Pourquoi nous combattons
Une fois n'est pas coutume. Je me contenterai aujourd'hui de reproduire ici un extrait d'un texte de Serge Halimi, directeur du "Monde diplomatique", sur l'indépendance de la Presse. Non pas dans le but de faire la promo de ce mensuel, mais parce que le thème développé par Serge Halimi m'est particulièrement cher. Ce texte est celui de l'allocution que le directeur du "Diplo" a prononcée le 8 octobre à l'occasion de la célébration des 20 ans de l'association "Les Amis du Monde Diplomatique" (AMD). L'intégralité du texte est consultable sur le site de : l'Association: http://www.amis.monde-diplomatique.fr/article5158.html
Une amie journaliste m’a récemment fait comprendre que je n’avais pas lu assez attentivement un texte tellement iconique de la littérature française que des générations de petits Gaulois, pour parler comme Nicolas Sarkozy, l’ont lu et médité. Il s’agit de La Chèvre de Monsieur Seguin, un conte d’Alphonse Daudet publié il y a près de cent cinquante ans dans Les Lettres de mon moulin.
Je ne l’avais pas lu assez attentivement parce que si je me souvenais que Blanquette, la chèvre qui voulait vivre loin de son pieu et de l’affection trop pressante de son maître, avait fini par être dévorée par le loup. Si je me souvenais aussi des belles heures de liberté qu’elle avait connues avant de mourir, en revanche, je ne me souvenais plus du tout que cette histoire était une parabole du journalisme libre et de ses dangers.
Car ainsi commence La Chèvre de Monsieur Séguin…
« Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Gringoire !
Comment ! on t’offre une place de chroniqueur dans un bon journal de Paris, et tu as l’aplomb de refuser... Mais regarde-toi, malheureux garçon ! Regarde ce pourpoint troué, ces chausses en déroute, cette face maigre qui crie la faim. Voilà pourtant où t’a conduit la passion des belles rimes ! Est-ce que tu n’as pas honte, à la fin ?
Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! Fais- toi chroniqueur ! Tu gagneras de beaux écus, tu auras ton couvert chez Brébant, et tu pourras te montrer les jours de première avec une plume neuve à ta barrette...
Non ? Tu ne veux pas ?... Tu prétends rester libre à ta guise jusqu’au bout... Eh bien, écoute un peu l’histoire de la chèvre de Monsieur Seguin. Tu verras ce que l’on gagne à vouloir vivre libre. »
Eh bien, non, toutes les histoires de liberté ne se terminent pas aussi mal que ça. Et, aujourd’hui, avec les Amis du Monde diplomatique, nous en célébrons une qui ne s’achève pas par le festin d’un loup, alors même que ceux-ci sont depuis longtemps entrés dans Paris, ont de l’appétit et ont déjà dévoré la plupart des titres de presse. En vérité, la chose est étonnante, et parfois elle nous surprend nous même. Notre Blanquette gambade encore dans la montagne.
En ce moment, nombre de journaux périclitent. Dans bien des cas, avouons-le, ce n’est que justice – nous ne sommes pas, nous, les défenseurs inconditionnels d’une corporation, et certainement pas de celle des journalistes. D’autres titres survivent mais ne retardent leur trépas qu’en devenant la prime numérique du géant des télécoms qui les possède. Nous, non. Bien au contraire. Non seulement nous sommes plus vivants que jamais, aussi indépendants que toujours, mais nous nous portons bien. Et même nous nous portons mieux. [...]