Plus d’un million d’entreprises créées en 2022… faut-il se réjouir ou s’inquiéter ?
Plus d’un million d’entreprises créées en 2022… faut-il se réjouir ou s’inquiéter ?
Le cap du million d’entreprises créées en France a été franchi en 2022. Soyons clair, c’est historique, surtout lorsqu’on sait que ce chiffre a quasiment doublé en 7 ans [1]. Rendez-vous compte, chaque jour de l’année 2022, près de 3 000 entreprises ont vu le jour [2] !
Bien sûr, il faut se réjouir de toute progression de l’esprit d’entreprise, mélange d’innovation et de prise de risque. C’est le signe d’une société vivante, libre, et donc créatrice ! Faut-il pour autant s’arrêter là dans l’analyse ? Si on regardait ce qui se cache derrière ce chiffre ? Examinons 5 idées reçues sur la création d’entreprise [3].
Idée reçue n°1 : les créations d’entreprises ne sont portées que par les micro-entrepreneurs
En partie vrai. Selon l’INSEE, 61% des créations d’entreprises réalisées en 2022 sont le fait de micro-entrepreneurs (anciennement appelés auto-entrepreneurs). Le succès de ce régime, entré en vigueur en 2009, est considérable, au point qu’en 2022, on a immatriculé deux fois plus de micro-entrepreneurs que 5 ans auparavant !
Toutefois, si le régime micro-entrepreneur regroupe l’essentiel des créations, il n’est pas le seul plébiscité. Les formes sociétaires, comme la SARL et surtout la SAS, représentent tout de même plus d’une création d’entreprise sur 4, et rencontrent de plus en plus de succès [4].
En revanche, l’entreprise individuelle « classique » est en perte de vitesse, et ne représente plus qu’environ 1 création sur 10. Ce régime est-il devenu trop peu attractif, entre la simplicité du micro-entrepreneur et la protection du patrimoine offerte par les sociétés ? Il sera intéressant de voir dans les années à venir si la réforme du statut de l’entrepreneur individuel, que j’évoquais dans un précédent post [2] , changera la donne.
Ces chiffres soulèvent en tout cas une question : n’existe-t-il pas trop de formes juridiques disponibles pour le créateur de TPE ? Micro-entreprise, entreprise individuelle classique (avec désormais une protection de patrimoine étendue), EURL, SARL, SAS... il me semble en tout cas qu’une simplification serait bienvenue.
Idée reçu n°2 : les seuls créateurs d’entreprises en France sont des livreurs de repas à vélo et des chauffeurs de VTC
Faux. Cette affirmation (toute en nuance) pose la question de la répartition sectorielle de ce million d’entreprises créées. Parmi les secteurs qui progressent le plus on trouve notamment :
● les activités spécialisées, scientifiques et techniques (+ 15%), avec d’excellents scores du côté des métiers du conseil, des community managers et des infographistes ;
● les activités de services administratifs et de soutien (+ 23%), avec en particulier le nettoyage, le petit bricolage, ou les services administratifs de bureau ;
● les « autres services aux ménages » (+ 15%), qui incluent notamment les coachs, les naturopathes, les tatoueurs, ou les activités de soins de beauté et d’entretien corporel.
A contrario, les secteurs dans lesquels les créations d’entreprises reculent le plus fortement sont le commerce (-14%)... et les transports (-35%). Or cette dernière catégorie regroupe justement, on le rappelle, les fameux livreurs et chauffeurs, qui reviennent dans toutes les conversations sur la création d’entreprise.
Ce mouvement de recul s’explique notamment par une « correction » après la crise sanitaire, qui avait vu exploser la demande de ce type de services. En valeur absolue, les travailleurs des plateformes représenteraient environ 200 000 à 300 000 personnes sur un total de plus de 4 millions d’entreprises [5].
Si l’on s’attache maintenant aux seules créations d’entreprises hors micro-entrepreneurs, on constate que les secteurs les plus dynamiques sont ceux de l’industries (+ 35%), des arts, spectacles et activités récréatives (+ 17%), des activités de services administratifs et de soutien (+ 16%) et d’enseignement (+ 16%). En valeur absolue, les secteurs qui ont vu le plus grand nombre de créations d’entreprises hors micro sont le commerce et la réparation de véhicules, les activités spécialisées, scientifiques et techniques, et la construction (plus de 170 000 créations d’entreprises hors micro pour ces 3 secteurs seulement). [3]
Factuellement, il est donc faux d’affirmer que la création d'entreprise est uniquement portée par ce type d’activité. Je rejoins donc totalement Jean-Luc Tavernier , directeur général de l’INSEE, qui insistait sur ce point dès la parution des chiffres 2022 (voir-ci-dessous).
Idée reçue n°3 : derrière cette vague de création d’entreprise se cachent du salariat déguisé et une précarisation du travail
En partie vrai. Hervé Novelli est à l’origine du régime de l’auto-entrepreneur [6]. Au moment de l’entrée en vigueur de ce nouveau régime, en 2009, il était secrétaire d’Ètat, et se montrait pour le moins enthousiaste :
« [Le régime micro-entrepreneur] abolit, d'une certaine manière, la lutte des classes. Il n'y a plus d'exploiteurs et d'exploités. Seulement des entrepreneurs : Marx doit s'en retourner dans sa tombe »[7].
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Mais est-ce vraiment le cas ? Le statut du micro-entrepreneur est-il un facteur d’émancipation financière ou de paupérisation ?
