PASSION JAPON - TOKYO
Cet article sera très certainement le dernier sur LinkedIn, j’ai le plaisir de vous annoncer que je reprends mon envol vers mon pays de cœur.
Tokyo ville résiliente, résiliente à des tremblements de terre, à des bombardements incendiaires en temps de guerre, à des incendies massifs. Pourtant, la ville a toujours ignoré toutes les forces qui semblaient déterminées à la détruire, en se réinventant un futur avec un regard constant sur son passé.
Lorsque je suis arrivée à Tokyo en 2019 j’ai eu l’impression que l’on m’avait catapultée sur une autre planète. Je me suis sentie happée par cette ville, j’avais devant moi une « fourmilière », Tokyo m’a délesté de tous mes repères et j’ai abandonné ma « valise » occidentale, elle m’était désormais inutile, je devais tout réapprendre, je parlais l’anglais, mais oh stupeur tout était écrit en japonais et mes trois années de japonais se révélèrent bien vite insuffisantes et mon anglais professionnel piètre support pour faire face aux idéogrammes et aux futures difficultés administratives qui m’attendaient. Je dois reconnaître que mes craintes furent très vite balayées par la gentillesse des Tokyoïtes.
Tokyo, l’étourdissante, Tokyo la trépidante, où le jour et la nuit s’entrelacent, avec ses commerces qui semblent ne jamais vouloir fermer, Tokyo la moderne avec ses embouteillages, ses gratte-ciels, avec ses publicités agressives qui dansent sur les façades des quartiers branchés et notamment à l’intersection des artères de Shibuya, ses trains qui se croisent et s’entrecroisent sur différents niveaux, un métro déconcertant avec sa ligne circulaire de Yamanote, et son imbroglio de lignes, j’étais comme Alice aux Merveilles dans son labyrinthe.
Tokyo a opté pour la « démesure » mais une démesure organisée.
Et si l’on prend le temps de flâner dans ses petites rues adjacentes, discrètes comme si elles voulaient préserver leurs secrets, un autre Tokyo se dévoile, plus intime, avec ses maisons de bois, ses temples, ses jardins cachés, loin de l’agitation, un Tokyo nostalgique.
Tokyo a fait le choix après 1945 de se tourner résolument vers la modernité tout en respectant ses traditions.
J’ai ainsi commencé mon voyage au rythme des petits pas d’une « geisha » qui chemine dans les rues de Kyoto, étrange métaphore, mais j’ai pris mon temps pour découvrir Tokyo à mon rythme, j’ai bien vite abandonné les guides touristiques et j’ai erré dans ce Tokyo moderne, historique, littéraire, traditionnel, j’ai découvert de véritables pépites et je vais bientôt reprendre mes pérégrinations en octobre 2023 lors de mes moments de liberté.
Ce qui frappe à Tokyo c’est sa propreté. Je suis parisienne et Paris, malgré sa réputation de ville « romantique » et son passé historique, Paris est une ville pas très propre et nauséabonde, il faut très souvent faire du gymkhana entre les trottinettes, les détritus, les déjections canines, mégots de cigarettes, une ville hostile la nuit. La réputation de Tokyo comme ville propre et sûre n’est pas usurpée mais « Nobody is perfect » il est à noter que le taux de délinquance et de criminalité est en légère augmentation, cependant, il reste l’un des plus faibles des pays développés.
La propreté au pays du Soleil levant est une question d'éducation. Le sujet est omniprésent à l'école, mais aussi dans les familles, dès le plus jeune âge. « C'est mal de laisser les choses consommées dans les espaces communs ». On éduque aussi au « tri ». Il y a peu de poubelles dans les rues, car les déchets sont ramenés à la maison, dans les écoles ce sont les élèves qui nettoient les classes. Il est interdit de fumer dans la rue. Vous pouvez vous promener avec votre chien, il y a même des parcs réservés pour eux. Néanmoins vous devez vous munir d’une bouteille d’eau pour arroser l’urine et de sacs plastiques pour les déjections.
La propreté est un problème culturel et d’éducation que les Parisiens et les français n’ont pas intégrée.
