Portrait - Pascal Souchet
Son parcours
Pascal Souchet, 63 ans, a été plâtrier-peintre toute sa vie. Un métier physique, dont il s’est retiré en août 2022. Avec son épouse, ils sont les heureux grands-parents de trois petits-enfants, qu’ils vont chercher à l’école plusieurs fois par semaine, et dont ils s’occupent durant les vacances.
Le point de bascule
En 2011, Pascal souffre de colique néphrétique et se rend chez son médecin traitant. Ce dernier lui prescrit une échographie, qu’il passe dès le lendemain, à l’hôpital. Le praticien lui découvre un adénocarcinome rénal de grade 2 sur le rein droit. La tumeur à l’intérieur de la capsule du rein pèse 480 grammes. La pathologie étant déjà assez avancée, il programme une opération rapidement.
Même si les médecins tentent de faire preuve de tact, le moment où un patient apprend qu’il est malade est toujours abrupt. C’est un choc pour Pascal : « Tout va très vite. On m’annonce un protocole et on énonce, pour la première fois, des mots qui seront ensuite des épreuves : ablation du rein, ablation de l’uretère, ablation d’une partie de la vessie ». L’ablation au rein, entraîne une hémorragie interne et des premières complications.
Le caractère comme moteur
« Vous prenez des calottes comme vous n’en avez jamais pris. Ça vous assomme un peu à vrai dire. Et pourtant, je ne suis pas quelqu’un qui se laisse abattre facilement. Le choc est dur à encaisser. Mais, l’instant d’après, vous avez cette force qui monte en vous. C’est comme si vous abritiez deux personnes, celui qui vient de prendre une claque et celui qui veut se battre et qui dit : on va y arriver, on va s’en sortir ! » dépeint-il avec humilité. Des propos qui font écho à ce que Florent Pagny décrit dans l’ouvrage « Pagny par Florent », paru en 2023, dans lequel il raconte son combat contre la maladie. Pascal s’est reconnu à travers les lignes écrites par l’artiste : « Il parle d’un uppercut au moment de l’annonce, puis, d’une puissante envie de se battre. C’est exactement ce que j’ai ressenti ».
Ensuite, vient le partage aux proches, qui décuple son ressenti. Plus que son propre choc, il voit la maladie à travers leur regard : celui de la peur. Ses parents et son beau-frère sont présents à ce moment-là, totalement « déconfits ». Pascal est alité, mais brûle d’envie de se lever et de leur dire : « J’ai voulu leur prouver qu’il ne fallait pas se laisser abattre. Finalement, dans une maladie, le plus compliqué, c’est de gérer la famille ». Particulièrement lucide et résilient, Pascal Souchet garde un moral d’acier.
« Tout le monde me dit que lutter contre la maladie demande du courage. Je ne suis pas d’accord. C’est quelque chose que l’on a en nous, que l’on ne se connaît pas, et qui se révèle à ce moment-là. Il faut le vivre pour le ressentir ! » explique Pascal.
Sans appréhension, il décide de partager tout de suite sa situation avec ses proches. Cet élan lui vient d’une connaissance, malheureusement décédée, qui lui avait confié l’importance de l’annoncer. « Les gens veulent souvent entendre que vous allez bien. Si vous répondez que non, ils sont déstabilisés. Alors que, si vous faites la démarche en premier, vous les libérez. Ils vous parleront plus librement, avec moins de gêne. Mieux informés, ils voudront approfondir le sujet, comprendre les protocoles… ». En somme, l’annonce permet d’inclure les proches dans le quotidien du malade. « Les proches veulent se donner bonne conscience, se rassurer sur quelque chose qu’ils n’ont pas. Les connaissances se font des a priori, ne vivent pas le quotidien donc ne peuvent pas forcément l’aborder d’une manière sereine, pour eux comme pour vous » ajoute-t-il.
La maladie continue, la vie aussi
En 2019, on trouve à Pascal des métastases sur son autre rein. Son oncologue lui propose la cryothérapie. « C’était formidable ! » assure-t-il. Ce recours, alors peu courant, est à l’étude pour les cancers du sein mais vient seulement de dépasser la phase de test. La méthode consiste à injecter de l’azote liquide (intensément froid) dans la métastase avec une aiguille prévue à cet effet. Dès lors, on réchauffe la solution, cette manipulation servant à faire éclater la métastase. Ensuite, on répète le processus en laissant cette fois le liquide tel quel, dans le but d’exterminer la cellule cancéreuse. La procédure se passe sous anesthésie et n’implique aucun effet secondaire.
