Physionomie de l’innovation, bref aperçu (complété)

Qu’appelle-t-on « innovation » ?

Il y a au moins deux réponses possibles :

-         L’innovation est le processus par lequel l’entreprise assure sa pérennité face à la concurrence sur le marché en créant de la nouveauté. Il s’agit alors de se poser la question en termes de potentiel innovant au sein de l’entreprise, pour en développer les principaux ressorts : compétences et financement.

-         Une innovation est un produit ou service, résultat du processus d’innovation. La question se pose alors en termes d’impact sociétal, pour proposer sur le marché des produits ou services porteurs d’amélioration des conditions de vie de l’usager.

Soit la nouveauté est une amélioration d’un produit ou service existant, on parle alors d’innovation incrémentale. Soit la nouveauté procède d’un changement de concept, on parle alors d’innovation de rupture, dont les conséquences sociétales peuvent être plus ou moins profondes.

L’innovation, c’est aussi ce qui engendre le progrès et sa dynamique sociale et économique, portée par l’esprit d’entreprise, et qui correspond à une époque. Elle est généralement le fruit d’une nouvelle technologie, mais surtout celui d’une persévérance à toute épreuve. Mais la notion de progrès est un peu passé de mode, on se demande bien pourquoi ?

Quelles traces dans l’Histoire ?

Si l’on revisite brièvement l’Histoire en rappelant quelques innovations emblématiques : l’apparition du métier à tisser Jacquart et de la carte perforée au début du XIXème siècle, a fait disparaitre les tisserands ; l’apparition du réfrigérateur dans les années soixante a fait disparaitre les activités de production et vente de pains de glaces destinés aux glacières … On retrouve là la notion de « destruction créatrice » selon l’économiste Schumpeter, puisqu’à ces disparitions correspondaient la « création » d’activités nouvelles, notamment de production, entretien, formation, ... et ainsi le monde du travail s’est développé en se transformant.

L’apparition du véhicule automobile fût en elle-même une innovation de rupture, imputée à la révolution industrielle du XIXème siècle. Elle eut des effets multisectoriels sur la société, qui se sont déployés dans le temps, et qui n’en finissent pas de se manifester … C’est peu après la première guerre mondiale que le parc automobile se développe alors que l’apparition des premiers constructeurs remonte à 1890, l’invention du moteur à explosion datant du milieu du XIXème siècle. Le parc automobile mondial prendra un essor quasi-exponentiel durant les trente glorieuses. Pour fixer les idées on peut retenir qu’il a fallu de l’ordre d’un siècle depuis les prémices de l’innovation jusqu’à son impact sur tous les secteurs de l’économie.

Plus près de nous, le développement de la téléphonie avec l’apparition du téléphone portable en 1983, a réduit l’usage du téléphone fixe et fait disparaitre, en quelques décennies, la cabine téléphonique avec l’activité qui y était attachée. Puis ce fût l’apparition de l’iPhone en 2007, un nouveau concept présentant des fonctionnalités étendues. Le caractère « destructeur » de l’innovation impactait alors principalement le secteur d’activité concerné.

Ces exemples permettent d’évoquer deux dimensions principales de l’innovation : l’étendue des secteurs de l’activité économique impactés et sa vitesse de diffusion dans la société.

Quelle est la nouvelle donne ?

Aujourd’hui, le développement des moyens utilisant la technologie numérique, et les innovations subséquentes, qui trouve une origine avec le déploiement d’internet à partir de 1994, se caractérise par l’ampleur inédite de ses effets sociétaux et par sa fulgurance.

Avec la technologie numérique un autre aspect gagne en pertinence : la fréquence d’apparition des produits et services innovants, mais elle est très difficile à évaluer. Une indication peut être donnée par les dépôts de brevets dont le nombre annuel mondial a été multiplié par trois entre 1996 et 2016 (Source : WIPO Statistics Database 2017), avec une prédominance des dépôts chinois. Entre 2005 et 2015, la part des dépôts de brevets « computer technology », en tête du « Top 6 » des types de technologies concernés, a été multipliée par près de deux, et la part « digital-communication » a été multipliée par près de trois en rentrant dans le « Top 6 » en 2015. Il est permis de penser que l’innovation suit, aujourd’hui, un taux d’accroissement similaire.

