Pourquoi Trump a gagné alors qu'Harris incarne l'Amérique du futur

Pourquoi Trump a gagné alors qu'Harris incarne l'Amérique du futur

Oui, oui, c'est bien un article en forme de mea culpa. Non pas qu'il soit nécessaire de s'excuser car l'analyse n'est pas une science exacte. Elle nous mène en exploration sur des chemins sur lesquels nous rencontrons des carrefours. Alors, nous prenons telle voie, plutôt que telle autre et formons des hypothèses. C'est là le travail de recherches. Mais s'il n'est pas besoin de s'excuser, il y a donc une nécessité de corriger le tir. À l'éclairage d'un signal fort, comme ce vote, je me replace dans une nouvelle voie et réécris ma page, aidé par ces nouvelles informations. Car ne pas le faire serait une erreur.

Si je devais glisser une excuse, cependant, ce serait pour Louis Sarkozy, à qui j'ai dit à l'antenne qu'il vivait dans une bulle alors qu'il avait visiblement mieux compris que moi ce qui se passait.

Ainsi, l'élection présidentielle de 2024 restera dans les annales comme un moment clé de la politique américaine. Face à Kamala Harris, qui incarne une vision progressiste et inclusive de l'Amérique du futur, Donald Trump a réussi à s'imposer, déjouant ainsi de nombreuses prévisions et analyses. Comment expliquer cette victoire, alors que l'actuelle vice-présidente symbolise la diversité et le changement social vers lequel une grande partie du pays semble se diriger ? Je distingue à chaud quelques éléments pour comprendre ce résultat surprenant.

1. La mobilisation du "vote de la réaction"

L'un des facteurs principaux de la victoire de Donald Trump est la mobilisation efficace de ce que l'on pourrait appeler le "vote de la réaction" — une part de l'électorat qui se sent menacée par les changements culturels et sociaux rapides qui traversent l'Amérique. Je l'avais déjà identifié dans deux de mes ouvrages : "Trumpland" et "L'Amérique qui gronde". J'ai pensé trop vite que cette Amérique s'était apaisée, à tort, donc. Kamala Harris, en tant que femme, de couleur, et vice-présidente sortante, incarne une nouvelle ère de diversité et de progrès social. Cependant, pour de nombreux électeurs, cette évolution représente un bouleversement de leur vision traditionnelle du pays qui, comme je l'avais écrit dans ces deux livres, va trop vite et bouscule trop fortement l'équilibre en place.

Trump a su capter cette peur du changement. En réactivant ses thèmes de campagne de 2016 — nationalisme, anti-immigration, et défiance envers les élites — il a rallié une large partie de la classe ouvrière blanche, des populations rurales et des électeurs qui se sentent exclus par les politiques progressistes. Cette recette victorieuse de 2016 a marché une deuxième fois car les craintes restent les mêmes. Sa capacité à dépeindre Harris comme une figure du "système" qui impose des changements sans prendre en compte les inquiétudes des Américains traditionnels a résonné largement.

2. Un contexte économique fragile

Ensuite, l'état de l'économie a joué un rôle fondamental dans cette élection. Malgré les efforts de l'administration Biden pour faire face à l'inflation et soutenir la classe moyenne, beaucoup d'électeurs ont estimé que leur pouvoir d'achat ne s'était pas amélioré de manière significative. Les effets de la crise économique post-pandémique étaient encore perceptibles, notamment dans des secteurs clés comme l'immobilier, l'énergie et les biens de consommation courante.

Donald Trump a exploité ce ressentiment en promettant de redonner du souffle à l'économie à travers des réductions d'impôts, une déréglementation des secteurs stratégiques et une relance des projets industriels. Beaucoup d'électeurs, lassés de promesses d'inclusivité et de changement qui leur semble être des gadgets et ne se traduisent pas par des améliorations économiques tangibles, ont vu en Trump une opportunité de retrouver une certaine sécurité financière. Son discours populiste a su répondre à une demande de stabilité économique plutôt que de réformes sociales ambitieuses.

3. La force d'une narration simpliste et répétitive

Donald Trump reste le roi de la communication et un maître dans l'art du slogan. Il est indéniable qu'il a également bénéficié de sa capacité à simplifier les messages complexes en slogans faciles à retenir et à partager. Tandis que Kamala Harris portait un discours nuancé et plus profond sur l'équité, la justice sociale et le changement climatique, Trump répétait inlassablement des formules claires qui parlaient directement aux préoccupations immédiates des électeurs : "America First", "Make America Safe Again", et "Stop the Chaos".

Cette stratégie a permis à Trump de maintenir un message cohérent, à la fois simple et rassurant pour ses électeurs, qui se sentaient dépassés par les transformations culturelles que Harris symbolisait. La rhétorique de Trump s'est concentrée sur la réduction de la complexité des problèmes et sur une opposition directe aux valeurs progressistes, qu'il considérait comme des menaces pour l'identité américaine. Il a tellement de talent dans cet art de la simplification qu'il a même influencé le narratif des médias –même ceux qui lui était hostiles– qui ont fini par répéter que "Kamala Harris était nulle et menait une mauvaise campagne", sans plus jamais entrer dans des comparatifs de programmes ou des critiques sérieuses et fondées sur les propositions de l'un et de l'autre.