En ce qui concerne les personnes sans domicile fixe, il y en a mais elles « semblent invisibles » dans les rues et très souvent elles se réfugient dans de petits parcs mais comparativement à Paris, le taux est très faible peut-être cela s’explique-t-il par un taux d’immigration très bas. C’est une hypothèse.
Ce qui fut pour moi difficile de comprendre c’est son métro, apprendre et comprendre les différentes lignes de train et de métro qui sillonnent la ville, elles n’appartiennent pas à un organisme unique mais à de multiples compagnies privées et quand on change de ligne on change de compagnie. J’avais constamment les yeux rivés sur mon plan.
Néanmoins ce n’est pas pour vous narrer mes pérégrinations tokyoïtes que j’ai souhaité rédiger cet article. Férue d’histoire, il m’a semblé tout naturel de m’intéresser à cette ville dont l’histoire est relativement récente et comment cette ville s’est développée.
Un peu d’histoire
Il était une fois un village de pêcheur…
Un village qui ignorait qu’il deviendrait une capitale de plus de 12 millions d’habitants et le poumon économique du Japon.
Mais reprenons le cours de notre histoire
On date à la fin du XIIème siècle l'existence d'un village de pêcheurs appelé Yedo ou Edo (port du golfe) situé dans une plaine basse inondée par les marées, à l'embouchure du fleuve Sumida.
A noter que Tokyo possède un réseau de voies fluviales qui traversent la ville. Autrefois, ces cours d’eau étaient utilisés pour le transport des personnes et des marchandises au sein du vieil Edo. Aujourd’hui, ils sont un havre de paix et de fraîcheur loin du tumulte de la ville.
En 1457, un guerrier nommé Ota Dokuan, membre du clan Uesugi, mieux connu sous son nom bouddhiste Ota Doka, un daimyo dans la province de Musashi construisit une enceinte fortifiée autour de laquelle la population du marais se concentra. (Il fait aujourd'hui partie du palais impérial de Tokyo et se trouve dans l’arrondissement de Chiyoda).
De 1486 à 1524, la forteresse fut occupée par un vassal de la famille Uyesugi, un clan de samouraï japonais la province de Echigo, connu pendant les périodes Muromachi* et Sengoku*.
Vue aérienne des parties intérieures du château d’Edo, aujourd’hui l’emplacement du palais impérial de Tokyo.
*Période Muromachi également connue comme période Ashikaga qui représente la période du Shogunat Ashikaga (1338-1573).
*Période Sengoku ou la période des provinces en guerre. Des conflits, des intrigues, des vassaux qui se rebellent, une époque chaotique
Daimyo (grand nom) titre nobiliaire qui désigne un gouverneur
En 1543, les premiers occidentaux, des marchands et missionnaires espagnols et portugais, arrivent au Japon. Les Japonais découvrent alors la religion chrétienne et les armes à feu.
En 1549, François Xavier et quelques jésuites débarquent à leur tour et fondent la mission chrétienne du Japon, pays dont ils seront deux ans durant les premiers explorateurs.
« Cipango » c’est sous ce nom chinois que l’Europe entendit parler du Japon par l’intermédiaire de Marco Polo qui lors de son voyage en Chine en suivant la route de la soie eu vent d’un pays insulaire à l’est de la Chine. Ce serait en quête de richesses mythiques de Cipango que le célèbre Christophe Colomb découvrit par hasard le continent américain.
Un prosélytisme avorté…
Les Jésuites voulurent imposer leurs pratiques religieuses sans comprendre les traditions et les religions nationales.
Mais qui était François-Xavier, arrivé sur l’Archipel en 1549 ?
Un prêtre jésuite qui joua un rôle majeur dans l'introduction de cette religion. Son travail de missionnaire le conduisit à Hirado, dans la préfecture de Nagasaki. Dans cette région, le christianisme prit racine profondément, et les « chrétiens cachés » préservèrent leur foi pendant des siècles d’interdiction et de persécution. Les nombreuses églises toujours présentes en sont le témoignage.
