Pour une alliance rebelle

Pour une alliance rebelle

Quoi Maintenant n°7 La chronique de l’agent très spécial « Pour l’alliance rebelle » - 16/01/2018 

Le thème de ce numéro de ce journal est : « Résister aujourd’hui ». Quand on m’a annoncé cela, j’ai tout d’abord pensé à Star Wars et au combat galactique contre la puissance totalitaire par une poignée de rebelles défendant une république pacifique. C’est une référence et un mythe qui parlera à tout le monde et pas seulement aux connaisseurs de telle ou telle musique. Donc je sors de mes habitudes de critique musicale pour aborder des sujets plus vastes mais avec un gros rapport avec la musique parce que la musique est notre moteur, ce qui nous permet une analyse du monde dans lequel nous vivons. Ce n’est pas qu’un loisir ou la grosse teuf, c’est aussi un être au monde. 

 La saga Star Wars a commencé en 1977 ! Elle continue aujourd’hui, avec différents publics et des fans de la première heure comme des nouveaux venus. C’est la même chose pour les mouvements musicaux que les sociologues nomment marginalités culturelles. Là je sais que ça va parler à certains d’entre vous. Je risque même d’attendrir les punks. Mais pourquoi résister ? Surtout aujourd’hui ? 

Ne me dites pas que tout va bien, que rien n’a changé dans nos villes et dans notre vie concrète. Ce n’est pas parce qu’on s’éclate en concert qu’on est aveugle. Le canal Saint Martin à Paname, est une salle de concert mais elle est aussi à quelques dizaines de mètres de la place Stalingrad et de la file de migrants qui y prenaient leur repas. Depuis qu’ils ont été chassés, la police quadrille le quartier pour ne pas qu’ils reviennent. Donc pas besoin d’allumer BFM TV pour voir ce qui se passe. Le rocker moyen est vite confronté à la réalité. Dans sa vie de fan de musique il voit bien que ce n’est plus comme avant. Des salles ferment, des groupes se séparent, des radios se transforment, les bars ne sont plus aussi pleins et les élections nous amènent de nouveaux décideurs. Pour moi, les années fastes des musiques urbaines sont derrière nous et nous sommes entrés récemment dans une nouvelle époque. Alors, ce n’est pas forcément négatif, seulement rien n’est plus pareil et si l’on veut avoir une place dans ce nouveau contexte et ne pas filer au musée, il importe de ne pas se laisser faire et de ne pas s’endormir. Donc cette idée de résister me touche particulièrement. 

Il y a un tout autre sens au mot résistance que celui de conspiration armée. Un sens psychologique et individuel : résister, c’est tenir le coup, ne pas renoncer et ne pas se soumettre, en particulier ne pas se soumettre aux riches, aux puissants et à la fascination qu’ils exercent sur les esprits. Je le vois bien dans mon quartier où le fait de vivre pas loin de Neuilly tourne la tête à certains. C’est vrai qu’à Colombes il n’y a pas cette proximité malsaine. En ce sens la résistance est plus une attitude individuelle, une aptitude à endurer les difficultés et le manque de succès. Les chômeurs comprendront. Car il est facile de devenir un club champion quand on a un gros budget comme celui du Qatar mais quand tu n’as pas de thunes et que tu dois tout faire avec des bouts de ficelle, ce n’est pas la même histoire. 

Doit-on pour cela accepter de disparaître de la circulation et de passer ses journées sur un banc avec une bouteille de bière ? Renoncer à ses idées et à ses projets ?  

Résister, en ce sens, c’est aussi affirmer quelque chose, des convictions, des choix et des envies même lorsque ce n’est pas l’avis de la majorité. Le hip-hop n’a pas toujours été populaire, au début pas grand monde n’en parlait. Le punk par contre, a très vite tourné au tapage médiatique ce qui fait qu’on en a parlé partout pendant deux ans. Puis plus rien à part des commémorations alors qu’il y a eu plusieurs vagues et plusieurs publics. Idem pour le ska, tout le monde connaît Madness qui a cartonné un été mais à part Madness, que voyez-vous de ce courant musical ? Pourtant il a ses adeptes dans le monde entier, et des groupes de ska de votre banlieue ont des fans à l’étranger qui achètent leurs disques. 

D’où ma critique de l’usage des statistiques : c’est un outil, mais commenter les statistiques masque une absence de projets et de propositions. C’est vrai en politique comme en critique musicale. On constate que machin vend des disques par camion entier. Mais ce qu’on oublie de dire c’est que, comme le PSG, il a un budget et des moyens. Tu peux te payer une campagne d’affiches géantes dans le métro ? Parce que, mon ami, ce n’est pas gratuit, les agences de com et les attachés de presse ne travaillent pas à l’œil. Pourtant j’aime bien bosser avec les attachés de presse. C’est ainsi que dans les médias, y compris ceux qui se disent de gauche, on subit des trucs sans intérêt, qui n’apportent rien à l’amateur de musique, quel que soit son style de son. Des gars sont payés pour te parler de l’artiste qui a fait un gros chèque ! Entendons-nous bien, je ne crache pas sur les célébrités, il m’arrive d’écouter Michael Jackson et Prince, mais la bonne question n’est pas : est-ce que tu aimes Prince mais qu’est-ce que tu y trouves ? Surtout si tu es musicien. Et chez David Bowie, qu’est-ce que tu as remarqué ? Ses fringues ou sa voix ? J’ai lu un article sur Bowie, c’était deux pages de commentaires sur ses looks successifs, pas une seule fois il était fait mention de son talent vocal. J’écoute aussi le Nigérian Fela Kuti dont j’ai mis la photo, parce que c’était une figure à la fois musicale et politique, et que ses disques mont profondément marqué. Y penser permet de tenir bon et ne pas me laisser endormir. 

Alors c’est une résistance individualiste et sans action collective, mais c’est déjà ça, et c’est à la portée de chaque personne. Pour le collectif, je ne peux pas vous y obliger, ce n’est pas vraiment dans l’air du temps. Mais je me bats pour une alliance rebelle, pour l’unité entre les gens, parce que les tribus urbaines c’est derrière nous et dans les livres.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Patrick Bretelle

Autres pages consultées

Explorer les sujets