Pologne: un paysage politique en mutation
Le paysage politique de la Pologne est en pleine mutation. La victoire d’Andrzej Duda, membre du parti conservateur Droit et Justice (PiS), à l’élection présidentielle polonaise le 24 mai dernier a déjoué toutes les prévisions des instituts de sondage et des observateurs politiques. La réélection du président sortant, Bronislaw Komorowski, membre du parti de droite libérale Plateforme civique (PO), semblait pourtant assurée. Les sondages d’opinion permettaient même d’envisager le scénario d’une victoire au premier tour. C’est pourtant le conservateur Andrzej Duda, proche de l’ancien premier ministre polonais Jaroslaw Kaczynski, qui a été élu avec 51,55% des suffrages. Le nouveau président a été investi officiellement hier de ses fonctions de chef de l’Etat après avoir prêté serment à Varsovie.
Les Polonais voteront le 25 octobre prochain lors des élections législatives. Le résultat sera crucial pour la composition du futur gouvernement. Depuis novembre 2007, ce sont les libéraux de Plateforme civique qui forment la coalition gouvernementale avec le Parti paysan polonais (PSL). Plateforme civique possède 203 députés à la Diète (la chambre basse du Parlement polonais) sur 460 sièges. Avec les 33 mandats détenus par les agrariens, la coalition gouvernementale a la majorité absolue à la Diète. Au Sénat (chambre haute), Plateforme civique détient 63 sièges sur 100. Avant la victoire d’Andrzej Duda en mai dernier, les libéraux disposaient de tous les leviers du pouvoir depuis les législatives d’octobre 2011 (la présidence de la République, le gouvernement, les deux chambres du parlement et la majorité des régions). Plateforme civique a été le premier parti polonais au pouvoir à être reconduit depuis 1989.
Les sondages donnent pour l’heure une très large victoire aux conservateurs du PiS. Les libéraux reculeraient pour leur part considérablement. «Il y a deux scénarios pour les prochaines élections, analyse Jakub Iwaniuk, journaliste indépendant basé à Varsovie, contacté par L’Agefi. Soit une coalition libérale. Soit le retour du PiS aux pleins pouvoirs, lequel formerait une coalition avec d’autres partis de la droite conservatrice. Mais ce n’est pas gagné.» Les conservateurs pourraient potentiellement s’allier avec le chanteur de rock Pawel Kukiz, populiste, anti-establishment, anti-système, qui a obtenu le score surprenant de 20% à l’élection présidentielle, terminant à la troisième place. Sorte de Beppe Grillo à la polonaise, Pawel Kukiz ne possède toutefois pas de structure partisane. «Il a récemment évoqué la possibilité d’envoyer des candidats pour les législatives, précise Jakub Iwaniuk. Peut-être sous la forme d’un mouvement citoyen. Le journaliste mentionne également l’eurodéputé Janusz Korwin-Mikke, l’une des figures politiques les plus controversées de Pologne, dont l’acronyme polonais de son parti porte son nom (Korwin). Eurosceptique, ultralibéral, révisionniste, il avait tenté de se rapprocher de la présidente du Front national Marine Le Pen pour former un groupe au Parlement européen. Mais l’élue française a refusé, preuve s’il en est de la réputation particulièrement sulfureuse de Janusz Korwin-Mikke. «On pourrait même envisager une coalition entre les libéraux et les conservateurs, rajoute le journaliste. C’est un scénario très improbable qui se produirait si aucun parti n’est capable de former une coalition gouvernementale.» Lorsque le PiS était au pouvoir entre 2005 et 2007, le parti avait fait alliance avec la Ligue des familles polonaises (parti catholique d’extrême-droite). «Un mélange explosif qui n’avait pas duré», résume Jakub Iwaniuk.
Avec un taux d’observance de 40% (87% de la population est de confession catholique), cela fait de la Pologne l’un des pays d’Europe les plus religieux. Il est dès lors peu probable que les conservateurs prennent leur distance vis-à-vis de l’épiscopat.