Ce prosélytisme mal accepté, conduira à l’extermination de nombreux missionnaires et au refus de toute influence occidentale et au repli du Japon sur lui-même pendant plus de deux cents ans. (Sakoku)*
*Sakoku (pays fermé) fut la politique étrangère isolationniste du shogunat japonais Tokugawa en vertu de laquelle, pendant une période de 214 ans, les relations et le commerce entre le Japon et les autres pays furent sévèrement limités, presque tous les ressortissants étrangers se sont vu interdire l'entrée au Japon.
Hideyoshi, nommé "général" du shogun par l'empereur, décide alors de transférer la capitale du shogunat de Kyoto à Edo et envoie son fils pour la conquérir.
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Une ville d’un million d’habitants dès le XVIIIe siècle
Un imposant château édifié auprès d’un modeste village le décor est planté, Tokyo est appelé alors Edo, son essor commence en 1590 quand Toyotomi Hideyoshi (1537-1598) donne l’ordre à Tokugawa leyasu d’y installer le siège de son fief, transféré dans la région du Kantô.
Le Kantô est une région majeure, qui abrite la mégalopole de Tokyo, le Kantô concentre presque un tiers de la population japonaise.
Tokugawa laisse donc les cinq provinces qu’il occupait dans la région de Nagoya. Il édifie un château à l’emplacement du palais impérial actuel, au bord de l’anse de Hibiya et du modeste village qui la longeait
L'ESSOR D'EDO : (1616-1868)
Tokugawa Ieyasu et la fondation du Shogunat d’Edo
En 1603, la forteresse d'Edo et son village sont conquis par Tokugawa leyasu, petit aristocrate provincial, qui réussira à unifier le Japon et à écraser les seigneurs dissidents.
1624, tous les étrangers sont expulsés du Japon et en 1633 les Japonais n'ont plus le droit de quitter l'archipel (sous peine de mort) puis en 1637, les navires sont interdits.
Dès 1700, Edo devient l’une des premières villes du monde avec plus d’un million et demi d’habitants
A cette époque, la ville est divisée en deux parties, les hauteurs de la ville (Yamanote) abritent les daimyos et les samouraïs qui se préservent ainsi des inondations et des désagréments générés par les anciens marais et la ville basse (Shitamachi) où vit le peuple dans des masures de bois et de bambou.
De nombreux incendies ravagèrent la ville basse notamment celui de 1657 (Meireiki) qui fut particulièrement meurtrier.
Pourquoi Meireiki ? c’est le nom de l’Ere impériale, ce nom fut donc synonyme de catastrophe et l’ère impériale fut renommée « Mangi »
Sous le régime des Tokugawa, Edo sera en constante expansion. Une des raisons majeures de son développement rapide est le système de la « résidence alternée » (sankin kôtai) imposé par le shogun aux daimyôs, les seigneurs féodaux. Ces derniers devaient, en effet, séjourner alternativement entre la capitale et leur fief.
La capitale shogunale était très animée, en particulier le quartier de Nihonbashi ainsi appelé à cause du pont construit en 1603 par Tokugawa Ieyasu lorsqu’il fut nommé shogun (seii taishôgun, littéralement « grand général pacificateur des barbares ») par l’empereur.
Tokugawa Ieyasu développa les voies de communications, promut les arts, la culture, un Japon certes isolé mais désormais pacifié.
Mais déjà la chute du Shogunat s’annonçait, notamment en 1853 avec l’arrivée des bateaux du Commandeur Matthew Perry qui sous couvert d’apporter un message « d’amitié » émanant du Président Américain Franklin Pierce accoste au Japon. Ce message se révéla en réalité d’une injonction à se soumettre.
En 1867, l’année qui a précédé la Restauration de Meiji, le régime des Tokugawa s’essouffle et le pouvoir politique sera restitué à l’empereur. La capitale impériale installée à Kyoto depuis plus d’un millénaire sera alors transférée à Edo qui prend dès lors le nom de Tokyo, littéralement la « capitale de l’Est ».
