Pose du dernier élément bois de la flèche de Notre-Dame
© Bernard Brangé, bout de la rue du cloitre Notre-Dame, Paris

Pose du dernier élément bois de la flèche de Notre-Dame

Ce mardi 28 novembre en 30 minutes la dernière partie du poinçon central de la flèche, partie verticale de plusieurs mètres de haut épaulée de ses arbalétriers latéraux, s’envole au bout d’une grue et rejoint sa place définitive, au dessus des parties précédemment assemblées. Nous souhaitons qu’elle soit en place pour plusieurs siècles. Elle termine définitivement l’élévation en hauteur du poinçon central, colonne vertébrale de la flèche.

C’est le premier jour où nous, grand public, pouvons voir cette pièce maîtresse de charpente. Mais c’est aussi le dernier jour où elle est visible.

En effet, à peine posée elle est déjà corsetée par l’océan métallique des échafaudages. Elle redevient aussitôt invisible. Puis, dans quelques mois, son habit de plomb nous cachera à tout jamais le peu de ce beau bois de chêne blond brièvement entrevu ce jour d’exception.

Retour en images grace à Bernard Brangé : revivons ensemble ces 30 minutes par ses vues photographiques.

© Bernard Brangé, le poinçon se soulève du sol, hissé par une grue.


14h05. Sur l’aire de travail au chevet de la cathédrale le poinçon, déjà ligaturé à la grue, commence sa lente érection, inclinée ici déjà à 45°. Plusieurs hommes veillent à la manœuvre. Remarquons que les arbalétriers ne montent pas jusqu’en haut du poinçon. Ils s’arrètent quelques mètres en dessous. Cette partie droite sera habillée plus tard de plomb formant la couronne de seize roses de la Vierge, laquelle sera surmontée d'une immense croix métallique, elle-même couronnée de la girouette, un coq en cuivre contenant des reliques de saints. Quel est le poids de cet ensemble de chêne ? Au delà d’une tonne ? Sans doute. Les casques des hommes, au premier plan, donnent l’échelle et permettent peut-être d’appréhender la masse. Cet assemblage de chênes taillés est colossal.


© Bernard Brangé, le levage est presque achevé.

14h06. Voici le poinçon élevé déjà presque à la verticale.


© Bernard Brangé, en haut de la tour métallique, c'est l'attente.

En haut de l’échafaudage, les charpentiers et architectes sont là, prêt à recevoir le poinçon. Ils attendent et regardent.


© Bernard Brangé, zoom au 680mm sur les pieds du poinçon et la bannière.

Un tissu aux logos des entreprises ayant réalisé ce chef-d’oeuvre de charpente flotte aux vents, nous rappelant que c’est un travail d’hommes, particulièrement de charpentiers. Ces hommes ont un savoir-faire hors-pair venant d’une chaîne humaine remontant à plusieurs générations. Nous pouvons employer le mot de Compagnonnage et de « l’Art du Trait », art véritable reconnu au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco, quoique négligé des historiens de l’art.

Voyez, au dessus de la bannière, ces poutres de chêne remplies d’entailles toutes plus marquées les unes que les autres. En effet ces poutres s’ajustent de manière savante et exacte par ces tenons et mortaises (pour employer des mots simples), assurant une grande part de la stabilité future de l’assemblage.

Au dessous de la bannière flottent quelques cables. Arrivant à son emplacement définitif par le haut, les charpentiers, juchés sur l’échafaudage, attraperont ces filins pour guider la descente du poinçon et l’ajuster à sa juste place pour réaliser l’emboitement sur le poinçon précédent, comme dans un Lego géant.


© Bernard Brangé le poinçon diminue rapidement à notre vue.

14h26. Suspendu à son fil, devenu soudain minuscule dans l’immensité du ciel, le poinçon n’est déja plus dans notre monde. Sa vie aérienne commence, sans doute pour plusieurs siècles.


© Bernard Brangé, le poinçon oscille lors de son ascension.


Durant son ascension rapide la structure de bois oscille un peu. Nous ressentons comme une fragilité. Devenue lointaine, petite, elle devient fêtu de paille.


© Bernard Brangé, toujours plus haut.


14h27. Notre œil habitué aux images des exploits spatiaux peut voir là comme une fusée qui s’affranchit de la gravité. En réalité, c’est un peu de cela qu’il s’agit.


© Bernard Brangé. L'élévation finie, maintenant rotation vers la tour de métal.


14h31. Derniers instants de plein-ciel pour notre poinçon. Dans quelques instants il va s’amarrer définitivement et finir la progression en hauteur de cette colonne centrale constituée de plusieurs vertèbres de chêne empilées à la verticale les unes sur les autres, de manière parfaite.


