Pitcher, ou l'art de ne plus penser
https://www.etonnante-epoque.fr/elevator-pitch-30-secondes-pour-convaincre-dans-un-ascenseur/

Pitcher, ou l'art de ne plus penser

Je vais peut être choquer certaines personnes, mais je déteste pitcher.

L’art du Pitch, cet exercice si important qui veut qu’un porteur de projet résume des mois, voir des années de réflexion en quelques minutes, me dérange profondément.

Ce n’est pas tant que je le trouve difficile ou compliqué à réaliser, mais c’est ce qu’il communique du monde qui me pose problème.

Le numérique a provoqué une accélération de nos vies. Aujourd’hui, plus que jamais, nous passons notre temps à courir. A courir après les likes et les partages. A courir après l’actualité. A courir derrière les premiers de cordées. Nous courrons en permanence, jusqu’à essoufflement. Et tout ce que nous entreprenons se doit de s’adapter au rythme effréné de cette folle course. Être agile, c’est sprinter paraît-il.

Le Pitch en est le parfait exemple. Un projet d’entreprise ressemble beaucoup à programme politique. C’est un ensemble cohérent d’idées et de pensées sociales et économiques qui ont pour but d’organiser la production de biens ou services. C’est empreint de philosophie, d’idéologie et de réflexion sur l’organisation et la gouvernance.

Et le Pitch nous oblige à résumer et transmettre cet immense agglomérat de pensées en quelques minutes. L’exercice, au-delà d’être difficile, est tout simplement impossible. Il s’agit alors de choisir les éléments les plus importants de son projet pour les intégrer à son discours. Mais, ce faisant, on détruit la cohérence de cet ensemble de pensées qu’on a mis si longtemps à élaborer. On ruine la richesse de sa réflexion et de l’intelligence collective qui l’a nourrie. Le pitch n’est pas là pour faire réfléchir, il est là pour percuter avec la plus grande célérité.

Résumer un projet ne peut se limiter aux quelques seules minutes accordées pour pitcher. Lorsqu’on se penche sur l’Histoire de l’Assemblée Nationale française, on trouve trace de grands discours de Jaurès, de Blum ou de Clemenceau qui pouvait durer plusieurs dizaines de minutes, quand ce n’était pas des heures. Les idées et les pensées, ces grands hommes du passé prenaient tout le temps nécessaire pour les dérouler et les transmettre.

Aujourd’hui, le Pitch a tout envahi. Il est devenu le mantra suprême de la moindre communication. Le moindre débat politique ressemble à une véritable cour de récréation. On s’invective, on s’insulte et on s’engueule, sans prendre le temps de penser et de faire penser. Et le spectateur-citoyen qui regarde ces débats ne recherche plus, ni la réflexion, ni la pensée, mais la punchline la plus impertinente.

C’est tout cela que le Pitch traduit. Cette accélération qui empêche toute forme de réflexion et de transmission. Tout doit aller le plus vite possible, et cette course effrénée entraîne une paupérisation de la pensée jamais vue par le passé.

Et si je devais pitcher ce texte, je le ferais ainsi :

Jadis, on prenait le temps de penser le monde. Aujourd’hui, on le tweet.  

Ericka SIMON

Entrepreneuse & Cofounder of Libi Engine

4 ans

"A picture is worth a thousand words" - peut-être que la solution est dans un proverbe d'antant? En fait, j'ai l'impression que c'est surtout la vidéo qui retient l'attention de nos jours.

Fanny Guevara

Créatrice de randonnées culturelles

4 ans

Mon prof de pitch n'aime pas pitcher... 😅

Arnaud DELCASSE

Dirigeant COOPGO, Président Mob'In PACA, Trésorier SCOP PACA-Corse, Administrateur CRESS PACA

4 ans

Je suis d'accord sur l'idée générale mais pas sur les arguments : je ne pense pas que se forcer à identifier le coeur de ce qui fait sa proposition (projet d'entreprise ou projet politique) soit mauvais et efface la pensée globale : au contraire, pour qu'une idée soit forte, il faut qu'elle soit facilement et rapidement comprise par le plus grand nombre. Etre synthétique pour expliquer son idée et ne pas diluer le message est donc primordial. Par contre, le pitch comme exercice de style contraint, en mode récitation, n'a pas de sens. On est plus dans la répétition "par coeur" de mots qui se suivent, millimétrés pour entrer dans le cadre d'une méthodologie bien précise et plus vraiment réfléchis, que dans la force de conviction. Et peu importe si celui-ci est adapté à l'auditoire : on va répéter le même quelle que soit la cible. Parce que de toute façon, on nous sollicitera trop souvent pour l'adapter à chaque fois. Le problème n'est donc pas la concision : je pense même qu'on peut faire plus court et plus utile en ciblant son message à l'auditoire plutôt que de réciter un truc générique. Le problème, c'est que la plupart du temps, on nous demande de pitcher pour rien, simplement pour "amuser la galerie" ;)

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets