Pop-up philosophique (écologie et économie)
A l’occasion des Rendez-vous organisés le 5 décembre, le Ministère de l’Economie et des finances livre sa feuille de route pour la transition écologique : A Bercy, on agit, Faire de la France la première économie verte d’Europe en 2040. Passons sur le marketing politique galvaudé du « premier de la classe ». Le document reprend la construction des plans énergie climat, avec axes et mesures. Il est question des budgets verts, de l’hydrogène, d’adaptation au changement climatique, etc. Très bien ! Maintenant, comme pour n’importe quel plan climat, il ne suffit pas de programmer, il faut voir ce que cela donne. Ce passage à la transition écologique, bienvenu dans un ministère qui lui a longtemps fait obstacle, s’accompagne cependant d’une sémantique politique franchement déplacée et déjà dénoncée sur ce réseau Juliette Nouel , Bastien Sibille Émilien Bournigal .
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Le problème ne réside pas tellement dans les bisbilles politiques que cette sémantique alimente : Bruno Le Maire a l’air de dire que le principal danger, avant même les impacts du changement climatique, c’est l’idéologie de la décroissance, qu’il prétend combattre ! Soyons sérieux. Ce n’est pas comme ça que l’on promeut les multiples coopérations locales (qui n’ont jamais annulé tous les désaccords d'ailleurs, heureusement) dont dépendra de toute façon la transition sociale nécessaire à la transition écologique. Le problème tient plutôt au fait que ceux qui disent la politique pour tous les autres ne remarquent pas dans le défi écologique un impératif de travailler aussi leurs manières de dire, et du même coup de comprendre, ce défi.
Nos économistes découvrent ainsi qu’ils ne peuvent plus opposer économie et écologie. Mais comment dire l’unité qui justifie cette « nouvelle » conciliation ? Ce passage sémantique par l’unité appelle un engagement philosophique un peu risqué au plan politique. On peut dire comme Bercy des trucs du genre : la nouvelle croissance se fait avec la planète et non pas contre la planète. Mais « l’ancienne croissance » qui se faisait contre la planète se faisait aussi avec (grâce) à la planète. Ou bien : l’écologie et l’économie sont les deux faces d’une même médaille, notre présence sur terre. Là encore, notre présence sur terre est pourtant elle-même la source des problèmes écologiques. Dans les deux cas, la prétendue unité sert de paravent bien transparent à une opposition qui subsiste. Évidemment, si on dit que l’économie et l’écologie sont à articuler dans le système Gaïa, on passe à une unité beaucoup plus consistante. Mais aussi beaucoup plus contraignante : cela signifie que les activités économiques ne peuvent perdurer sans se soumettre aux nécessités de ce système global. En fait la véritable unité qui permet de dire la conciliation de l’écologie et de l’économie est celle de la régulation. Et là le problème politique se corse, on comprend que Bercy ne veuille pas le poser. Car la référence à la régulation fait immédiatement apparaître une nouvelle opposition : faut-il soumettre le secteur économique à une régulation politique justifiée par la référence au système Terre, ce qui fait peur évidemment à tout adepte de la croissance ; ou bien la régulation de l'économie ne sera-t-elle finalement que la limitation due à l’épuisement des ressources, au bouleversement des conditions de vie, un programme qu'aucun politique ne saurait proposer. Dans un très bel article publié par AOC en octobre 2020, (« L’économie est une chose trop grave pour la laisser aux (seuls) économistes ») le sociologue François Vatin retrouvait le même problème par un chemin inverse : l’opposition entre écologie et économie ne vient-elle pas du fait qu’on associe à tort sous la notion d’économie deux conceptions opposées de l’économie. L’économie comme recherche du maximum (de profit) ; et l’économie comme recherche de l’optimum, c’est-à-dire recherche du maximum mais sous contrainte. C’est l’économie, comme recherche de l’optimum sous contrainte du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité, etc., qui est finalement une écologie. Une conception qui ne devrait pas choquer Bercy, où on sait bien « faire des économies ». A bientôt pour une prochaine pop-up.