C’est l’innovation apportée par la technologie du numérique qui révolutionne tous les secteurs de l’économie, à des rythmes différents, en imposant une transformation des modes de travail. Les secteurs les plus impactés aujourd’hui sont les médias, les télécoms et la banque. L’industrie se transforme à un moindre rythme (Source : « DIGITAL PULSE 2015 » by Russell Reynolds Associates).

Cette révolution ouvre des perspectives nouvelles et fécondes dans tous les domaines. Toutefois, son impact global sur l’économie ne fait pas apparaitre de manière évidente et immédiate des gains de productivité. La productivité a continué de se réduire dans les pays de l’OCDE pour tomber, localement, en dessous de 1%. Le lien entre innovation et productivité, qui était patent avec, par exemple, l’avènement de la machine à vapeur, puis du moteur électrique, voire du développement du web dans la seconde partie des années 1990, s’est globalement distendu.

La transformation numérique de l’économie se poursuit tandis que les mécanismes qui gouvernent ses effets demeurent encore largement à découvrir.

Le digital engendre une transformation en profondeur de la société, de son fonctionnement, des comportements des acteurs, jusqu’à produire une autre vision du monde, notamment lorsqu’on évoque les applications de « l’intelligence artificielle », prometteuses par ses gains de productivité et de performance, et pourtant redoutées.

Ce qui est en jeu c’est une évolution des modes de travail, de vie, de penser et de décider, en ouvrant de nouvelles opportunités dans tous les domaines : l’apprentissage, l’éducation, les transports, … la santé. Cela imposera de se réinterroger sur les bénéfices pour la société, dans une optique éthique qui considèrera le bien-être du citoyen comme enjeu essentiel, jusqu’à être en mesure de faire des choix afin que l’humain demeure au centre des finalités (innovation human centric). L’innovation doit résulter d’une co-conception concepteur-usager pour la prise en compte de son besoin réel.

Quel nouveau mode de consommation ?

L’innovation trouve tout son sens dans le cadre de la relation entre l’entreprise et le client, c'est-à-dire le marché et la consommation de biens marchands. Le client est un consommateur-usager de produits et de services que l’entreprise s’efforce de fidéliser.

Aujourd’hui, le numérique a ouvert de nouveaux horizons où la relation entre l’entreprise et le client est largement dématérialisée. Les plateformes digitales, en plein essor, permettent de créer des « écosystèmes » dans tous les domaines de l’économie, regroupant entreprises et consommateurs dans des relations d’interdépendances, au bénéfice des membres (Uber, Apple, …). Il s’agit là d’une mutation dans la forme des échanges commerciaux, et non-commerciaux comme l’accès à l’information. Les plateformes abolissent les distances, en permettant des recherches simples et instantanées, en optimisant la réponse au besoin.

85% des français ont un accès internet, 74% y accèdent tous les jours, 60% ont effectué un achat en ligne en 2016 (Etude CREDOC 2016).

A l’intérieur même de l’entreprise le numérique transforme les relations avec le développement du travail collaboratif produisant de véritables synergies de compétences pour une performance collective accrue, laquelle ne peut exister sans la recherche du bien-être des acteurs au travail.

L’évaluation de l’impact sociétal du développement des plateformes digitales s’inscrit dans les travaux du CNNum « Le Conseil national du numérique est chargé d'étudier les questions relatives au numérique, en particulier les enjeux et les perspectives de la transition numérique de la société, de l'économie, des organisations, de l'action publique et des territoires ». Face à la vitesse de diffusion de ce nouvel outil dans tous les secteurs de l’économie, qui réorganise les rouages de l’économie, de nouvelles règles de régulation de l’activité sont nécessaires.

Quels nouveaux clients ?