Mais la victoire du PiS n’est pas encore acquise. Elle dépendra en partie de la capacité du président Andrzej Duda à faire preuve d’indépendance vis-à-vis de son mentor Jaroslaw Kaczynski, frère jumeau du président Lech Kaczynski, décédé en 2010 lors d’un crash aérien en compagnie de nombreux représentants des autorités polonaises. Les conservateurs affirment d’ailleurs ouvertement que les libéraux sont responsables de la catastrophe aérienne de 2010. «Si le PiS gagne les élections, l’une de ses premières actions de politique extérieure sera d’exiger de récupérer les restes de l’avion transportant Lech Kaczyinski, qui se trouvent encore actuellement en Russie, prédit Jakub Iwaniuk. Les relations entre la Pologne et la Russie sont déjà tendues. Elles le seront probablement encore davantage en cas de victoire des conservateurs.» Sur le plan intérieur, l’une des conséquences d’un retour au pouvoir des conservateurs sera le renforcement de l’épiscopat polonais. Lequel s’est déjà illustré à plusieurs reprises depuis l’élection d’Andrzej Duda à la présidence de la République. L’Eglise catholique polonaise a notamment menacé d’excommunication les parlementaires ayant voté en faveur de la loi sur la fécondation in vitro. Le maire de Slupsk, Robert Biedron, est le premier représentant ouvertement homosexuel a avoir été élu à la tête d’une ville. Il fait pour sa part l’objet de poursuites du procureur pour avoir décroché un portrait de feu le pape Jean-Paul II, accroché dans son bureau. «L’arrivée au pouvoir des conservateurs ne sera évidemment pas une bonne nouvelle pour les minorités sexuelles et tous les sujets de société qui relèvent de la sécularisation, estime Jakub Iwaniuk. La position du PiS est complètement alignée sur celle de l’épiscopat polonais. Le président de la République Andrzej Duda ne jure que par lui.» En 2011, 87% de la population polonaise était de confession catholique. Avec un taux d’observance de 40%, cela en fait l’un des pays d’Europe les plus religieux. Il est dès lors peu probable que les conservateurs prennent leur distance vis-à-vis de l’épiscopat.
Pas d’adhésion à l’euro avant 2020 au moins
Si le parti conservateur Droit et Justice (PiS) remporte les élections législatives du 25 octobre, les relations avec l’Union européenne pourraient se tendre. «Bruxelles doit probablement redouter le retour au pouvoir des conservateurs polonais, explique Jakub Iwaniuk, journaliste indépendant basé à Varsovie. Le PiS avait pratiqué par le passé une politique étrangère souverainiste et multiplié les obstructions à l’égard de l’Europe. Le parti Droit et Justice aime beaucoup remuer le couteau dans les plaies historiques, précise l’observateur politique. Lorsque le parti conservateur était au pouvoir entre 2005 et 2007, ça ne passait pas très bien avec l’Allemagne et la Russie. Ce n’est qu’après la victoire des libéraux de Plateforme civique (PO) que les rapports avec Bruxelles et plus particulièrement l’Allemagne se sont progressivement normalisés. «A partir de 2007, la Pologne s’est bien intégrée au jeu européen, note Jakub Iwaniuk. Le pays a très bien exploité les mécanismes qui régissent l’Union européenne. Cela s’est particulièrement vu en 2011, lorsque la Pologne a présidé le Conseil de l’Union européenne.» Le journaliste estime que c’est notamment grâce aux bonnes relations entre la Pologne et l’Allemagne que l’ancien premier ministre Donald Tusk (2007-2014) a pu être désigné président du Conseil européen. «La chancelière allemande Angela Merkel a fait un intense lobbying en faveur de la désignation de Donald Tusk», affirme Jakub Iwaniuk. «Mais je ne préjuge pas du comportement du président de la République Andrzej Duda vis-à-vis de l’Allemagne. Sa femme est germaniste. Il a sans doute une certaine affinité à l’égard de la première économie européenne. En tout cas davantage que son mentor Jaroslaw Kaczynski.»
L’adhésion à l’euro, validée de facto lorsque les Polonais ont accepté d’adhérer à l’Union européenne en 2004, ne fait pas partie des priorités des conservateurs. Ni de celles des libéraux de Plateforme civique, d’ailleurs. «Les différents gouvernements n’ont fait que repousser l’échéance de l’entrée dans la zone euro, confirme Jakub Iwaniuk. On avait évoqué à l’époque une adhésion en 2011, voire en 2012. Aujourd’hui, la Pologne n’adhérera pas avant 2020 au minimum.» Le principe d’un référendum est évoqué tant par le parti conservateur que par les libéraux. L’adhésion à l’euro implique de toute façon un amendement à la Constitution nécessitant un vote du Parlement à la majorité de deux tiers. Réunir une telle majorité est actuellement inenvisageable. D’autant plus que les sondages font ressortir qu’une très large majorité des Polonais (plus de 60%) sont contre l’entrée dans la zone euro.
Photo: Andrzej Duda, président conservateur de la République de Pologne
© L'Agefi du 7 août 2015, Grégoire Barbey
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