Pourquoi les entreprises doivent tout faire pour garder leurs cadres seniors
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mardi 1 mars 2022, par Thomas Porez
Les cadres seniors restent la cible de nombreux préjugés de la part les employeurs, et les démarches concrètes favorisant leur maintien en emploi restent timides. Pourtant, nous explique Anne Flahaut, consultante à l’Apec, il s’agit de profils à “forte valeur ajoutée”, en particulier en temps de crise.
Si leur taux d’activité et d’emploi progresse continuellement, et si les pouvoirs publics encouragent les employeurs à les recruter (ou à les garder), les cadres seniors font malgré tout face à “un marché de l’emploi sélectif par rapport à l’âge, et à une intensification du travail qui accroît leur usure professionnelle”, nous apprend une étude de l’Apec, réalisée en juin 2021. Selon cette enquête, menée auprès de 800 cadres expérimentés et 500 managers, de nombreux seniors se trouvent “particulièrement concernés” par le risque de chômage de longue durée, “voire de retrait contraint du marché de l’emploi”. Si bien que parmi les cadres demandeurs d’emploi, 22 % ont 55 ans ou plus.
L’âge reste en outre le “vecteur de nombreux préjugés chez les employeurs sur le marché de l’emploi, et les démarches concrètes favorisant le maintien en emploi des cadres seniors restent timides”, observe l’étude. “Nombre de dirigeants continuent d’avoir des a priori. Ils pensent que les plus de 55 ans coûtent cher. Qu’ils sont difficiles à manager, ou qu’ils sont tellement surdimensionnés qu’ils voudront prendre la place de leur supérieur. Qu’ils ne sont pas des as de la communication. Qu’ils ont une application moyenne car ils sont proches de la retraite. Qu’ils ne sont pas mobiles, pas flexibles, pas performants, résistants au changement et difficiles à intégrer”, liste Anne Flahaut, chargée de mission au centre Apec de Lille.
Pourtant, l’étude de l’association pour l’emploi des cadres permet de constater que les cadres seniors sont des profils appréciés en premier lieu pour l’expérience et le niveau d’expertise issus de leurs parcours. “Ils sont perçus comme des experts dans leur domaine du fait de leur grande expérience, au cours de laquelle ils ont dû faire face à des situations complexes qu’ils ont pu traiter avec brio. Leur expérience leur permet d’être autonomes, ils ont moins besoin d’être encadrés, ce qu’apprécient leurs managers. Ils sont même vus par ces derniers comme des personnalités sur lesquelles ils peuvent se reposer”, peut-on lire.
Des “stabilisateurs” et des “fédérateurs”
“Les atouts des cadres expérimentés sont très nombreux en situation de travail. Ils ont une opérationnalité quasi-immédiate, de par la connaissance éprouvée de leur domaine, de par leur compréhension rapide des enjeux du marché. Ils sont appréciés de leurs managers car ils savent prendre du recul, et affronter des situations complexes tout en restant stoïcs, ce qui est un grand avantage en temps de crise. Ils sont rassurants, capables d’apporter de la stabilité dans une équipe sous tension. Ils en sont les fédérateurs, les stabilisateurs”, explique Anne Flahaut. Paradoxalement, c’est leur capacité à apporter des réponses plus réfléchies, à être davantage dans la réflexion que l’action, qui leur vaut d’être perçus par certains de leurs collègues comme “plus lents et moins performants”. “Les plus jeunes pensent à tort que les seniors risquent de les ralentir, alors qu’ils peuvent au contraire les aider à ne pas foncer dans le mur, mais à ralentir pour prendre correctement le virage”, note Anne Flahaut.
Par ailleurs, la chargée de mission de l’Apec Lille précise que les cadres de plus de 55 ans cherchent très rarement à prendre la place de leur supérieur : “ils n’ont plus rien à prouver, et ne cherchent plus la gloire ou les honneurs. Ils ne sont plus dans une dynamique carriériste, mais ont envie de se faire plaisir, avec moins de pression. Ils cherchent l’équilibre vie pro vie perso et sont en quête d’une ambiance paisible, et vont au contraire aider leur manager, plutôt que d’essayer de le supplanter.” Ainsi, les seniors se révèlent-ils, pour une entreprise, des collaborateurs “fidèles et loyaux”. Pour autant que leur employeur réponde à leur besoin d’autonomie et de reconnaissance, en leur apportant “un terrain d’expression personnelle, et une certaine forme de liberté d’expression”.