L’acte d’achat consumériste se prolonge par l’usage du bien acquis. Les produits et services numériques imposent pour leur utilisation un apprentissage, en offrant à l’usager un large champ de possibilités fonctionnelles évolutives, ouvert à sa propre créativité (tel le Smartphone). Le client est alors actif et développe ses facultés d’habileté, de savoir-faire, d’astuces, … tout en intégrant au fil du temps les évolutions produites dans son écosystème. Avec l’usage, le client fait aussi une expérience comportant sa dimension émotionnelle, notamment avec le multimédia et la « réalité augmentée ». Ce qui est acquis n’est plus seulement un bien, mais une expérience qui trouve sa valeur dans la durée. Cette valeur « expérience » que procure le bien prend le pas sur son image et sa seule possession. Une expérience individuelle réussie favorise la fidélité du client, et se partage désormais de manière collaborative en se valorisant sur les forum web. Il en ressort une nouvelle relation entre l’entreprise et le client, un lien de proximité renforcé par l’exploitation du Big Data pour un marketing personnalisé. L’offre de service comporte désormais une dimension « expérientielle ». Dès lors le client doit accepter de devenir « visible » dans ses souhaits et besoins pour bénéficier des opportunités que le marché peut lui proposer. Cette démarche séduisante rencontre néanmoins une condition : le client doit pouvoir acquérir un niveau de confiance suffisant de protection des données relatives à sa vie privée : " Le règlement européen sur la protection des données personnelles, appelé RGPD, s'appliquera à partir du 25 mai 2018 dans tous les États membres de l'UE".

Par ailleurs, la qualité vue de l’entreprise, en tant que satisfaction du client, cible désormais l’expérience que pourra faire le client : créer de « l’expérience – client ». La qualité du service rendu prend donc une dimension nouvelle où prédomine l’émotionnel. 

Mais l’apprentissage qu’appelle la technologie numérique, devrait aussi contenir la part d’éducation propre à protéger l’usager de lui-même dans l’excès. Si ce besoin n’est pas nouveau dans l’Histoire des innovations, l’ampleur de la transformation numérique lui donne une résonnance nouvelle, sans omettre la part accrue de responsabilité de l’entreprise innovante comme de l’usager : « La technologie est neutre ».

Le potentiel d’innovation que représente le numérique trouve une résonnance particulière dans le concert de la mondialisation, en faisant naître des enjeux concurrentiels majeurs pour l’entreprise, non seulement en termes de produit, mais aussi en termes de productivité et d’agilité, pour faire face à la versatilité du marché.

Un effort particulier est ainsi à réserver aux « jeunes pousses » et autres entreprises qui prennent le vent de l’innovation, sur l’océan de la technologie du numérique, en quête de leur survie dans les tempêtes du marché, aux prises avec leur potentiel de créativité et les besoins en moyens idoines toujours plus performants d’usagers avertis.

Quels soutiens ?

En France le Gouvernement a annoncé début janvier 2018 la constitution d’un fonds de 10 milliards consacré à « l’innovation de rupture ». Les Crédit Impôt Recherche CIR et Crédit Impôt Innovation CII, qui sont des mesures fiscales destinées à soutenir l’investissement (en fonds propres) dans la R&D, demeurent les instruments phares. Le CIR atteint près de 6 milliards d’euros et 93% des bénéficiaires sont des PME (soit 15000 entreprises). Quant au CII, créé en 2013, il est réservé aux PME pour les inciter à l’innovation. Au-delà, c’est une solidarité renforcée entre les TPE/PME et les grands maîtres d’œuvre qui est visée dans une perspective de réindustrialisation de territoires.

Cet effort de l’Etat, qui constitue le principal soutien à l’innovation, doit aussi donner un nouvel élan à l’investissement privé, avec des mesures fiscales propres à orienter l’épargne vers l’entreprise. C’est en particulier le développement d’écosystèmes comme les « pôles de compétitivité » qui rassemblent sur des mêmes territoire et thématique des entreprises innovantes pour mettre en synergie leur potentiel.

Dans cette optique le soutien apporté par le financement public est complété par des levées de fonds privés, notamment auprès des « business angels » (personnes le plus souvent anciens entrepreneurs, réunies en association, qui investissent une part de leur patrimoine), au travers d’un pacte d’actionnaire. Le principal enjeu est le soutien de la phase de démarrage de jeunes entreprises innovantes à fort potentiel de croissance, voire de la phase de développement pour un produit prometteur. Il s’agit non seulement d’apporter des fonds, mais aussi expérience, carnet d’adresses, … pour le succès de l’entreprise.

De manière complémentaire, le financement privé peut aussi être apporté de manière collective au travers de plateformes sur lesquelles entrepreneurs, essentiellement start-up, et investisseurs se rencontrent. La levée de fonds est plus rapide, les risques davantage répartis. Ces plateformes, dites de « crowdfunding » ou financement participatif, permettent aussi de tester l’intérêt d’un projet en le confrontant à des investisseurs potentiels aux profils nombreux et variés. L’apport peut alors être réalisé en capital, ou bien sous forme de prêt, ou encore de don avec ou sans contrepartie. Ce type de financement, qui se fait majoritairement sous forme de prêt, est en plein essor. En France cette activité, et notamment celle des conseillers en investissement, est juridiquement encadrée depuis 2014.

