Personne ne croit plus en rien
Je me suis dit que ça faisait un bon titre pour un premier billet. Pour moi qui me revendique de ce fameux système que tout le monde voue aux gémonies, commencer par cette crise de confiance qui traverse toute la société me paraît être une bonne première étape.
J'ai mis du temps à écrire ce billet. La campagne présidentielle aurait dû être une source d'inspiration folle et elle l'a été... sans doute trop. Il parait qu'à l'occasion de la dernière semaine de campagne aux Etats-unis, 8 infos sur 10 publiées sur le web étaient fausses. Nous sommes dans cette dernière semaine de campagne en France : il était temps de me lancer.
La 1ère question qui m'est venue : pourquoi ce climat de défiance (je vous conseille l'excellent Trust Barometer 2017 du cabinet Elan Edelman à ce propos), cette perte des repères, cette remise en cause du "système" ? La faute à qui en somme ? C'est toujours plus facile de trouver des coupables.
Les politiques : forcément !
Je vais passer sur l'inconsistance voire l'inconséquence de notre classe politique et sur l'accumulation d'années de déceptions, de revirements, de manquements à la parole donnée... Pas qu'il n'y ait pas matière mais on pourrait y consacrer plusieurs ouvrages. Je me suis donc "restreint" à cette campagne Présidentielle.
2017 marque un sacré paradoxe : la défiance est désormais entretenue par ceux là même supposés défendre l'autorité de l'Etat et des institutions : nos candidats à la magistrature suprême. De ce point de vue, François Fillon comme Marine Le Pen sont désormais sur une même ligne. D'autres auraient bien leur place mais ces deux-là sont emblématiques.
Pour la première c'est une ligne politique déjà défendue par Papa depuis des décennies. Malgré la dédiabolisation (pour se rendre acceptable par une partie du système), elle fustige les médias en s'inspirant de Donald Trump et de ses désormais célèbres "fake news". Pour Marine et le FN, les journalistes mentent... Pas elle. Il faut dire qu'ils s'acharnent en parlant sans cesse des soupçons d'emplois fictifs des assistants parlementaires européens, des enquêtes sur le financement des dernières campagnes électorales, des déclarations de patrimoine nébuleuse ou encore des casseroles de Papa... Ils sont, bien entendu, associés aux juges accusés de faire du zèle en pleine campagne électorale !
Au delà de la dénonciation quasi quotidienne d'un "acharnement", l'exemple le plus emblématique de cette démolition en règle du système et de ses institutions est le refus, par la leader frontiste, de se rendre à la convocation devant le juge d'instruction et surtout la menace sourde faites aux fonctionnaires de police "qui devront assumer le poids de méthodes illégales". Ces tirs nourris contre les pouvoirs judiciaires et médiatiques alimentent la théorie du complot : certains y croient dur comme fer, d'autres la réfutent mais les véritables points gagnés se situent chez ceux chez qui le doute s'est insinué, même à petite dose. Ceux qui vous diront : Non je n'y crois pas... Menfin c'est vrai que c'est curieux qu'en pleine campagne...
Pour François Fillon, c'est le fruit d'une évolution plus récente. Longtemps assez peu considéré face aux deux ex favoris de la Primaire de la droite et du centre, il tient une ligne de probité : celle de l'homme qui veut incarner, très solitaire, l'autorité de l'État. Et pourtant, déjà, il porte, à ce moment-là, en lui les germes d'un produit marqueté "anti-système". Évidemment personne n'y croit réellement : un ancien Premier Ministre, des plus conventionnels qui plus est, serait lui aussi une victime du grand tout ? La sortie des "affaires" : présomption d'emploi fictif pour sa femme et ses enfants, trafic d'influence avec l'affaire des costumes, soupçon d'escroquerie aggravée, faux et usage de faux...l'amène à modifier sa ligne et à durcir le ton. En jouant sa base militante et populaire face au système, lors du rassemblement du Trocadero du 5 mars dernier, il vrille. Ce rassemblement était initialement conçu pour "manifester contre les juges et les médias". Puis, pudeur de communiant sans doute : il rétro-pédale... Trop tard, le mal est fait. En déclarant lors de l'Émission Politique de France 2 que, si il est
dans cette situation, c'est la faute d'un cabinet noir (pas la sienne évidemment), François Fillon passe définitivement du côté obscur de la force. Après les juges et les journalistes il remet en cause la fonction même qu'il souhaite exercer en mai prochain. Certes, il vise avant tout un François Hollande qui n'est pas franchement habité par sa présidence depuis 2012. Mais qu'importe, le candidat conservateur, tenant de l'ordre républicain, joue la stratégie du pire en défiant une autorité qu'il veut demain incarner.
Les médias ? Les journalistes forcément !
Mais les politiques sont-ils seuls responsables de ce climat délétère ? Difficile de ne pas parler des médias et des journalistes qui les alimentent. Sans doute détiennent-ils aussi une part de responsabilité. Pas forcément celle qu'on leur attribue généralement d'ailleurs. On les accuse d'être aux ordres. Très bien. Mais aux ordres de qui ?