Plus tard, les médecins suspectent de petites métastases sur ses poumons. Pascal suit une nouvelle chimiothérapie. Le traitement endigue discrètement la maladie, sans plus. Son état se complique en 2020, lorsqu’on lui diagnostique des métastases osseuses disséminées un peu partout. « Cotyle gauche, fémurs, humérus gauche, côtes… Il y en avait partout, je ne pourrais pas tout lister ! » Détectées presque par hasard, car à l’époque, elles ne lui provoquent aucune douleur. La maladie gagne du terrain l’année suivante. Cette fois, la remise en forme est plus difficile pour Pascal qui subit d’insoutenables douleurs neuropathiques. Malgré sa combativité, il se voit contraint de prendre des anti-douleurs, avec un certain nombre d’effets indésirables. Heureusement, il bénéficie d’un accompagnement psychologique par « une femme formidable », spécialiste de la gestion de la douleur, qui l’épaule dans cette épreuve.
Le besoin d’une allogreffe
Pour comprendre quelle a été la place de l’allogreffe dans sa vie, il faut remonter en octobre 2020. Pascal a développé une tumeur sur l’humérus gauche qui ne fait que quelques millimètres. Il semblait alors qu’il ne faille pas trop s’en inquiéter. Pourtant, elle se révèle terriblement insidieuse. En quelques semaines à peine, elle grossit pour atteindre 6 centimètres. Au mois de mars 2021, Pascal ressent une douleur aigüe en tentant de rattraper un objet sur le point de tomber. Il pense d’abord à une déchirure musculaire, mais son état s’aggrave.
Il passe une radio, puis une échographie. Les résultats des examens confirment ses préoccupations : la métastase a grandi. Aussitôt, il essaie de contacter son oncologue qui est aux Etats-Unis. Difficile alors d’obtenir une prise en charge adaptée. La pandémie Covid-19 complique les prises en charges et beaucoup d’interventions sont repoussées. Sa pathologie nécessite une chirurgie reconstructrice très importante, et personne n’est disponible. Pendant de longs mois, il doit attendre et vivre avec une douleur vive et permanente.
Seulement, entre-temps, son bras craque. Il se casse littéralement et brutalement, au niveau de la métastase, alors qu’il était endormi. Il se réveille en sursaut, avec une immense douleur au bras. Le cancer a tellement fragilisé ses os que son humérus s’est fracturé sans même un sursaut, trop abîmé.
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La prise en charge et l’opération
Pascal Souchet prend attache avec le Docteur Villatte par le biais de son médecin de la douleur : « Il m’a pris en main tout de suite. J’ai dû le voir le 25 juillet… et le 4 août, il m’opérait. Il n’a pas voulu partir en vacances en me laissant dans cet état. C’était salvateur pour moi ! » Le Dr Villatte rencontre alors un patient en grande souffrance, qui n’avait plus aucune fonction avec ce bras. Un lourd handicap au quotidien.
Lors de la première consultation, le chirurgien lui propose directement une allogreffe, radio en main. « D’abord, je ne connaissais pas du tout cette pratique. Je ne savais pas du tout que ça existait. Quand on vous dit qu’on va insérer un morceau de tibia sur votre bras, ça vous fait drôle ! » s’amuse-t-il. Il est effectivement courant que le greffon ne corresponde pas à la partie endommagée. Dans son cas, utiliser un tibia offrait un résultat plus résistant. Il est déterminé et accepte directement :
« Si ça m’aide, c’est super. Mais si en plus ça aide les chirurgiens et médecins à progresser dans leur métier, je fonce tête baissée. »
Grâce à une la prothèse et l’allogreffe, il a pu obtenir une indolence en quelques jours (arrêt de la morphine progressif). Pascal s’est rééduqué presque immédiatement avec beaucoup de volonté.
Récupération et rééducation
La récupération est un processus dont la durée et les conditions varient selon chaque individu. Chez Pascal, la douleur a été vraiment rude. Il reste trois jours à l’hôpital sous surveillance. Puisque son activité rénale est fragile, il n’a normalement pas le droit aux anti-inflammatoires. L’équipe médicale lui en délivre une dose réduite pour le soulager, pour ne pas prendre le risque d’abîmer son deuxième rein. La douleur finit par s’atténuer ; on l’autorise donc à rentrer chez lui, avec une épaule immobilisée qu’il doit absolument ménager.