© Bernard Brangé, le poinçon commence sa descente.


14h33. C’est la fin, pour nous. Cette dernière partie du poinçon descend doucement dans son corset provisoire de métal, permettant aux hommes de mener la suite des travaux.


© Bernard Brangé. zoom au 450mm. Arrimage du poinçon dans peu de temps.


14h35. Huit hommes, visibles sur cette photo, se penchent sur la descente du poinçon et son arrimage. L’effervescence doit être à son comble. Même si des assemblages d’éléments de chêne restent à réaliser pour le 2e étage à jour de la flèche et les galbes au dessus, le gros-oeuvre bois semble là se finir.


Pour mémoire voici le déroulement de cette fin de travaux presque équivalente à l'époque de Viollet-le-duc, notée dans son "Journal des travaux" : 30 avril 1859, On a monté ce matin l'aiguille de la flèche et la pointe extrême du poinçon (les travaux de montage ont commencé le 14 février dernier). 9 mai 1859, Le gros œuvre du montage de la flèche étant terminé l'on commence la pose des arêtiers et des balustrades des deux étages à jour. 16 mai 1859, Aujourd'hui à deux heures et demi, la pose du drapeau (drapeau tricolore obligatoire, rappelant que ce bâtiment appartient à la République française) à la pointe de la flèche a été opérée en grande cérémonie par les ouvriers charpentiers accompagnés de la musique. cette cérémonie a été célébrée en présence de M. Viollet-le-Duc, architecte de la cathédrale".

Gageons qu’en cette occasion identique, cent soixante ans plus tard, les équipes responsables de ce succès surent le fêter.


.© Bernard Brangé, la silouhette bien connue de la cathédrale s'offre à nouveau à notre regard, avec un peu d'imagination.


14h36. Sur cette dernière vue notre œil peut enfin deviner la nouvelle flèche insérée dans son milieu, à la croisée des transepts, et retrouver la silouhette qui nous était si familière avant le drame du 15 avril 2019. La pose est suivie de partout, de télévisions au sol et aussi du haut de la tour nord où trois personnes suivent l’événement.

Pendant ce temps le chantier ne s’arrête pas, comme le montrent les charpentiers au travail, au côté gauche de la photo, travaillant à différents niveaux de la charpente de l’abside, car il faut tenir le pari de la réouverture au public le 8 décembre 2024.


Ce drame a failli marquer la fin de ce monument emblématique, qui appartient à divers titre à notre culture à tous. Paradoxalement et grace à une mobilisation sans faille, ce sinistre est devenu l’agent de la résurrection de notre cathédrale qui sort de cette épreuve renforcée, rajeunie comme on ne l’a jamais connue.


... Oui, nous découvrons le lendemain vendredi 1er décembre la fête qui s'ensuivit à 11h30 :

Pose du bouquet final du chantier bois

Il signifie la fin du gros oeuvre bois de la flèche. Sous l'oeil infaillible d'un drone la grue soulève l'énorme bouquet tricolore constitué de fleurs bleues en haut, blanches au milieu et rouges sous les rubans tricolores flottant au vent. Il y a là comme une symbiose parfaite, sans doute involontaire, des couleurs de notre pays et des couleurs de Marie à laquelle ce monument est dédicacée. Bravo.


© Bernard Brangé, zoom 300mm, photo éclaircie.

Les équipes ont effectivement fêté cet événement unique, historique, exceptionnel. Prenons en bien conscience. Jamais nous ne reverrons pareille construction, ni un tel élan national avec l'adhésion de tous, même parfois de grincheux.


© Bernard Brangé, zoom 770mm, photo éclaircie.

Une vingtaine de personnes, tout le staff, attendent le bouquet de fleurs, comme le veut la tradition des charpentiers qui fêtent cet événement..... Et il y a de quoi ! Même nous, grand public, fêterons cet événement.



.© Christian Dumolard, 2013

Nota : pourquoi cette flèche néogothique a-t-elle été édifiée au XIXe ? Pour le comprendre, ainsi que la construction des deux autres flèches néogothiques en 1854 à la Sainte-Chapelle de Paris et en 1858 à la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans, par le même compagnon charpentier-gâcheur Pierre-Joseph GEORGES et le même entrepreneur en charpente, Auguste BELLU, voir notre article publié dans la revue annuelle "Fragments du Compagnonnage", éditée par le musée du Compagnonnage de Tours, en décembre 2021 ou télécharger la version pdf (libre) sur Academia.edu, comprenant 100 pages illustrées de 100 photos.


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