- Du pouvoir économique ? Oui, les médias sont détenus par des grands groupes industriels. Et c'est un problème majeur. On peut, en effet, douter du traitement réservé à leurs actionnaires : Serge Dassault au Figaro, Patrick Drahi sur BFM ou RMC ou Bolloré pour le groupe Canal. Au delà de leurs propres personnes on a tous en tête le "non traitement" pendant plusieurs heures par l'ex itélé de l'affaire Fillon à sa sortie. Est-ce dû à une intervention de Bolloré himself ? (moi aussi j'ai envie de me laisser prendre au jeu). Quelque chose doit être fait pour que le contrôle du capital des groupes médiatiques ne puisse être l'apanage d'un seul. Le monde économique souhaite y investir ? Très bien : les médias doivent vivre d'autre chose que d'argent public. Qu'ils soient a minima contraint en n'étant pas majoritaires au capital. La suspicion de collusion, fondée ou non, est trop grande et un média vit de sa crédibilité.
- Aux ordres de la classe politique ? Quand on voit le traitement qui leur est réservé au quotidien, j'ai comme un doute... Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande ont tous subi le déchaînement médiatique après avoir auparavant bénéficié de couvertures très positives. Suivisme ? Oui sans doute. Quand un politique fait vendre du papier ou suscite plus de clics, il suscitera davantage de papiers que ses comparses moins "vendeurs". Disons que ça n'augure pas forcément de la qualité des papiers. Des partis ou des personnalités plus maltraités que d'autres ? Oui également : beaucoup de médias revendiquent une ligne éditoriale plus ou moins marquée. ET je trouve ça mieux quand les choses sont claires. Ceci étant dit, et concernant le traitement réservé au FN, j'ai l'impression que ça tient davantage de la sociologie d'une grande majorité de journalistes qu'à une volonté de nuire globale (toujours le complot...). Et puis le paysage médiatique a évolué ces dernières années dans le sens d'un rééquilibrage : il n'y a qu'à voir l'augmentation vertigineuse des ventes de Valeurs Actuelles ou l'émergence de sites clairement orientés à la droite de la droite pour s'en convaincre.
Malgré et sans doute à cause des critiques massives qu'ils subissent, les médias se remettent en question. Certains font des efforts louables afin de retrouver une certaine crédibilité. C'est le cas des Décodeurs du Monde avec leur Decodex qui souhaite "aider (les internautes) à vérifier les informations qui circulent sur Internet et dénicher les rumeurs, exagérations ou déformations". Le problème c'est qu'il est toujours difficile d'être juges et parties (ou d'apparaître comme tels). L'initiative a été fortement critiquée tant elle donnait l'impression de distribuer les bons points du "vrai journalisme" face à Internet et (caricaturons) à tous ceux qui ne disposent pas d'une carte de presse.
Le dispositif de signalement par les internautes déployé par Facebook me semble plus intéressant. Certes, il est monté en lien avec certains médias mais il laisse davantage de place aux lecteurs dans son fonctionnement. Et quitte à paraître naïf, il faut laisser plus de place à l'intelligence collective. Je sais bien qu'en regardant vos timeline Twitter ou Facebook, ce n'est pas forcément ce qui va vous sauter aux yeux (l'intelligence collective...). En revanche, l'exemple de Wikipedia fonctionne toujours très bien : on a pu construire une encyclopédie universelle sur la base des connaissance de millions d'internautes. Plus grand monde aujourd'hui ne conteste sa pertinence.
Oui... Non : en fait c'est vous :)
Je sais que je vais renforcer la théorie du complot en disant ça mais tant pis je me lance ! Je crois que ce qui infléchit le plus la ligne éditoriale des médias (comme des politiques d'ailleurs) ce sont bien ceux qui les consomment ! Vous, moi qui sommes la base même du "système" !
La logique est économique. Qu'on le déplore ou non, le volume de clics, les chiffres des audiences, les tirages constituent sans doute la raison la plus vraisemblable du traitement de tel ou tel sujet. Il faut bien vivre...
L'autre bouleversement est l'arrivée d'Internet. OK c'est un poncif mais les tirages et audience cumulés des grands médias il y a 30 ans n'ont rien à voir avec les millions de pages vues sur le web aujourd'hui. On les consomme différemment et beaucoup plus de gens ont accès à l'information, gratuitement très souvent. La sociologie des lectorats et audiences a dû considérablement évolué de ce point de vue. Les attentes aussi (Btw : Si une étude existe à ce sujet je suis preneur).
Je crois enfin que nous sommes les acteurs de notre propre incrédulité. Nous avons laissé le poison du complotisme s'insinuer partout. De plus en plus préfèrent croire une vidéo postée sur Youtube, un article de blog par un illustre inconnu, ou je ne sais quel commentaire anonyme sur un forum plutôt qu'un article de presse qu'on considérera comme forcément orienté :) Et quand on voit la consommation qui est faîte de Youtube par les nouvelles générations, on peut penser que ce n'est pas prêt de changer. Les "fake news" circulent un peu partout sur les réseaux sociaux, souvent vite démenties d'ailleurs. Bizarrement ce dernier n'est jamais aussi visible que l'info d'origine : moins sexy, moins vendeur sans doute. Nous sommes seuls, collectivement, à pouvoir nous frayer un chemin dans cet amas d'infos . Aussi, au final, à ceux qui ne croient plus, j'ai envie de dire une dernière chose : vous avez le choix de ce en quoi vous croyez ou pas et c'est une liberté fondamentale. Mais aussi : quitte à ne pas croire soyez cohérents et évitez de croire aveuglément n'importe qui.
Billet publié sur ce blog, à la ligne éditoriale révolutionnaire, intitulé humblement "Les gars du système" :)