LA NAISSANCE DE TOKYO : (1868-1923) – L’ère MEIJI
A peine marquée par une courte bataille dans les quartiers populaires d'Ueno, entre l'armée Impériale et les derniers défenseurs du Shogunat, la nouvelle capitale devint le symbole de la modernisation rapide du Japon. En quelques dizaines d'années, les quartiers étroits de la vieille ville laissèrent place à des immeubles de briques et de larges avenues de style occidental furent créées.
Le gouvernement de Meiji fit appel à des spécialistes occidentaux qui collaborèrent avec les agences de l’administration et les universités.
1880 est une année importante dans son expansion par l’apparition de l’éclairage électrique dans les rues de Tokyo et notamment de l’ancien quartier de Ginza, qui devint un endroit apprécié de la nouvelle bourgeoisie. La ville attire de nombreux paysans en quête d’emplois proposés par les «Zaibatsu »*
*Le terme zaibatsu (littéralement « propriété » en japonais) désigne des unions entre des entreprises et des banques autour de puissantes familles. (Mitsubishi, Mitsui) très influentes politiquement.
1920, Tokyo se tourne résolument vers la modernité en adoptant les codes occidentaux, cependant derrière cette modernité, résistent des petits quartiers traditionnels qui gardent l’esprit d’Edo.
Pendant la Seconde Mondiale, Tokyo est soumis dans la nuit du 9 au 10 mars 1945 à un bombardement intensif, le nord et l'est de la capitale japonaise subirent un déluge de bombes explosives et d'engins incendiaires qui réduisirent à néant plus de 40 kilomètres carrés (un tiers de la ville) et tuèrent plus 95 000 personnes, selon le chercheur Masahiko Yamabe du Centre de Tokyo. En l’espace de quelques heures, 335 B-29, des avions au large rayon d’action, lancèrent plus de 1 700 tonnes de bombes sur Tokyo. La quantité et la densité étaient telles que plusieurs engins s’abattaient en même temps sur une seule et même maison.
Conclusion
Tokyo est aujourd’hui une mégapole de plus de 38 millions d’habitants en perpétuelle mutation.
Tokyo moderne et innovante avec une grande variété de styles architecturaux, une ville qui se transforme, notamment pour remplacer les édifices qui ne répondent pas aux normes sismiques.
Tokyo, capitale éclectique avec ses quartiers « hautains » Ginza et ses boutiques branchées, Ikebukuro et ses commerçants,
Asakusa, quartier traditionnel où des artisans, gardiens de la tradition s’affairent, avec son Kaminari-mon , ou "porte du tonnerre" et son énorme lanterne rouge et ses sculptures en bois des dieux du tonnerre et du vent.
L’hégémonie de la Chine nous fait parfois oublier que le Japon occupe encore une place importante sur le plan international. Certes le « Made in China » est omniprésent mais il très souvent synonyme de produits peu chers et bas de gamme, alors que le « Made in Japon » reste synonyme de qualité notamment dans le domaine technologique. Même s’il n’est plus cette super puissance, le Japon garde l’ambition de jouer un rôle dans l’ordre politique international en soutenant ses partenariats avec les occidentaux.
Comme de nombreux pays européens, il doit faire face au vieillissement de sa population. Sera-t-il contraint d’accepter l’immigration ? Le mythe d’un peuple japonais ethniquement homogène est-il amené à disparaître ? (Actuellement avec moins de 2% de migrants, l’immigration reste marginale).
On évoque souvent le syndrome du mal-être des japonais qui visitent (qui visitaient) Paris, le syndrome de Tokyo existe aussi pour les occidentaux, en ce qui me concerne le système d’écriture a été perturbant, la communication fut également difficile, l’appropriation des codes sociaux n’a plus de secret. Il demeure néanmoins difficile de créer des amitiés et surtout de trouver un vrai travail hors du professorat si vous ne parlez pas le japonais. Vivre à Tokyo c’est aussi accepter une forme de solitude, l’impossibilité de partager ses sentiments, (livrer ses émotions au Japon ne se fait pas).
Un dépaysement assuré, le Japon c’est une autre planète à découvrir d’une manière humble.
どうもありがとうございます
Aurélie