Pascal Souchet suit alors un programme de rééducation avec des séances tous les deux jours. Certaines douleurs reviennent par moments, sans trop que l’on sache pourquoi. Cela peut paraître inquiétant mais c’est en réalité plutôt habituel. « En moyenne, il faut deux ans avant d’être débarrassé de toute douleur. A cause de mon cancer des os, je sais que ce sera plus long. Mais dans l’ensemble ça va » déclare-t-il avec aplomb. A ce jour, les sessions sont plus espacées, à raison de deux par semaine. Elles consistent avant tout à détendre les muscles au maximum par le massage. Ensuite, Pascal doit par exemple faire rouler un ballon sur un mur, de haut en bas. « Je fais beaucoup de mouvements répétitifs, presque de la gonflette ! » plaisante-t-il.
Une motricité retrouvée
Après l’intervention, le Dr Villatte le prévient que certains mouvements seront impossibles à reproduire comme avant. Pascal, fidèle à son tempérament, voit là un défi à relever. Il s’entraine, répète les mouvements et travaille sa motricité, levant peu à peu les freins avec de nouveaux gestes. Féru de bricolage, il sollicite beaucoup son bras et il arrive que la douleur le rappelle à l’ordre. « Je vis sans trop penser à la maladie mais il y a tout de même quelques restes qui me la rappellent. » explique-t-il. Mis à part ces petits désagréments, il est extrêmement content de l’intervention qui lui a offert de retrouver une mobilité importante. « Et ce n’est pas fini ! » rajoute-t-il.
Une stabilisation progressive
Alors même qu’il récupère de son opération du bras, Pascal se met à tousser et à cracher beaucoup de sang. Il présente des lésions pulmonaires qui gênent sa respiration. 7 mois plus tard, on lui découvre une métastase dans une bronche. Il est directement opéré. C’est un 21 mars, jour de l’anniversaire de son deuxième petit-fils. « Je me suis accroché à la vie. Il n’était pas question que je m’en aille le jour de l’anniversaire de mon petit ! » Sa ténacité lui porte chance, l’intervention est un succès. Depuis ce jour, il suit un nouveau traitement qui a empêché l’apparition de nouvelles tumeurs. Celles déjà présentes ont même diminué : le cancer n’a qu’à bien se tenir ! Ses derniers examens confirment une situation stabilisée. « Espérons que ça continue ! » commente Pascal.
Ses petits-enfants, son moteur
Pascal Souchet a fait part de sa maladie à ses petits-enfants mais ne leur a pas expliqué la greffe, sujet trop pointu pour les garçons, âgés de 3 à 9 ans. « Ils savent très bien que papy est malade. Je leur dis que papy risque de partir au ciel un jour ; mais qu’il les aime tellement qu’il se bat pour les voir grandir et les voir devenir plus grand que lui » Les enfants ont développé une empathie et une certaine délicatesse à son égard. Ils lui demandent comment il se sent dès qu’il soupire un peu trop fort. Le plus jeune a un grand projet, celui de devenir médecin pour soigner son grand-père.
Il aborde peu le sujet, bien conscient de la perméabilité des enfants. Pourtant, ce sont souvent eux qui en parlent spontanément. Le plus grand a été diagnostiqué Haut Potentiel Intellectuel (HPI). Son esprit bouillonnant lui a causé certains problèmes de concentration en classe. Des difficultés à se sentir bien, à bien travailler et donc à avoir de bons résultats. Désormais, il prend un traitement pour l’aider et le résultat est phénoménal. Très content de lui, il veut aussi rendre fier son papy en essayant d’être le premier de la classe. « Vous vous rendez compte de la résonance que ça peut créer quand vous êtes malades. Ça vous motive encore plus. Mes gamins ce sont mes moteurs de vie. »
Un message pour l’Ostéobanque
« Je vous souhaite d’avoir le plus possible de dons d’organes et de tissus. Je ne peux pas en donner parce que je suis tellement malade que ça ne vous servirait à rien du tout. Mais je vous souhaite d’en avoir le plus possible, qu’il y ait une résonance chez les gens pour comprendre que la mort n’est pas toujours une fin en soi. On peut aider d’autres à survivre. »