Quel nouveau regard ?

Aujourd’hui « l’innovation » est synonyme de « numérique ». On en perçoit la progression dans notre quotidien, depuis la dématérialisation des échanges, dont on peut situer le début en 1991, internet à partir de 1994, jusqu’à l’avènement du véhicule autonome testée à Rouen en octobre 2017, voire le décollage de Falcon 9 et ses perspectives martiennes .... C’est au tour de ce que l’on nomme « intelligence artificielle » de se répandre dans notre quotidien, en apportant par des puissances de calculs inouïes, un nouveau saut de performance, par le volume d’information traitée, et la rapidité. C’est le domaine des algorithmes, et des données dont il faut pouvoir disposer de très grandes quantités (les Big Data …). Le traitement de l’image, notamment dans le domaine du diagnostic médical, constitue un véritable saut qualitatif.

Depuis la naissance de l’outil, puis celle de la machine et maintenant le développement des réseaux de neurones, l’activité humaine n’a cessé de se transformer, et avec elle les comportements des acteurs dans une relation de co-évolution avec leur environnement domestique. La nouveauté réside pour l’essentiel dans la rapidité des transformations en cours.

Force est de constater que depuis l’apparition du silex taillé, l’humanité a perduré en surmontant ses propres méfaits, et en s’adaptant à l’environnement qu’elle engendrait (et qu’elle malmenait aussi …). La capacité humaine d’apprendre est certainement la faculté essentielle qui a permis cette adaptation continue. Mais l’Homme (H/F) n’est pas seulement le résultat d’une relation d’adaptation, si harmonieuse soit-elle. C’est aussi une capacité intrinsèque à sublimer sa vie dans l’Art, sous toutes ses formes, au moins depuis le paléolithique, par le précieux héritage de sa créativité, jusqu’à ce que le regard humain s’émancipe de l’objet artistique pour une pure expérience émotionnelle.

L’avenir reste à construire avec la transformation numérique et le potentiel inestimable de l’IA, en surmontant les inévitables écueils. Une nouvelle relation Homme-machine est à bâtir. Elle n’a pas à redouter de concurrence quant à ce précieux héritage venu du fond des âges que la technologie ne saurait nous dérober.

Quelle physionomie de l’innovation ?

La dynamique d’innovation de rupture, qui ressort pour une large part aujourd’hui, des applications de la technologie digitale, stimule (voire déstabilise) tous les secteurs de la vie économique et sociale, engendrant des pertes de repères au niveau des acteurs, mais en offrant des perspectives, dont les prémices sont déjà passés dans la réalité, annonçant des sauts qualitatifs inédits en performance de service rendu. Cette évolution appelle de nouveaux comportements des acteurs et usagers, dont le temps, la volonté et l’effort permettent la diffusion par-delà les résistances naturelles. La première des nouveautés est peut-être la rapidité avec laquelle s’accomplissent les changements, jusqu’à laisser penser à leur perpétuation, la seule chose qui ne changerait pas serait … le changement. En serions-nous surpris ? N’avons-nous pas fait de notre capacité d’adaptation, et donc d’apprentissage, une des facultés premières de l’espèce humaine ? Aujourd’hui cette capacité d’adaptation se libère par le soutien qui est apporté à l’entreprise porteuse d’innovation, et en particulier le vivier des start-ups. Ce vers quoi la vague innovante nous pousse, c’est, au plan comportemental, davantage de « collectif », dans le travail comme dans la vie sociale, avec au moins deux exigences : le bien-être de l’acteur au travail et la confiance de l’usager-consommateur d’expériences. C’est aussi une évolution corrélative des règles de fonctionnement, avec l’éducation subséquente.

Alors, en repoussant les nuages de l’angélisme et de la naïveté, et « en faisant la part des choses » entre incertitudes et risques, ce que nous donne à voir l’innovation digitale, sa physionomie, devrait permettre à chacun de se forger un nouveau regard sur l’avenir, en favorisant la part d’enthousiasme propre à réhabiliter la notion de progrès.

Fernand Maillet

http://creatif-pour-innover.fr/

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets