Pourquoi notre retraite est-elle par répartition ?
Pour des raisons purement pratiques et historiques.
Et parce qu'elle permettait, après la guerre, de servir immédiatement des pensions sans délai.
Cette tribune a été publiée par l’historien Bruno VALAT, maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Institut national universitaire Champollion (université fédérale de Toulouse) dans Le Monde du 17 janvier 2020, sous le titre : "Réforme des retraites : « En 1945, le système par répartition s’impose pour des raisons pratiques »"
Il y rappelle notamment que le sort des « vieux » ne devint une priorité nationale que dans les années 1970.
En 1945, tous sont favorables à la retraite par capitalisation
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la répartition ne jouit pas en 1945 de la faveur qu’on lui attribue volontiers aujourd’hui. Le programme du Conseil national de la Résistance, souvent évoqué, ne prévoyait rien à ce sujet, se bornant à réclamer une « retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leur vie ». Tous les acteurs, y compris syndicalistes, sont favorables à un retour à la capitalisation, utilisée depuis le début du siècle pour constituer les retraites du secteur privé. La situation démographique catastrophique de la France – dénatalité ancienne, pertes des deux guerres mondiales – engendrait en effet une crainte de l’avenir : le ministère du travail anticipe une baisse du volume des cotisations sous l’effet de la réduction du nombre d’actifs… Ce pessimisme est directement à l’origine du report de l’âge de la retraite à taux plein de 60 à 65 ans, qui ne suscite alors aucune opposition de la part des syndicats !
Dans la France de 1945, la situation de millions de « vieux » était catastrophique
Malgré ces craintes, c’est la répartition qui est retenue pour constituer les nouvelles retraites.
Elle seule permet en effet de servir des pensions sans délai, ce qui était indispensable dans la France de 1945 où la situation de millions de « vieux » était catastrophique. Si elle s’impose, ce n’est donc pas pour ses vertus de « solidarité intergénérationnelle », mais pour des raisons essentiellement pratiques.
Les principes retenus en 1945 montrent d’ailleurs une continuité complète avec la législation antérieure : les ressources proviennent de cotisations proportionnelles aux salaires et acquittées par les intéressés et leurs employeurs ; le droit à une pension complète est ouvert après trente années de cotisation ; celle-ci s’élève à 40 % du salaire de base, calculé toutefois non plus sur l’ensemble de la carrière, comme cela avait été le cas jusque-là, mais sur les dix dernières années, mesure qui compense un peu le recul de l’âge de la retraite à taux plein. Pour tous ceux qui ne remplissent pas ces conditions, les pensions restent faibles malgré le passage à la répartition, car les ressources manquent. Seule l’Allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), instaurée dans l’urgence en 1941, permet de les relever un peu…
A l’époque, la priorité est donnée à l’Assurance-maladie et aux allocations familiales : relever les forces productives du pays, en susciter de nouvelles (De Gaulle réclame en mars 1945 « douze millions de beaux bébés en dix ans »), passe avant le sort des « vieux »
A l’époque, la priorité est donnée à l’Assurance-maladie et aux allocations familiales : relever les forces productives du pays, en susciter de nouvelles (De Gaulle réclame en mars 1945 « douze millions de beaux bébés en dix ans »), passe avant le sort des « vieux ». En 1949, l’Assemblée nationale débat du coût de l’Assurance-maladie, en hausse rapide, mais nul ne songe à évoquer les retraites. C’est le renouveau démographique et la forte croissance des « trente glorieuses » qui permettront d’élever progressivement les pensions, encore modestes à la fin des années 1960.
Un Fonds national de solidarité, financé par l’introduction d’une vignette automobile pour majorer les pensions les plus faibles, est cependant créé en 1956 : ce minimum vieillesse est perçu par 40 % des retraités en 1960 ! Mais il n’existe pas jusqu’en 1967 de cotisation vieillesse distincte de celle des autres branches (maladie-maternité-invalidité-décès) dans le régime général : si les assurances sociales connaissent des déficits récurrents, ils sont comblés par les excédents de la branche famille.
Priorité des pouvoirs publics 1970...1980
Il faut attendre la réforme Jeanneney de 1967 pour que soit créée la Caisse nationale des vieux travailleurs salariés (Cnavts), financée par une cotisation distincte. Le but de la réforme est de responsabiliser les gestionnaires du régime général (syndicats, patronat, mais aussi l’Etat) en interdisant les transferts de fonds entre branches et en imposant des mesures de maîtrise financière, si nécessaire.
La retraite ne devient une priorité des pouvoirs publics qu’à partir des années 1970 et 1980, échappant de fait aux plans d’économies qui se succèdent après le premier choc pétrolier. Si la loi Boulin de 1971 impose le passage de 30 à 37,5 années de cotisation pour bénéficier d’une pension à taux plein, elle porte celle-ci à 50 % du salaire. Et en 1982, on revient aux 60 ans.
Les cotisations passent de 3 à 14 %
Pour faire face à la hausse des dépenses, les cotisations sont augmentées jusqu’à aujourd’hui : celles des salariés passent ainsi de 3 % en 1960 à 6,5 % en 1980 et 14,3 % en 1999.
Au total, l’objectif d’une parité de revenu avec les actifs, formulé par la commission Laroque dès 1962, est pratiquement atteint dans les années 1990. Mais la trajectoire financière du régime, en déficit structurel à partir de 1973, est telle que la limitation des dépenses arrive sur l’agenda public au même moment : la réforme Balladur est adoptée en 1993. D’autres suivront…
Délégué Territorial ECTI Roussillon
4 ansVoilà un point historique bien intéressant car je n'avais pas en tête qu'alors, le système par répartition n'ait été conçu qu'en fonction de cette nécessité de verser rapidement des pensions et non comme une mesure intergénérationnelle ! J'ai appris quelque chose et sûr que nombre de syndicalistes diront comme moi.