Petit poisson deviendra grand, ou pas ...
Girelle Paon

Petit poisson deviendra grand, ou pas ...

La température élevée des eaux de surface de la Méditerranée est l’occasion d’évoquer la tropicalisation de la grande Bleue, je dirai plutôt l’occasion de reprendre les propos de certains articles évoquant la menace que fait peser l’arrivée de nouvelles espèces marines sur la biodiversité dans ce territoire qui n’est pas le leur. Certains spécialistes non méditerranéens diront qu’ils sont heureux de voir les espèces de mer Rouge se réfugier en Méditerranée, car elles sont peut-être en train de fuir un territoire devenu moins vivable pour elles. La Méditerranée n’est pas la seule mer à se réchauffer. Et si la Bleue était finalement un refuge pour ces espèces menacées par la surchauffe de la Rouge, on pourrait se dire, chouette, on accueille des espèces réfugiées climatiques dans notre territoire. Mais bon, comme personne ne sait ce que tout cela va devenir, difficile d’affirmer que c’est une chance de sauver des espèces, une richesse en plus ou une menace pour l’existant. Ce que l’on peut affirmer est qu’il est très difficile d’imaginer l’avenir. La Caulerpa taxifolia nous l’a démontré.

Ceci étant, suivre l’évolution des espèces en Méditerranée est l’un des nombreux objectifs des dispositifs de surveillance. L’un d’entre eux est dédié aux post-larves et aux juvéniles de l’année, c’est-à-dire les stades les plus précoces de la vie d’un poisson. Son nom : le réseau RESPIRE. Pour dire cela de façon beaucoup plus simple, les tout petits poissons (petits, car dans la phase critique des premiers mois de vie). C’est le moteur du renouvellement des populations adultes. Il faut avouer que notre attention était portée jusqu’il y a peu de façon quasi exclusive sur les grands et gros poissons adultes. C’est d’abord plus facile à voir et à compter et on peut directement faire le lien avec certaines espèces remarquables et les espèces à fortes valeurs économiques. On avait un peu oublié que les poissons s’intègrent dans un cycle de vie original et complexe avec des phases pélagiques et côtières et que la biodiversité c’est aussi et surtout tout le reste, à savoir majoritairement les poissons moches, plus discrets et sans aucun intérêt pour notre économie. Heureusement, les avancées technologiques et l’ADNe nous ont rappelé à l’ordre et les résultats de l’opération BIODIVMED nous ont démontré que l’on peut aussi les caractériser.

Ce qui est intéressant avec les petits poissons, c’est qu’en plus d’être très beaux (cf. le guide des post-larves), cela nous permet de travailler sur la restauration des fonctions nurseries côtières. Pour rappeler quelques chiffres, la construction des ports a détruit environ 400 kms de nurseries en Méditerranée française. Grâce aux efforts de tous, aujourd’hui, des actions sont engagées pour restaurer ces fonctions perdues tout en maintenant l’activité économique qui est à l’origine de la destruction. En règle générale, quand on veut améliorer une situation, on supprime totalement ou on régule une pression. Dans ce cas, on arrive à rendre compatibles les deux, car il est quasi impossible de revenir en arrière sur les enjeux d’artificialisation. Cela est intéressant à souligner. On a presque atteint les 60% de restauration de cette fonction détruite par la construction des ports.

