Penser autrement notre réalité

Pour illustrer ce changement, je vous propose un nouvel extrait de mon dernier livre

« Le Yi Jing au cœur de 16 récits »

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Emma sent la lourde odeur des choses qui sont advenues.

Là où tout la porte à fuir, pourtant elle demeure. La jalousie a quelque chose à voir avec la mort. Comme un souvenir d’enfance… C’est une fin indéfinie de l’amour. A peine réalise-t-elle la portée de cette constatation, qu’un sordide contentement la fait frissonner.

Le voile s’est déchiré en une seconde. Une illumination à la Saint Paul. Emma ne peut ou ne veut pas donner à Stephan ce qu’il lui demande. Elle comprend en même temps que le désir fou qu’elle éprouve pour lui était un leurre. Il masque son incapacité, son refus de donner, de s’abandonner totalement à cet homme pour finalement disparaître, n’exister qu’à travers lui… Elle l’entend lui susurrer à l’oreille : « Je t’aime donc tu me dois tout ». Et bien non. Cet amour inconditionnel n’est pas pour elle ! Cette femme, cette Nadia, elle ne l’a pas choisie. Elle n’en veut pas.

Sa tête part au large.

Depuis le temps qu’elle se frotte à la pensée chinoise, il a fallu qu’elle vive dans ses tripes une telle situation pour enfin comprendre pourquoi elle souffre tant. Le souvenir de la différence entre la relation amoureuse chinoise et occidentale l’éclaire subitement. Mais oui !… pourquoi portons nous de telles croix, nous occidentaux, en nous les balançant le plus souvent possible à la gueule...? C’est que l’idée que l’Homme est un être sexué, donc incomplet, nous a formaté l’esprit depuis longtemps ! Emma réalise que la tradition grecque, autant que la tradition judéo-chrétienne, polarise sur le fait que l’on ne peut réaliser la plénitude de son être qu’en s’unissant à l’autre… De là à imaginer qu’une seule personne est faite pour nous, une sorte de part manquante qui nous affame... Un frisson lui parcourt le dos. Elle constate que chez nous le sacré naît de la fusion de deux individus opposés, alors que dans la tradition chinoise, prédomine l’idée que l’Homme est un être virtuellement complet… que c’est le sens de sa vie qui l’amène à réaliser seul sa plénitude.

Comment avait-elle pu l’oublier, elle qui pratique le Yi Jing ? Le sens de sa vie ! Parlons-en… elle l’avait perdu… Quel réconfort de penser que l’humain n’est pas la moitié de quelque chose à la recherche de sa moitié complémentaire, qu’il est un tout en soi ! Elle se souviens que pour les chinois, l’essentiel naît de l’harmonisation d’énergies complémentaires dans la personne elle-même : le féminin est au cœur du masculin et le masculin au cœur du féminin. Pourquoi donc courir, affamée, après un autre, extérieur à soi ? Emma se dit que l’extension des notions de Yin et de Yang peut permettre de penser autrement notre réalité. N’est-ce pas d’ailleurs le grand intérêt de pratiquer le Livre des Changements ? Sa pensée se déroule. Elle n’ignore pas que l’harmonisation recherchée s’accomplit aussi bien dans l’univers que dans la société, la famille, et le corps lui-même… Le Yi Jing aide qui veut bien l’entendre à tendre vers cette harmonisation individuelle.

La jeune femme réalise enfin que le rapport à l’autre commence par une profonde conscience de soi-même. Une affirmation de soi qui ne soit pas séparation. Une ouverture qui ne soit pas fusion…

Au fur et à mesure que cette révélation se distille en Emma, toute ombre disparaît.

Elle comprend que la connaissance ne s’acquiert que par le vécu. Le reste est information.

Emma est heureuse d’avoir fait cette expérience qui l’a finalement libérée. Il fallait qu’elle passe par là. Oui, la réponse du Yi Jing s’avère incroyablement exacte : « délivrance » en « cachant sa lumière »…!

Son cœur ne souffre plus. La jeune femme ressent juste encore une pression en dessous.

Dehors, elle entend le roucoulement des tourterelles.

Le nuage d’un engourdissement agréable la pénètre peu à peu.

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