Peut-on arrêter de créer de la monnaie ?
Depuis le 15 août 1971 – le jour où Nixon stoppa la convertibilité du dollar en or – la création de monnaie est potentiellement sans limite puisqu’elle n’est plus rattachée au métal précieux. L’or est resté un actif mais n’a plus de lien avec la valeur de la monnaie.
Quelles sont les conséquences de la création monétaire ?
Si les individus disposent d’une quantité de monnaie supplémentaire, ils vont en dépenser une partie importante[1]. Face à ce supplément de dépenses, les entreprises peuvent ajuster leur offre à la hausse en acquérant des machines supplémentaires, en embauchant, etc.
Le péril inflationniste
Les entreprises peuvent aussi augmenter leur prix et cela peut déboucher sur de l’inflation. Or l’inflation, c’est comme le dentifrice dit l’adage, une fois sortie du tube on ne peut le faire revenir dedans. En effet, les salariés réclament des hausses de salaires pour compenser la baisse de pouvoir d’achat liée à l’inflation ; puis les coûts salariaux augmentant, les entreprises répercutent cette hausse dans les prix, le pouvoir d’achat diminue donc à nouveau, etc. L’inflation nourrit l’inflation. C’est la boucle prix-salaires.
On a aussi la boucle prix-profits : dans un contexte d’inflation, les entreprises augmentent leurs prix profitant du contexte inflationniste. Les hausses de prix seront justifiées par… l’inflation ambiante, contribuant de fait à faire perdurer l’inflation.
Boucles prix-salaires et prix-profits s’installant, l’inflation peut très vite devenir problématique. Indexer régulièrement les revenus sur l’inflation va devenir conflictuel[2], la valeur de l’épargne diminue[3],… Dans des cas extrêmes, l’inflation se transforme en hyper-inflation[4] et ruine alors complètement la confiance dans la monnaie. Nous avons en tête nos cours d’histoire où l’on voyait les allemands acheter du pain avec une brouette de billets dans les années 1920. L’hyper-inflation débouche alors sur des troubles sociaux et politiques très violents.
Devant ces horreurs, peut-on envisager d’arrêter de créer de la monnaie ? Pouvons-nous nous contenter d’une masse monétaire stagnante ?
Arrêter de créer de la monnaie lorsque celle-ci est générée par des dettes bancaires n’est pas possible. Les dettes des uns doivent être remboursées par les dettes des autres. Nous l’avons évoqué dans un article précédent.
Pour autant, la monnaie n’est pas toujours créée par des dettes bancaires. C’est par exemple le cas des billets. Idem pour le bitcoin si celui-ci devenait une monnaie[5].
Le Bitcoin : l’avenir de la monnaie ?
Imaginons par exemple un monde où toutes les monnaies seraient remplacées par le bitcoin. Nous devrions alors composer avec 21 millions de bitcoins[6]. Comme le dollar et l’euro, le bitcoin est divisible. Il l’est en revanche beaucoup plus : si dans un euro nous avons 100 centimes, dans un bitcoin on compte 100 millions de satoshis. Le satoshi est ainsi le plus petit divisible du bitcoin.
100 000 000 * 21 000 000, nous aurons donc à terme – lorsque le dernier bitcoin aura été miné – 2,1 millions de milliards de satoshis pour assurer nos dépenses, payer les salariés, etc…
Puisqu’il n’est pas possible de créer plus que 21 millions de bitcoin[7], le risque inflationniste serait nul.
Comment financer les investissements sans création monétaire ?
Projetons-nous dans un monde aux 2,1 millions de milliards de satoshis. Les prix seraient fixés en satoshis et progressivement la totalité des satoshis serait utilisée.
Comment financer alors les nouveaux investissements ? Rappelons au préalable que les investissements ne sont pas des placements : l’investissement correspond au développement des capacités de production des entreprises.
S’il n’est plus possible de créer de la monnaie, les investissements des uns seront donc financés avec l’épargne des autres[8].