Revenons à RESPIRE. La présence des petits poissons est surveillée de façon annuelle et trimestrielle, dans des sites naturels de référence, mais aussi dans des zones portuaires depuis presque 10 ans. Toutes les post-larves n’arrivent pas en même temps à la côte. Cela aurait été trop facile. Il faut donc porter un effort de surveillance sur l’ensemble de l’année. Il y a beaucoup d’informations acquises au travers du dispositif RESPIRE. Pour certaines, nous sommes encore dans le constat et pas l’interprétation. Sur les dernières années, on approche les 40 000 juvéniles de comptabilisés avec des surprises régulières comme la présence de très jeunes mérous qui grandissent dans des habitats artificiels portuaires avant de repartir vers leur milieu naturel. Ces données permettent d’avoir des valeurs de référence sur le recrutement des post-larves et des juvéniles. On s’aperçoit d’ailleurs sans l’expliquer à ce jour qu’il y a des années « avec » et des années « sans ». La nature produit quand elle le peut ou quand elle le souhaite. On observe un pic de recrutement important tous les 10 ans environ, une sorte de coup d’accélérateur. Il nous renvoie d’ailleurs à l’importance de conserver sur le moyen long terme l’intégrité de nos nurseries naturelles qui ne font pas l’objet à ce jour d’une protection particulière et le besoin de restaurer celles que l’on a dégradées. Si ce pic arrive face à des nurseries altérées, les post-larves ne deviendront pas des juvéniles. Les populations adultes diminueront et il faudra patienter jusqu’au prochain grand recrutement au risque de voir la population s’écrouler

Parmi les derniers résultats significatifs, je partage avec vous ceux concernant un poisson, la girelle Paon (Thalassoma pavo) qui n’est pas originel de Méditerranée, mais qui est présente ici depuis quelques années. Ce n’est pas une espèce commerciale, ni une espèce protégée, mais une cousine de notre girelle endémique (Coris julis). Elle est plutôt jolie et attrayante pour le plongeur avec ses couleurs vives. Elle ne semble pas rentrer en compétition avec d’autres poissons ni avec sa cousine même s’il semble que leur répartition spatiale réponde à une certaine logique de territorialité. Elle ne menace pas les baigneurs et elle ne contient pas de toxines. Ce qui est intéressant est que l’on observe de plus en plus de juvéniles ces dernières années et que leur présence semble glisser de la région Sud vers l’Occitanie où elle était plutôt rare. Son aire de répartition semble s’agrandir d’année en année avec la dissémination de ses œufs par les courants. L’espèce se reproduit, grandit et semble étendre son territoire. Est-ce grave docteur ?

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Si vous souhaitez avoir des précisions sur RESPIRE, mais aussi MEDHAB (cartographie des nurseries côtières), PISCIS (les poissons adultes), MEDAM (les ouvrages gagnés sur la mer) ou bien encore l’ADNe (projet eRef), voici des liens pour satisfaire votre curiosité.

 

RESPIRE : https://medtrix.fr/portfolio_page/respire/

MEDHAB :https://medtrix.fr/en/portfolio_page/medhab-2/

PISCIS : https://medtrix.fr/portfolio_page/piscis/

eREF : https://medtrix.fr/fin-du-projet-eref-16/

le nouveau guide des post-larves de Méditerranée https://www.ecocean.fr/documents-a-telecharger/#dearflip-df_6840/1/




Olivier Rovellotti 🌍

Biodiversity data consulting / CEO @ Natural Solutions Le récif L’observatoire invisible Le donut infolab

4 mois

Elles sont clairement territoriale et ne semble pas partager leurs gîtes donc pour la non complétion tu est sur ?

Vincent BRUSCADOU

Laguniste & Hippocampophile ⨔

4 mois

Merci pour cette publication très instructive. Défendre les pouponnières ou les restaurer est primordial.

guillaume ruoppolo

Photographe et chef opérateur, je suis également spécialiste du monde sous-marin, mais mes compétences ne s'arrêtent pas là : j'accompagne mes clients sur des projets variés, aussi bien terrestres qu'aquatiques.

4 mois

Comme toujours pertinent et juste. J’ai bien aimé le rappel sur la caulerpa. 👏

Franck Lorrain

Comedien, auteur, producteur et plongeur. Frozen Frogs Média. Co-Président Paris XO Rugby / Plongée Partagée

4 mois

Supers infos bien synthétisées qui donnent envie d’aller plus loin avec les liens que tu partages. Philippe LENFANT m’avait déjà bien aiguillé lors de notre plongée filmée dans la baie de Peyrefite 👍

Robert Van vlasselaer

Retraité ingénieur d'études de SEMA .GROUP. ATOS. Grand voyageur, moniteur EPS et instructeur de plongée.

4 mois

C'est informations sont intéressantes, je dirais même d'intérêt public. Merci .

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