Procès à haut risque pour Qualcomm
Et aussi: Meta se rebelle contre OpenAI - Enquête sur TikTok après les élections en Roumanie
☕ Tous les matins, Cafétech décrypte l'actualité tech. Pour ne pas rater nos prochaines éditions, cliquez sur "+ S'abonner" en haut en droite. Ou alors inscrivez-vous à notre newsletter avec votre adresse e-mail.
Poursuivi par Arm, Qualcomm risque gros devant la justice américaine
C’est un procès explosif qui s’est ouvert lundi devant un tribunal du Delaware, aux États-Unis. Et qui pourrait avoir d’immenses répercussions pour Qualcomm – mais aussi indirectement pour les marques de smartphones et celles de PC. Le groupe de San Diego, premier fabricant mondial de puces mobiles, est poursuivi par Arm Holdings. Le concepteur britannique de l’architecture éponyme, dont il est un partenaire historique ainsi que le principal client, l’accuse depuis deux ans de rupture de contrat. Il ne réclame pas de dédommagement financier. Mais encore plus pénalisant: la destruction du design des processeurs (CPU) intégrés à la dernière gamme de produits Qualcomm. Un verdict est attendu avant la fin de semaine. Beaucoup d’observateurs anticipent cependant qu’un accord à l’amiable entre les deux groupes sera trouvé d’ici là.
Architecture ARM – Détenu par le conglomérat japonais Softbank, et un temps convoité par Nvidia, Arm propose un jeu d’instructions pour concevoir des puces. Celui-ci est devenu archi-dominant sur le marché des smartphones et tablettes, en particulier grâce à sa faible consommation d’énergie. Qualcomm utilise ainsi l’architecture ARM pour ses systèmes sur puce (SoC) Snapdragon, des circuits intégrés qui rassemblent le processeur, la carte graphique ou encore la puce Wifi. Selon les estimations de Bernstein, il verse 300 millions de dollars de redevances annuelles. Ces dernières années, les relations entre les deux entreprises se sont nettement détériorées. Qualcomm se sent menacé par les ambitions d’Arm, qui cherche à concevoir ses propres puces mobiles. Et le groupe est l’un des plus fervents supporters de l’architecture concurrente RISC-V.
Licences de Nuvia – Le conflit judiciaire entre les deux partenaires a été précipité par l’acquisition en mars 2021 de Nuvia par Qualcomm, pour 1,4 milliard de dollars. Une opération stratégique: avec cette start-up fondée par des anciens d’Apple, le géant américain a renforcé son expertise dans le domaine des processeurs. Il a ainsi pu concevoir une nouvelle génération de CPU, baptisée Oryon et officiellement lancée cette année dans les derniers SoC maison. Peu après ce rachat, Qualcomm a mis un terme à la licence que payait Nuvia auprès d’Arm, estimant déjà disposer d’une licence assez large pour couvrir l’intégration de son savoir-faire. Une interprétation contestée par la société britannique, qui souligne que les licences versées par Nuvia étaient “plusieurs fois” supérieures à celles payées par son acquéreur.
Accord à l’amiable ? – Arm chiffre le manque à gagner à 50 millions de dollars par an. Une somme relativement faible compte tenu des risques que ferait peser une condamnation de Qualcomm. Son CPU Oryon, dont le design devra être détruit, est en effet intégré aux derniers Snapdragon, destinés aux smartphones les plus puissants, comme les prochains Galaxy S25 de Samsung, mais aussi aux PC IA, que Microsoft tente d’imposer. En outre, Arm menace de lui retirer sa licence, ce qui l’empêcherait, en théorie, de vendre l’ensemble de son catalogue. Le groupe britannique ne sortirait pas indemne non plus. Il perdrait une importante source de recettes. Et il repousserait, voire handicaperait, la transition annoncée de l’architecture PC dominante x86, d’Intel et AMD, vers la sienne. Un accord à l’amiable semble donc préférable aux deux parties.
Pour aller plus loin: – En difficultés, Intel aiguise l’appétit de Qualcomm – Apple va commencer à à s’émanciper de Qualcomm sur la 5G
Meta soutient Elon Musk dans sa bataille juridique contre OpenAI
Pour Meta, les ennemis de ses ennemis ne sont pas forcément ses amis. La semaine dernière, la maison mère de Facebook a apporté son soutien à Elon Musk, malgré l’inimitié profonde qu’il entretient avec son patron Mark Zuckerberg, dans son combat judiciaire contre OpenAI. Objectif: empêcher le concepteur de ChatGPT d’abandonner son statut à but non lucratif. Un tel changement aurait des “implications systémiques”, fait-elle valoir dans une lettre adressée au procureur général de Californie, redoutant une “prolifération de start-up prétendument caritatives jusqu’à ce qu’elles deviennent potentiellement rentables”. Mais la démarche est aussi intéressée: la modification de son statut juridique pourrait donner à OpenAI des ressources encore plus grandes pour lutter contre Meta, qui développe également des modèles d’intelligence artificielle générative.
