Pourquoi le Président sénégalais devrait abandonner son projet de prolongation de mandat et chercher une sortie honorable. Dr. Abdoul Aziz Gaye

Le Président sénégalais Macky Sall est aveuglé par son bilan matériel assez positif, les avantages et plaisirs du pouvoir depuis près de douze ans. Il envisage de prolonger son mandat au-delà des limites qu'il s'est lui-même prescrit, ainsi que celles inscrites dans la constitution sénégalaise. Des partisans et alliés de circonstance minoritaires lui ont également suggéré de passer à la vitesse supérieure pour demeurer encore à la tête du pays les cinq prochaines années. Certains d'entre eux lui ont même conseillé d’utiliser aveuglément la force pour arriver à ses fins. Plus de 500 sénégalais sont emprisonnés et une vingtaine de personnes sont mortes dans un pays reconnu pour sa stabilité et son modèle démocratique depuis plusieurs décennies. Malgré la répression sanglante, les arrestations arbitraires, et les meurtres, ce projet est voué à l'échec pour plusieurs raisons :

Premièrement, le président tente de faire passer sa candidature illégale tout en empêchant Ousmane Sonko, son principal concurrent, de se présenter légalement aux élections présidentielles de 2024! Un tel scénario n'a jamais été observé auparavant. En 2012, le Président Abdoulaye Wade avait tenté un troisième mandat, mais il avait permis à tous les candidats de se présenter, y compris Macky Sall. La suite est connue : Wade a été sanctionné en faveur de Sall. Quelques années plus tard, la stratégie politique de Macky consiste à instrumentaliser la justice pour écarter deux principaux concurrents, à savoir Khalifa Sall et Karim Wade, de la dernière élection présidentielle de 2019. Toutefois, à cette époque, Macky était fraîchement élu et pouvait se présenter légalement à une deuxième candidature. À présent, les circonstances ont changé en raison de l'usure du pouvoir (12 ans de règne), de sa position autrefois défavorable pour briguer un troisième mandat et de l'impossibilité de défendre un tel projet, même au sein de son propre parti politique, l’APR.

Deuxièmement, les Sénégalais ne tolèrent pas l'excès d'injustice infligé à autrui. En un temps record, Ousmane Sonko, inconnu politiquement en 2012, a subi  de multiples formes d’injustices de la part du régime de Macky Sall : révocation de la fonction publique, levée de son immunité parlementaire, campagnes de dénigrement excessives, complot visant à saboter la liste de son parti lors des élections législatives, procès politico-judiciaires et enfin une condamnation à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse, dans le but de le rendre inéligible aux prochaines élections présidentielles. Face à ces injustices, Sonko est devenu très populaire et cerise sur le gâteau chef de l'opposition, car les Sénégalais soutiennent souvent les victimes de l'injustice politique, ce dont Macky Sall lui-même a bénéficié pour devenir le quatrième président de la République du Sénégal. Macky n'aurait pas pu être élu président s'il n'avait pas été victime du régime de Wade.

Troisièmement, l'adhésion du peuple sénégalais au projet politique d'Ousmane Sonko est de nature unique. C'est la première fois dans l'histoire politique du Sénégal qu'un parti politique est soutenu financièrement et matériellement par le peuple lui-même, alors que souvent les individus adhèrent aux partis politiques pour s'enrichir ou occuper des postes. Les membres du Pastef et leurs sympathisants ont confié leur projet à Sonko, contrairement aux autres partis politiques. En conséquence, ils sont prêts à sacrifier leurs vies pour défendre leur leader et leur projet politique, car l'homme sénégalais est généralement calme et pacifique, mais se révolte lorsqu'il est acculé.

Si les actes de vandalisme qui ont accompagné les récentes manifestations doivent être vigoureusement condamnés, ils témoignent également de la colère de ces jeunes face au régime de Macky Sall, qui essaye de faire échouer leurs aspirations politiques par la condamnation de leur leader à deux ans ferme. Aussi, ces jeunes font face à des difficultés économiques, notamment le chômage, la pauvreté et les inégalités croissantes. Cette situation a créé un sentiment d'injustice et d'abandon au sein de la jeunesse sénégalaise qui trouve dans la protestation violente une forme d'expression de sa frustration. Par conséquent, la mort d'une vingtaine de jeunes et l'incarcération des centaines d'entre eux ne peuvent pas entraver l'émergence de ce nouveau phénomène politique incarné par la jeunesse sénégalaise et dirigé par Ousmane Sonko.

