en 2010 et 18 % en 2018. Mais au vue de la relation étroite entre les Etats et leurs industries, on conclurait que les pays industrialisés n’ont aucun intérêt à ce que les négociations climatiques aboutissent car cela constituerait un frein à leur développement. Pourtant, ce sont ces mêmes pays industrialisés, à l’instar des Etats Unis et de l’UE qui se disputent le leadership mondial de la diplomatie climatique. Ce qui parait contradictoire.
A cela, il faut ajouter la question de la justice climatique fermement défendue par les pays du Sud. Comme Stefan Aykut et Amy Dahan (2015) le soulignent en effet, « les questions d’équité et de justice climatique sont « aujourd’hui plus que jamais » au cœur des négociations climatiques[7] » Aujourd’hui, « la montée en force des BRICS, leur croissance accélérée marquée par une consommation d’énergie massive, ou encore la montée d’élites et de classes moyennes dans les pays du Sud sont autant d’éléments qui montrent que les pays émergents sont dans une logique de rattrapage économique et font désormais partie des principaux acteurs du climat, avec un rôle très important dans l’augmentation des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le développement de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient représenterait déjà 60 % de la hausse de la demande énergétique mondiale. A la Conférence de Varsovie de 2013 sur les changements climatiques, la Chine et l'Inde ont encore fait valoir leur position déjà connue sur la question climatique à savoir que les pays du Nord doivent fournir beaucoup plus d’efforts dans le projet de réduction des gaz à effet de serre, en raison de leur responsabilité historique.
Cette même cause est défendue par les Etats africains qui restent les plus vulnérables à la problématique climatique malgré leur faible participation aux émissions de gaz à effet de serre qui s’estiment à seulement 3%. Selon les Nations Unies, sur les 10 pays au monde les plus menacés par le changement climatique, 7 sont africains. L’engagement de l’Afrique dans les négociations climatiques n’est pourtant plus à nier aujourd’hui.
Mais, pour garantir sa transition énergétique, l’Afrique réclame un transfert de technologies, des financements et un renforcement des capacités de la part des pays développés en raison de leur responsabilité historique. En 2009, à la COP 15 de Copenhague, le débat sur la problématique du financement aboutit à un « engagement collectif des pays développés » à financer l’adaptation des pays en développement. L’objectif de cet engagement officialisé à Paris, à la COP21 de 2015 consiste à mobiliser ensemble 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour répondre aux besoins des pays en développement ». Aujourd’hui encore, seulement 10% de cette somme a été financée et l’Asie reste le continent qui profite le plus de ce financement. Pendant ce temps, la position africaine concernant ce financement a changé et la somme réclamée à la COP 26 de Glasgow est désormais de 1300 milliards USD par an, évaluée sur la base des CDN. En 2022 à Sharm El Sheikh, le vice-président de la Banque africaine de développement, Kevin Urama affirmait que « les parties prenantes à la COP27 doivent vite s’atteler à combler les lacunes du financement climatique en Afrique – 108 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 -, prendre des mesures concernant le Fonds « pertes et dommages » et entamer des discussions sur les réformes de nature à adapter les flux des financements climatiques à la vulnérabilité climatique croissante des pays ». Il faut admettre que les pays développés ne sont pas prêts à déployer une telle somme. Ceci renseigne encore une fois sur les divergences d’intérêts qui freinent la diplomatie climatique.
Recommandé par LinkedIn
Cependant, s’il faut après tout positiver, la lueur d’espoir serait à chercher dans cette dynamique de plus en plus forte de la société civile motivée à agir pour sauver la planète déjà agonisante. A la COP 27, le succès a été d’avoir réuni, dans un même endroit, des membres de la société civile, venus de partout dans le monde et agissant dans une solidarité naturelle pour la cause climatique, malgré l’impact limité de leur pression, sur la diplomatie climatique. En Afrique, il faut noter une bonne dynamique de la jeunesse africaine de plus en plus consciente des défis climatiques et de plus en plus prête à agir à travers de petites actions qui peuvent être valorisées par les Etats et vulgarisées dans les instances de décisions.
[1] https://unfccc.int/sites/default/files/french_paris_agreement.pdf
[2] Stefan C. Aykut, Amy Dahan, Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Développement durable », 2015, 750 p., ISBN : 978-2-7246-1680-4
[3] Bourban, Michel. « Justice climatique et négociations internationales », Négociations, vol. 27, no. 1, 2017, pp. 7-22.
[4] Friedlingstein et al. (2022) Global Carbon Budget 2022. Earth System Science Data
[5] WWF, Rapport Planète Vivante, 2012 : https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2017-09/12_rapport_lpr2012.pdf
[6] WCED, Rapport Brundtland, «Our Common Future», 1987.
[7] Stefan C. Aykut, Amy Dahan, Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Développement durable », 2015, 750 p., ISBN : 978-2-7246-1680-4
Environnementaliste at MEDA CONSEILS
1 ansCe qui bloc principalement les négociations est le rapport de force entre le pollueur et la victime. C'est le pollueur qui élabore la politique de lutte contre les CC, finance et met en oeuvre. Que voulons de meilleurs si non que le blocage ?
Environnementaliste at MEDA CONSEILS
1 ansMerci Rama pour cette réflexion très intéressante, Parlant "Diplomatie climatique" je vois beaucoup plus les instruments et stratégies juridique pour une adaptation effice des zones vulnérables face aux CC. Ce n'est qu'un pan de la problématique qui peut-être approfondie dans la multiplicité des problèmes liés à la gestion efficace des CC. Les conventions et autres formes formes juridiques a doptées à ce jour ont presque toutes échouées à cause de la mauvaise fois des pays industrualisés à les mettre en pratique. Dans ce sens je dirai que la diplômatie climatique sera une qpproche à proposer aux pays du sud peu contributeur à l'émission des GES mais gros victimes des conséquences. L'Agenda 2063 est une forme de diplomatie climatie climatique si et seulement si l'UA arrive à réaliser de manière autonome et indépendante les 3 ambitions relatives au climat sur les 63. Donc un regroupement solide, ambitieux et réaliste des pays vulnérables aux CC s'impose pour définir à eux la stratégie à adapter car les pollueurs feront toujours ce qui les arrange surtout s'ils démeurent juges et parties.
PhD Candidate in Political Science specialising in Climate Diplomacy / Visiting Researcher at CIAT-CGIAR
1 ansMon cher ami Abdoulaye Ly merci pour le partage
PhD Candidate in Political Science specialising in Climate Diplomacy / Visiting Researcher at CIAT-CGIAR
1 ansYunuça GUEYE mon mentor 2.0 merci pour le partage, c'est encourageant.
PhD Candidate in Political Science specialising in Climate Diplomacy / Visiting Researcher at CIAT-CGIAR
1 ansSouzane Marietou GUEYE un plaisir de te revoir sur LinkedIn. Merci pour le partage .