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Une “distorsion entre la réalité et la représentation” des cadres seniors
C’est ce sentiment de reconnaissance qui fait souvent défaut : selon l’étude de l’Apec, un tiers des cadres seniors jugent que leurs compétences et leur expérience ne sont pas “suffisamment valorisées” par leur entreprise. En outre, “ils sont parfois vus comme en fin de carrière et ne font pas toujours l’objet de mesures spécifiques d’accompagnement de la part des entreprises”. Ainsi, à peine un tiers des entreprises (32 %) comptant au moins un cadre de plus de 55 ans dans leurs effectifs ont mis en place une “politique” en leur faveur. À noter qu’il s’agit, le plus souvent, “d’une politique de maintien dans l’emploi, avec très peu de propositions en matière de formation ou d’accompagnement au départ à la retraite”.
“Il y a une distorsion entre la réalité et la représentation qu’on peut avoir des cadres seniors. Certains RH et managers interrogés par l’Apec ont reconnu ne pas investir pleinement dans les cadres seniors, qu’ils considèrent comme un public plutôt captif, exprimant peu de projets de mobilité. Ils préfèrent dès lors concentrer leurs efforts sur les jeunes cadres, qui représentent pour eux l’avenir de l’entreprise”, analyse Anne Flahaut.
Mais selon la consultante en mobilité professionnelle, la crise du Covid-19 a malgré tout “permis d’apporter un regard nouveau sur ces profils à forte valeur ajoutée. En temps de crise, ils ont finalement été perçus comme des éléments de stabilité, un atout pour traverser les champs de turbulence. Le paradoxe étant que dans un marché qui va bien (l’emploi cadre est proche du plein emploi) et où les entreprises peinent à recruter, il existe tout un gisement de compétences chez les plus de 50 ans. Un gisement qui reste encore peu regardé.”
Capitaliser sur l’expérience pour transformer l’entreprise
En parallèle, selon l’étude de l’Apec, une proportion importante des cadres seniors se déclarent intéressés par “d’éventuelles portes de sortie (plans de départs volontaires par exemple)”, en raison d’une inquiétude croissante vis-à-vis de leur retraite et d’une perte brutale d’emploi. “Cette réflexion devrait inquiéter les entreprises, surtout dans ce contexte de crise. Elles auraient tout intérêt à développer et à multiplier les actions visant à valoriser leurs ressources seniors au sein de leur organisation, afin de les fidéliser et de les garder dans leur giron”, observe Anne Flahaut.
Pour la consultante, la première action à adopter, tant chez les DRH que chez les managers, est de changer de regard sur les cadres de plus de 55 ans : “Ils gagneraient à considérer la possibilité d’identifier le capital compétences de ces profils expérimentés, et à se questionner sur la façon d’accompagner le développement de ce capital”. Systématiser un programme de mentoring et de “transmission intergénérationnelle de la connaissance”, mettre en place un plan d’aménagement de la fin de carrière, adapter le temps de travail en proposant du temps partiel, proposer une véritable formation continue à des seniors “en quête d’apprentissage” : autant d’initiatives qui permettraient, note Anne Flahaut, de “capitaliser sur l’expérience et le savoir des cadres seniors, tout en leur offrant une poursuite et fin de carrière valorisante, enrichissante et en adéquation avec leurs aspirations”.
“Il faut dé-taboutiser la séniorité dans l’entreprise. Les cadres exprimentés recherchent de la stabilité, un cadre de travail épanouissant, mais aussi de la reconnaissance. Ils souhaitent continuer à évoluer et à relever des défis. À l’ère du travail hybride, ces apporteurs de solution et d’expérience pourraient facilement être mobilisés sur des projets transversaux, et aider leurs entreprises à devenir plus souples et plus flexibles. Leur expérience peut être mise à profit pour transformer leurs organisations”, conclut Anne Flahaut.
Thomas Porez
Journaliste