Quatrièmement, la frustration au sein du parti au pouvoir (l’APR) est palpable depuis l’accession de Macky Sall au pouvoir en 2012. Ce dernier est accusé par plusieurs membres de son parti d'être inaccessible et d'avoir nommé des personnes qui le combattaient auparavant à des fonctions de haut niveau, alors que ses partisans ont tout fait pour l'élire et le réélire au poste du Président de la République. Même beaucoup de ceux qui occupent des postes de responsabilité se plaignent de devoir soutenir Macky Sall sans bénéficier des moyens nécessaires pour exécuter leurs tâches politiques.

Face à ce mécontentement dissimulé depuis plus d'une décennie, il sera difficile pour ces derniers de se sacrifier pour défendre un mandat de trop. Ceci explique le silence de beaucoup de responsables de l’APR depuis le début du bras de fer politico-judiciaire entre leur régime et l’opposition. Par contre, certains d'entre eux incitent Macky Sall à briguer un troisième mandat à des fins strictement financières car ils savent que Macky injectera, sans doute, des milliards pour réussir sa réélection pour un troisième mandat. Ce qui constitue pour eux un moment propice pour s’enrichir davantage avant la chute du régime de l’APR. Cette logique est valable pour certains hommes dits-religieux ou coutumiers qui font leur business lors des élections présidentielles en s’alignant toujours aux côtés du régime en place pour des gains financiers et matériels. Le Président Macky Sall qui a déjà perdu son aura politique lors des dernières élections municipales et législatives ne sera pas en mesure d’être réélu par ces partisans et alliés de circonstance s’il se présente aux élections de 2024.

Il convient de signaler l’agacement de la plupart des pays occidentaux, face aux velléités de certains dirigeants Africains qui essaient de s’éterniser au pouvoir d’une manière anticonstitutionnelle. Par conséquent, ils risquent de ne pas le soutenir s’il décidait de briguer un troisième mandat. D’ailleurs, on observe qu’en France, une grande partie de l’opposition parlementaire dénonce régulièrement les dérives autoritaires du président Sall et appelle le gouvernement à plus de rigueur et de fermeté face aux tentatives de remise en cause des fondements de l’État de droit au Sénégal.

Du reste, avec la découverte du pétrole et du gaz, ces puissances occidentales veulent préserver leurs intérêts stratégiques au Sénégal et cela passe par la stabilité du pays et non pas la persistance de tensions politiques récurrentes et violentes. Est-ce que ces pays seraient prêts à sacrifier leurs intérêts dans un pays aussi important que le Sénégal en soutenant un régime  de plus en plus impopulaire? C’est ce que plusieurs analystes se posent aux USA, en Europe et dans plusieurs pays du monde.

C'est pour toutes ces raisons que le Président Macky Sall devrait abandonner son projet de troisième mandat. En outre, une prolongation du mandat en cours entraînerait une perte de confiance des Sénégalais dans les institutions de leur pays et une crise de légitimité pour le Président Macky Sall, une fois qu’il tenterait de s’accrocher au pouvoir, même pour deux années supplémentaires.

En revanche, le chef de l'État sénégalais doit trouver une sortie honorable en prenant des mesures d’apaisements immédiates. Entre autres, il devrait libérer tous les détenus politiques, engager un dialogue direct avec son principal adversaire politique (Ousmane Sonko), organiser des élections inclusives et transparentes auxquelles Sonko et tous les leaders de l’opposition participeront, et réparer les préjudices causés aux Sénégalais par les manifestations violentes. Le président du Pastef doit aussi faire preuve de flexibilité en négociant et en dialoguant avec le régime en place, car tous les conflits se terminent par des négociations. Pour rassurer les Sénégalais, Sonko devrait montrer sa stature d'homme d'État et sa capacité à dialoguer dans ce moment difficile de l'histoire politique du Sénégal. 

Félicitation Dr pour cette fine analyse très objective. Je mettrai juste un bémol sur le caractère positif de son bilan matériel, il s’est fait à que prix?

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