Je n’oserais contredire ni Hervé Novelli ni Marx, et m’en tiendrais donc aux faits. Le chiffre d’affaires moyen des micro-entrepreneurs s'élève à 15 800€ [8]. Si en plus on tient compte des charges sociales, on constate qu’on est (très) loin d’une situation financière confortable. Il est vrai que la part de micro-entrepreneurs qui vit uniquement de cette activité augmente [9], et c’est très encourageant. Mais les dernières données démontrent que près de 7 micro-entrepreneurs sur 10 ont d’autres sources de revenus. Un chiffre qui permet de relativiser l’image du créateur d’entreprise autonome financièrement et libéré du salariat.
Par ailleurs, la situation des travailleurs des plateformes, que j’évoquais plus haut, soulève effectivement de nouvelles problématiques liées aux conditions de travail, à la protection sociale, ou à l’objectivité des algorithmes qui déterminent le chiffre d’affaires de ces entrepreneurs d’un nouveau genre. Dans ce domaine, il me semble que notre droit peut encore évoluer.
Idée reçue n°4 : la création d’entreprise est un formidable vecteur d’égalité pour les femmes
Vrai et faux. Si la création d’entreprise peut effectivement être un vrai facteur d’émancipation, le monde de l’entrepreneuriat reflète malheureusement les inégalités de notre société, et notamment les inégalités hommes/femmes.
Dans un rapport récent [10], l’Assemblée nationale faisait le constat « d’une sous-représentation structurelle des femmes dans les projets de création d’entreprises ». Certes, elles sont à l’origine de 45% des nouvelles entreprises et la tendance est à la hausse. Toutefois, sur le plan sectoriel, on constate de grandes inégalités : on trouve ainsi 77% d’entrepreneuses dans le secteur des autres services aux ménages mais 26% seulement dans celui de l’information et de la communication !
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la situation est pire encore dans le monde des startups. Depuis 2008, seules 5% de ces entreprises ont été fondées par une équipe entièrement féminine et 10% par une équipe mixte ! [11]
On le voit, il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. J’aurai d’ailleurs l’occasion d’en reparler dans un prochain post.
Idée reçue n°5 : la plupart de ces nouvelles entreprises auront fait faillite dans 1 an
Faux. Les chiffres sont têtus : 3 entreprises sur 4 sont toujours actives trois ans après leur création, et 6 sur 10 après cinq ans. Toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne : les sociétés sont plus pérennes que les entreprises individuelles. A contrario, les micro-entreprises sont plus fragiles : seule 1 sur 3 est toujours active après 5 ans.
Là encore, on constate de grandes disparités en fonction du secteur, du capital de départ, et de l’âge du créateur. Rappelons tout de même que dans la plupart des cas, les faillites sont dues à un déficit de trésorerie (sur ce sujet, j’ai d’ailleurs proposé un « Guide pratique pour les TPE qui cherchent à financer leur activité »)
Et en 2023 ?
On l’a dit, le nombre de créations d'entreprises en 2022 est historique. Toutefois, le rythme des créations ralentit, avec une hausse de 2% en 2022, contre + 17% l’année précédente.
Le mois de décembre 2022 est particulièrement symptomatique de ce ralentissement. En décembre 2022, les créations d’entreprises ont reculé pour la première fois après 6 mois de hausse continue. Dans le même temps, les défaillances d’entreprises, prises entre l’inflation et le paiement des « dettes Covid » ne vont faire que croître… et les TPE seront particulièrement touchées. Entreprise nouvelle ou pas, il faudra de toute façon surveiller de près sa trésorerie en 2023.
Finalement, faut-il se réjouir ou s’inquiéter de ce million d’entreprises créées ? Les deux ! On ne peut que saluer ce dynamisme économique, incontestable, mais il est tout aussi important de garder un regard lucide sur ces chiffres, sans fermer les yeux sur des réalités sociales parfois complexes.
[1] + 90% entre 2017 et 2022
[2] On compte au total 1 071 900 entreprises créées en 2022.
[3] Sauf mention particulière, les chiffres cités dans cet article sont ceux de l’INSEE
[4] + 5% entre 2021 et 2022
[5] Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européenne de l’Assemblée nationale sur la protection sociale des travailleurs des plateformes numériques
[6] Avec François Hurel désormais président de l’Union des auto-entrepreneurs
[7] L’auto-entrepreneur, les clés du succès, par Hervé Novelli, oct. 2009
[8] INSEE, étude 2019 sur l’année 2014
[9] Elle est passée de 12% pour les micro-entreprises créées en 2010 à 35% pour celles créées en 2014
[10] Rapport d'information - Assemblée Nationale - L’égalité économique et professionnelle, par Marie-Pierre Rixain et Laurence Trastour-Isnart
[11] Chiffres issus du baromètre SISTA/Boston Consulting Group (BCG), cité dans le même rapport parlementaire. Plusieurs publications de Bpifrance et de FBA - Femmes Business Angels , réseau présidé par Florence Richardson , détaillent ce constat.
Ancien évaluateur chez BM&A et concepteur, chercheur, éditorialiste chez Fairness Finance
1 ansLe probleme c'est que l'on ne peut pas livrer à vélo des pizzas jusqu'à 64 ans... un effet falaise à l'horison ? 😉
Experte-comptable | Gestion de patrimoine | Experte stratégie de croissance | j’accompagne les dirigeants.es dans les stratégies de développement de leurs entreprises et leurs patrimoines professionnels et personnels.
1 ansTrès bonne analyse du million de création de 2022 et très intéressantes ces idées reçues effectivement Gregory DESMOT ✅
Partner Account Manager - Developing business with partnerships
1 ansIntéressantes ces idées reçues, Gregory. J'en viens à me demander combien de micro-entrepreneurs (statut vraiment à part, j'ai l'impression) changent de statut (vers SARL, SAS...) et au bout de combien de temps. Je suppose que ce n'est pas significatif, mais sur le nombre, il doit bien y en avoir quelques-uns.