A propos d’inceste : du mal parler des politiques au mal penser dans la société
Dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, 2019-2022[1], le gouvernement lance une action pour lutter contre les violences sexuelles faites aux enfants. En vue de l’installation d’une Commission indépendante sur cette question, le Secrétaire d’État à la protection de l’enfance, Adrien Taquet, affirme, entre autres, au cours de son interview au Journal du dimanche, le 2 août dernier[2] : - L’inceste est le dernier des tabous.
Au sens strict ce propos n’a guère de sens : que l’on sache, l’interdiction du meurtre et le respect des morts sont aussi des tabous en vigueur. Doit-on voir dans cet impair un lapsus, voire un malaise ? Le propos de M. Taquet semble faire référence à une sorte « d’interdit d’interdire » à l’œuvre dans la société, conduisant à la légalisation progressive de pratiques auparavant prohibées : mariage homosexuel, PMA… Dans ce contexte, cette phrase maladroite a été immédiatement reprise et interprétée par les médias qui n’ont cessé de répéter qu’il fallait « briser le tabou de l’inceste ». Joli résultat pour la communication gouvernementale que de semer la confusion au cœur même du message, très opportun, qu’il veut délivrer.
Il faut être clair, puisque M. Taquet ne l’est pas : ce qu’il s’agit de briser, ce n’est certainement pas le tabou de l’inceste. Bien au contraire, il faut le réaffirmer et sans doute veiller à son encadrement juridique de façon plus stricte. Ce à quoi il faut mettre fin, en revanche, c’est à l’omerta sur la pratique de l’inceste. Il est temps, en effet, de punir cette pratique trop répandue et trop souvent entourée de silences complices au sein des familles et dans leur voisinage.
« Mettre ce sujet en haut de l’affiche » est une autre expression employée par M. Taquet qui ne paraît pas très heureuse. Doit-on comprendre qu’on parle ici avant tout d’un affichage électoral, ou d’un spectacle à sensation, comme le suggère cette métaphore ?
La Commission traitera aussi, logiquement, de la pédophilie, ce qui conduit M. Taquet à évoquer l’affaire Mazneff. Là encore, le responsable politique fait montre d’approximation. Il n’est pas exact de dire que la question des relations pédophiles de G. Mazneff « a mis trente ans à sortir alors que beaucoup savaient ». L’auteur a publié, entre autres, un livre, Mes amours décomposés, en 1990, dans lequel il ne laisse rien ignorer de ses relations sexuelles avec des mineurs. Il est venu en parler sur le plateau télévisé d’Apostrophes, où il n’a guère été écharpé, avec vigueur et justesse, que par la journaliste québécoise Denise Bombardier, les autres invités se tenant coi. Voilà bien des décennies que tout le monde savait !
Le mal parler des politiques c’est l’assurance d’un mauvais relais par les médias, et c’est le début du mal penser dans la société.
Il faut espérer que les débats qui débuteront à l’automne au sein de la Commission indépendante contre les violences faites aux mineurs se tiendront avec davantage de rigueur que ne le laisse craindre cette annonce gouvernementale qui cultive l’ambiguïté.
[1] Stratégie mise en place en octobre 2019.
[2] Journal du dimanche, 2 août 2020.
Photographe indépendant
4 ansMerci, Dominique Perrut, d'avoir levé un voile ou révélé un point aveugle.