Le développement de l’économie impliquant une croissance des investissements, la croissance économique deviendrait donc tributaire de l’augmentation de l’épargne dans un monde où l’on ne créée plus de monnaie.
Cependant, augmenter son épargne étant synonyme d’une moindre dépense[9], on risquerait alors d’avoir un problème de débouchés : les entreprises connaitraient des difficultés pour vendre leurs produits si le niveau de dépense diminue.
Comment donc avoir le beurre (plus d’épargne pour accompagner le financement d’investissements plus nombreux) et l’argent du beurre (des entreprises qui continuent malgré la hausse de l’épargne à vendre leurs produits) si on ne créée plus de monnaie ?
Réponse : la déflation, soit la baisse des prix.
L’épargne peut-elle être placée dans un monde en déflation ?
Si tous les prix – y compris le prix du travail – diminuent de 10%, le pouvoir d’achat des salaires ou des bénéfices est maintenu. Si le bénéfice baisse de 10% et que parallèlement les prix baissent de 10%, le pouvoir d’achat des dividendes versés aux actionnaires reste identique. Idem pour les salaires.
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En utilisant un peu moins de monnaie pour chaque transaction – puisque les prix auraient diminué – on pourrait ainsi avoir le même volume d’activité économique tout en dégageant de l’épargne.
Mais…
Qui se risquerait à confier son épargne dans un contexte déflationniste ? Si l’inflation réduit la valeur de la monnaie, la déflation augmente la valeur de la monnaie.
Les épargnants auront donc le choix entre confier leur épargne aux entreprises pour qu’elles financent leurs projets[10] – avec les risques associés – ou garder leur épargne qui prendra naturellement de la valeur avec le temps.
Entre une option risquée (confier son épargne) et une option aux gains sans risque (thésauriser), le choix se portera sur celui de la thésaurisation.
La thésaurisation correspond ainsi à de l’épargne stérile. Par exemple dans notre système monétaire, la thésaurisation peut prendre la forme de liasses de billets ou de monnaie laissée sur un compte courant. Dans un monde où le bitcoin serait devenu la seule monnaie, la thésaurisation correspondrait alors à des bitcoins gardés sur les wallets[11].
Résumons.
Créer de la monnaie est techniquement sans limite dans notre système monétaire actuel. Le risque majeur est de ne pas pouvoir réguler la création de monnaie et donc générer de l’inflation.
Ne pas créer de monnaie est possible techniquement mais nécessiterait une baisse des prix pour que l’on puisse dégager de l’épargne finançant les investissements sans freiner le niveau de dépenses. Or la baisse des prix amenant à la thésaurisation, l’épargne ne serait pas mobilisée pour financer les investissements. Une économie qui n’investit plus est une économie qui stagne.
Risque inflationniste ou stagnation de l’économie, il faut choisir.
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[1] 80 à 85% si l’on prend comme exemple le taux d’épargne français qui se situe entre 15 et 20% ces dernières années
[2] Les employeurs mettant en avant la hausse de leurs coûts et les salariés la baisse de leur pouvoir d’achat
[3] L’inflation diminuant la valeur de la monnaie…
[4] Augmentation des prix supérieure à 50% par mois
[5] le terme de crypto-monnaie est un abus de langage : les cryptos étant essentiellement utilisées à des fins spéculatives, on devrait les appeler des cryptos-actifs. Les achats de pain ou de café avec des cryptos restent extrêmement marginaux.
[6] L’algorithme Bitcoin a été conçu de telle sorte qu’à terme il y ait 21 millions de bitcoins
[7] Sauf à changer le code de Bitcoin, ce qui est peu probable en pratique
[8] Ou avec sa propre épargne, mais c’est plus long…
[9] A revenu constant
[10] Prêts obligataires, achat d’actions, …
[11] Là où on stocke ses bitcoins (l’équivalent d’un compte bancaire)