4. La polarisation extrême

Il est également important de noter le phénomène de polarisation extrême qui caractérise la politique américaine actuelle. Les électeurs de Trump et de Harris appartiennent à des mondes idéologiques si éloignés qu'il est difficile de trouver des terrains d'entente. Kamala Harris, avec son profil progressiste et sa volonté de changer l'ordre établi, a enthousiasmé une partie de l'électorat, mais elle a également suscité un "rejet Harris" chez une autre partie, qui voyait dans ces changements une menace pour leur mode de vie traditionnel.

Le message de Kamala Harris sur l'inclusivité et la justice sociale était à la fois son atout et son talon d'Achille. Pour beaucoup d'électeurs conservateurs, ces promesses de changement étaient perçues comme une imposition d'une nouvelle norme par une élite déconnectée des réalités quotidiennes. La promesse d'une "Amérique du futur" s'est ainsi heurtée à une demande de continuité et de sécurité. Sa fin de campagne, pleine de stars avec leurs paillettes, a fini de convaincre les électeurs que l'actuelle vice-présidente était dans le paraître mais pas dans leurs préoccupations premières.

5. Un Retour au Patriarcat Traditionnel ?

Enfin, il est essentiel de ne pas sous-estimer l'impact des dynamiques culturelles et sociétales liées au genre. Kamala Harris, en tant que femme de couleur, vice-présidente et candidate présidentielle, incarne une rupture significative avec le profil typique des dirigeants américains. Pour une partie de l'électorat, Trump représente une image de patriarche, familière et rassurante, qui correspond à leur vision du pouvoir et de la force. C'est certainement une réaction forte à un récit progressiste qui a mis l'accent sur les thématiques de genre, voyant émerger une "dynamique féminine" en opposition frontales aux hommes, qui étaient accusés matin, midi et soir, d'être "virilistes" et autres adjectifs censés les déprécier. Il a ainsi été démontré que le vote féminin n'existe pas, la démonstration en étant faite par les femmes elles-mêmes qui se sont tournées vers Donald Trump.

On peut aussi se demander si le rejet implicite de Harris, au-delà de ses idées politiques, ne révèle pas aussi la réticence d'une partie de la population à voir une femme (et de surcroît une femme noire et d'origine sud-asiatique) assumer les pleins pouvoirs à la Maison-Blanche. Cet élément, bien qu'indirect, pourrait avoir joué un rôle dans la mobilisation des électeurs de Trump, pour qui le retour à une figure présidentielle "traditionnelle" était préférable. je ne suis pas persuadé du bien-fondé de cet argument mais il est répété très volontiers par de nombreux observateurs dont de très nombreuses femmes et, après avoir un peu protesté sur sa réalité, je préfère retenir aussi cet argument, ne serait-ce que pour l'étudier.

Conclusion

La victoire de Donald Trump en 2024 face à Kamala Harris ne représente pas nécessairement un rejet des valeurs qu'elle incarnait, mais plutôt une réaction à la vitesse des changements sociaux et une demande de stabilité dans un contexte économique et culturel tumultueux. Harris incarne une vision du futur : une Amérique diverse, inclusive et progressiste. Cependant, Trump a réussi à rallier ceux qui, face à cette vision, préféraient une Amérique plus traditionnelle, où les valeurs de continuité et de sécurité prévalaient sur l'ambition de transformation sociale.

Ce résultat montre que, bien que l'Amérique du futur soit en marche, l'Amérique du présent reste divisée sur la direction à suivre, avec une partie importante de la population qui préfère encore se raccrocher aux symboles du passé. Le chemin vers une présidente progressiste demeure ouvert, mais semé d'obstacles que seule une coalition large pourra surmonter, et à condition de ne pas heurter frontalement ceux que l'on ambitionne de convaincre qu'un changement de société profite à tous.

Une forte similitude avec les #législatives françaises et le grand danger des #Extrêmes !

Merci pour vos analyses très éclairantes pendant cette campagne. Le point 5 me semble être la clé, comme l'illustrait un interview du point https://www.lepoint.fr/monde/presidentielle-americaine-les-democrates-ont-affaibli-les-hommes-noirs-07-10-2024-2572101_24.php

jean-claude pacitto

Maître de conférences HDR

1 mois

Trump a gagné parce qu'il n'assigne pas les citoyens américains à résidence comme le font les démocrates. A force de racialiser les enjeux ils sont passés à côté des problèmes vécus par les Américains. Le jour où les Républicains dépasseront les 20 % chez les Afro-américains les démocrates seront dans l'opposition pour l'éternité

jean-claude pacitto

Maître de conférences HDR

1 mois

Trump a gagné parce qu'il n'assigne pas les citoyens américains à résidence comme le font les démocrates. A force de racialiser les enjeux ils sont passés à côté des problèmes vécus par les Américains. Le jour où Trump dépassera les 20 % chez les Afro-américains les démocrates seront dans l'opposition pour l'éternité

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Maître de conférences HDR

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