Plaidoyer pour un usage noble de l'électricité
Le Ministère a récemment rendu ces arbitrages en vue de préparer la nouvelle réglementation environnementale du secteur de la construction, la fameuse RE2020. Dans ceux-ci, beaucoup ont découvert avec surprise, à la suite des cadrages politiques, la décision de revoir le coefficient de conversion de l'électricité ainsi que son facteur d'émission de GES.
De nombreux acteurs ont réagi et même fait circuler une pétition. La principale critique est celle d'un risque d'un dangereux retour en arrière vers le chauffage électrique direct. A ceux-ci, le Ministère répond qu'il ne faut pas avoir l'électricité "honteuse" et reprend à son compte les argumentaires développés par la filière électrique pour favoriser l'électricité au détriment des autres énergies dans cette nouvelle réglementation.
Mais loin d'avoir l'électricité honteuse, il s'agit bien au contraire d'être fiers de cette énergie noble !
Le chauffage électrique direct utilise l'effet Joule pour transformer l'énergie électrique en énergie thermique. Ce phénomène physique, découvert par James Prescott Joule en 1840, est généré lors de la circulation de l'électricité dans un matériau qui lui oppose une résistance. Il constitue un frein au déplacement des électrons et produit de la chaleur. Ce phénomène physique dégrade l'efficacité de tout système électrique et la R&D du secteur passe beaucoup de temps à rechercher des solutions pour réduire ce phénomène.
La thermodynamique nous enseigne que la chaleur est ainsi une forme d'énergie dégradée, puisque lors de la transformation d'une énergie en une autre, de la chaleur est presque toujours produite. A l'inverse, l'énergie électrique est considérée comme une énergie noble, puisqu' il est possible de la transformer en a peu près tout autre énergie, relativement facilement et avec une certaine efficacité. L'énergie calorifique, beaucoup moins.
Promouvoir la filière électrique en défendant l'effet Joule, celle revient donc à peu près à défendre l'industrie papetière parce qu'elle produit du papier essuie-tout ! Le papier permet de produire et diffuser le savoir, il permet de s'émouvoir, s'émerveiller, rêver, partager, apprendre... Et l'électricité permet tout cela aussi ! La chaleur, non.
Il y aura toujours des usages de l'électricité via l'effet Joule, on ne remplacera pas nos bouilloires, grilles-pains, cafetière et autres fours électriques, mais l'électricité doit transformée en priorité en d'autres énergies nobles : mécanique, magnétique, lumineuse ! La production de chaleur, via l'effet Joule n'est qu'un sous-produit de ces changements d'énergie.
Il ne faut pas avoir l'électricité honteuse, au contraire il faut avoir l’électricité fière ! Cette énergie nécessite des trésors d'ingéniosité pour être produite et transportée. Elle fait appel aux meilleures technologies et aux derniers progrès scientifiques. Les ingénieurs de la filière mettent beaucoup d'énergie (humaine) à la produire et à la distribuer via un réseau de transport et de distribution avec une tension et une fréquence surveillées comme le lait sur le feu, pour amener une énergie noble d'une grand qualité jusqu'à votre maison.
Ce n'est pas une énergie qu'on a trouvé sous le sabot d'un cheval ! (emplacement où on aurait fait un trou et branché un tuyau pour l'emmener jusque chez vous...).
En France, notre énergie électrique est décarbonée, c'est un fait et cela représente un atout majeur dans notre lutte contre le changement climatique. Mais cette énergie devrait être utilisée en priorité pour décarboner massivement notre économie en remplaçant les énergies fossiles les plus carbonées. Le gaz est bien une énergie fossile mais reste l'énergie fossile la moins carbonée. La filière gaz a mis toute son énergie dans cette bataille car elle joue sa survie. La filière électrique n'a pas cette difficulté puisque nous aurons toujours des usages pour l'électricité et, sauf exception, nous seront toujours raccordés au réseau. Mais ce n'est pas une raison pour la brader !
Le choix du Ministère pour la RE 2020 est de soutenir l'électricité, OK. Le gaz a pris des parts majoritaires dans la construction neuve sous la RT 2012 et c'est le droit du Ministère de chercher à rééquilibrer ce mix énergétique en faveur d'une énergie moins carbonée. C'est son droit même si les conséquences ne seront peut être pas aussi efficaces que ce qui est annoncé (cf. note de Negawatt sur le sujet, je ne rentrerai pas dans le débat technique du contenu carbone de l'électricité et pour faire preuve d'honnêteté intellectuelle vous trouvez les réponses de la filière électrique ici et ici). Mais il est regrettable que pour cela, l'Etat fasse le choix de modifier un coefficient qui a un sens physique en se justifiant d'une hypothétique projection à 2030 du mix électrique. Comme si la science était sujet à arbitrage politique.
- Certains dirent que 1+1 = 2, c'est mathématique !
- D'autres dirent que 1+1=3, la collaboration et le partage permettent de s'enrichir et de produire mieux et plus, c'est un fait établi !