Profits plafonnés – Lors de son lancement en 2015, OpenAI est une organisation à but non lucratif, soutenue par quelques grands noms de la Silicon Valley, qui ambitionne alors de développer une IA devant bénéficier à l’humanité, sans être dictée par une logique de profit. En 2019, devant la nécessité de trouver des fonds, une nouvelle entité juridique est cependant créée: une filiale à “but lucratif plafonné”. C’est dans cette dernière que Microsoft a injecté près de quatorze milliards de dollars. Cette structure hybride a longtemps été une source de conflits internes. Surtout, elle représente un frein majeur dans les ambitions de son patron Sam Altman. Elle prévoit en effet que Microsoft capte la plus grande partie des profits jusqu’à un certain montant. Au-delà, l’ensemble des bénéfices doit revenir à la fondation caritative.
Musk attaque – Face à ses besoins de liquidités, OpenAI a d’abord demandé une rallonge au groupe de Redmond, qui a refusé. La start-up a donc dû trouver de nouveaux investisseurs. Et leur promettre de devenir une société à but lucratif avant fin 2026. Faute de quoi elle devra rembourser sa dernière levée de fonds de 6,6 milliards de dollars réalisée en octobre. Ses équipes juridiques s’activent depuis pour mener cette transition, qui s’accompagne d’importantes incertitudes juridiques. Fin novembre, Elon Musk a demandé à la justice de bloquer temporairement les projets d’OpenAI. Le milliardaire, qui a financé en partie les premiers pas de la start-up avant de claquer la porte, l’accuse d’une supercherie d’une “ampleur shakespearienne” pour obtenir de l’argent, tout en ayant dès le départ un objectif lucratif caché à long terme.
Faille – Meta n’a pas saisi les tribunaux. Mais la société demande aux autorités californiennes d’intervenir. Elle met avant d’autres arguments. Selon elle, un changement de statut d’OpenAI ouvrirait une faille, permettant à des start-up de se lancer en tant qu’organisation à but non lucratif. Cela leur permettrait de remplacer des levées de fonds par des donations déductibles des impôts pour financer leur développement, puis de devenir des sociétés lucratives quand les premiers profits arrivent. Autrement dit, ces start-up profiteraient des lois sur les donations pour attirer des investisseurs, au détriment de leurs concurrentes ayant opté pour une structure commerciale. Et les investisseurs profiteraient de crédits d’impôt, tout en captant par la suite des plus-values. “Toute start-up cherchant à rester compétitive devra adopter la même stratégie”, estime Meta.
Pour aller plus loin: – L’intelligence artificielle, le nouveau pari de Mark Zuckerberg – Elon Musk lève six milliards de dollars pour concurrencer ChatGPT
Après les élections en Roumanie, Bruxelles ouvre une enquête contre TikTok
La riposte de Bruxelles était inéluctable. Elle est désormais officielle. Mardi, la Commission européenne a ouvert une enquête formelle contre TikTok, moins d’un mois après le premier tour de l’élection présidentielle en Roumanie, qui a vu un candidat d’extrême droite, pro russe et jusqu’alors peu connu, arriver en tête – le résultat a depuis été invalidé par la justice du pays. Cette procédure s’inscrit dans le cadre du Digital Services Act (DSA), qui impose, depuis l’an passé, de nouvelles obligations en matière de modération aux grandes plateformes Internet. L’application de courtes vidéos pourrait ainsi être accusée de ne pas avoir mis en place les mesures nécessaires pour lutter contre une campagne d’influence menée, selon les autorités roumaines, par la Russie. Bruxelles va notamment se pencher sur son système de recommandations et sur sa politique en matière de publicités politiques. Déjà inquiété sur les obligations de protection des mineurs, TikTok risque une lourde amende. La plateforme sera aussi surveillée de près pour les prochains scrutins en Europe.
Pour aller plus loin: – Aux États-Unis, l’avenir de TikTok ne tient plus qu’à un fil – L’Europe ouvre une enquête formelle contre X dans le cadre du DSA
Crédit photos: Qualcomm – Meta
Journaliste, fondateur de Cafétech, la newsletter qui décrypte l'actualité tech
4 j.Pour s'inscrire à Cafétech: https://cafetech.fr/inscription