- L'Etat décida donc de décider qu'à compter d'aujourd'hui, 1+1 serait égal à 2,5.
Il est regrettable que l'Etat ait repris à son compte sans filtre les propositions et les arguments de la filière électrique, cela dénote tout de même un manque de discernement/de sens de l'intérêt général/de compétences/de moyens/de temps/de résistance aux lobbys (barrer les mentions inutiles). Il y avait sûrement mieux à faire et plus intelligent, en renforçant l'exigence sur le nouvel indicateur carbone du cycle de vie par exemple.
Mais il est surtout regrettable que la filière électrique ait perdu sa capacité à être fière de son énergie et qu'elle cherche à refourguer du kWh électrique comme s'il s'agissait d'un déstockage en pleine période de solde.
Le coefficient de conversion énergie primaire/énergie finale de l'électricité avait un sens. Il illustrait toute cette énergie (humaine) déployée pour produire une énergie de grande qualité. Il visait à envoyer un signal aux acteurs en leur disant de ne pas faire n'importe quoi avec cette électricité, de l'utiliser avec parcimonie, intelligence et discernement et pour des usages nobles !
La filière électrique devrait retrouver le sens physique et défendre ces usages nobles de l'électricité. Elle devrait refuser de brader cette énergie sous sa forme la plus dégradée. Et pour cela, elle pourrait mettre son énergie (de lobby) sur des enjeux autrement plus important. Elle devrait concentrer ses effort en priorité sur l'électrification des modes de transports depuis les plus petits (trottinette, vélo), en passant par les scooters, motos, voitures, camionnettes, fourgons, camions, bus, cars... jusqu'aux plus gros, train, bateau, avion ! (Pour ce dernier, n'y mettez pas trop de moyens, c'est un cause perdue...). Et pour tout cela, nous n'aurons déjà pas assez d'électricité !
Nous consommons aujourd'hui pratiquement 100 Mtep/an d'énergies fossiles (67 MTep juste pour les produits pétroliers) dont plus de 40 MTep/an pour le transport alors que nous consommons 37 MTep/an d'électricité tous secteurs confondus.
Cf. Notes du CGDD ici et ici.
Et dans le secteur du bâtiment, les usages nobles de l'électricité ne manquent pas ! Il faut défendre et soutenir une transformation de l'électricité en énergie noble comme l'énergie lumineuse ou l'énergie mécanique pour faire fonctionner des pompes et des ventilateurs, que nous retrouvons dans de nombreux systèmes efficaces et considérés comme des énergies renouvelables : géothermie, ventilation double flux thermodynamique, chauffe-eau thermodynamiques, PAC double service, PAC sur air extrait, PAC sur eaux usées, ... et même le solaire thermique ou même le bois-énergie devraient être soutenues par la filière électrique (les poêles se modernisent, utilisent régulation et ventilateur !). De même, la distribution de chaleur via un réseau hydraulique nécessite pompes et circulateurs. Et si vous jugez le réseau hydraulique trop coûteux, réhabilitez le chauffage par vecteur air, via des CTA performantes dont les batteries chaudes seront raccordées sur des PAC efficaces !
Alors oui, ces technologiques seront toujours plus coûteuses qu'une simple résistance électrique, même dans des radiateurs électriques intelligents (ce qui est un oxymore : cela reste de l'effet Joule, et qui, comme évoqué plus haut, ne fait pas appel à l'intelligence mais relève plutôt d'une forme de paresse intellectuelle et scientifique puisque c'est phénomène physique spontané).
Mais c'est une raison supplémentaire pour les aider et les soutenir, pour qu'ils se développent, s'industrialisent, gagnent en productivité et diminuent les coûts !
J'en appelle donc à la raison "scientifique" (en ce moment, c'est à la mode puisque nous passons notre temps à défendre la science dans le combat contre le changement climatique), j'en appelle à votre fierté et à la valorisation du fruit de votre travail, ne défendez pas l'effet Joule, il ne doit pas, ne peut pas être une partie de la solution.
♿ Cheffe de projets accessibilité espaces publics au Cerema | 👷 Ingénieure des Travaux Publics de l'Etat
1 ansMerci pour cet intéressant argumentaire, complètement d'accord sur le fait que l'énergie électrique française est un atout sérieux dans la lutte contre le changement climatique.
Territoire d'Energie Drôme (SDED)
4 ansSuperbe éloge de l'énergie électrique. Bravo!
Directeur pôle ESAT / Médico-social
4 ansPuisque nous allons, à tort ou à raison, vers une augmentation de la part des intermittentes dans la production électrique, n'est il pas aussi intéressant de développer "massivement" des moyens de chauffage dotés de capacité de stockage ? (Chauffe eau individuel, réseaux de chaleur ?) Il me semble que le stockage chaleur est un des seuls moyens d'utiliser "intelligemment" l'énergie issue du solaire et de l'éolien lors des pics de prod, qu'on ne sait concrètement pas stocker à grande échelle sous forme électrique. Pertinent ou négligeable ?