Propriété intellectuelle et développement économique du Togo
Au-delà de l’aspect protection des inventions, innovations et créations ; la propriété intellectuelle est un important outil économique, dont sa prise en compte dans les politiques de développement contribue à une croissance économique. Le Togo dans ces perspectives de développement a initié un Plan National de Développement (PND), l’intégration de la propriété intellectuelle dans sa mise en œuvre faciliterait l’atteinte des objectifs.
Concept de propriété intellectuelle
La propriété intellectuelle (PI) peut se définir comme l’appropriation par l’homme de l’expression de son génie créateur ; en ce sens il s’agit d’une reconnaissance légale (règlementation) et officielle (autorité publique) du fruit de la créativité humaine et de sa capacité d’inventer. Elle est subdivisé en deux branches à savoir : la propriété industrielle (brevet, marque, indication géographique, modèle industrielle, etc.) et la propriété littéraire et artistique (droit d’auteur, droit voisin et folklore). Le droit de propriété intellectuelle, est un droit reconnu par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), et mentionné en son article 27 (2)[1]. Elle a pour fondamentaux l’invention, l’innovation et la créativité ; bien qu’étant constitué d’un ensemble de législation qui confère le droit, la PI est un important outil économique.
Contribution au développement économique
Dans un monde globalisé et fortement concurrentiel dont l’économie repose de plus en plus sur l’immatériel ; la propriété intellectuelle s’insère comme un fondamentale de l’économie du savoir, au vue de son impact indéniable sur le plan macroéconomique et microéconomique. Du fait qu’elle n’est pas bien connue, son appréhension économique est difficile à percevoir. Aucun opérateur économique ne peut se mettre en marge de cette dynamique, puisque chaque produit ou service que nous utilisons dans notre existence quotidienne résulte d’une chaîne d’innovations qui donnent à un produit son aspect ou son mode de fonctionnement actuel.
En effet le monde ne cesse d’évoluer sur tous les plans et dans tous les domaines ; la propriété intellectuelle est le facteur stimulant de cette évolution à travers la créativité, l’inventivité, et l’esprit d’innovation portés par cette matière. Bien connu sous d’autres cieux, et ayant contribué au développement économique des pays développés et émergents (Exemple les géants d’Asie tels que : la chine, la Corée, le japon) ; la propriété intellectuelle se trouve être en Afrique comme un domaine réservé aux initiés (spécialistes de la matière et certains juristes). Elle reste toujours méconnue d’une grande frange de la population, et des entreprises ; or elles-mêmes sont créatrices et utilisatrices des œuvres de l’esprit.
Cette méconnaissance se justifie par une faible utilisation des mécanismes de protection des droits de propriété industrielle par les africains ; comme le confirme en exemple le rapport de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI)[2], en 2014 l’Afrique a octroyé en général 1,2% de brevets par rapport au total mondial, contre 53,9% en Asie, 13,7% en Europe, 27,6% en Amérique du Nord, 1,5% en Amérique Latine et des caraïbes, et 2% en Océanie. Par ailleurs, les données de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) indiquent que cette organisation reçoit annuellement en moyenne 500 demandes de brevets, mais à peine 10% de ces demandes proviennent des états membres.
Ces dernières années, plusieurs pays d’Afrique ont connu une croissance économique, qualifiée de "croissance appauvrissante", puisque l’économie de ces derniers est basée essentiellement sur l’exportation des matières premières à l’état brut. La volatilité des prix de ces produits et les fluctuations de l’économie mondiale rendent vulnérable ces états face à cette dépendance aux matières premières. Une exploitation judicieuse des mécanismes de la propriété intellectuelle devrait les aider à faire évoluer leurs modèles économiques. Dans la mesure où un bon système de propriété intellectuelle encourage le développement des nouvelles technologies pour la croissance de la production agricole et industrielle, favorise l’attractivité des Investissements Directs Etranger (IDE), et facilite le transfert de technologie. Aussi la protection des Droits de la Propriété Intellectuelle (DPI) est un aspect vital de l’établissement d’un environnement propice au commerce et la facilitation des efforts africains dans la promotion du développement économique à travers l’innovation.
Contribution à l’atteinte des objectifs du PND Togo
La prise compte de la PI dans les politiques devrait contribuer à l’atteinte des objectifs de développement du Togo. Ces effets peuvent être appréciés sur les entreprises, les communautés à la base, et la facilitation à la création d’un écosystème dynamique à l’innovation.
Effets sur les entreprises et les créateurs
De par l’essence de la PI, il s’agit de droits conférés sur des inventions, innovations et créations à leurs titulaires. Elle se manifeste par une exclusivité d’exploitation du titulaire (monopole légal), l’interdiction d’exploitation par un tiers sans l’autorisation du titulaire et la possibilité d’intenter une action en contrefaçon contre toute exploitation non autorisé (illicite). Ces prérogatives augmentent le pouvoir de négociations du détenteur vis-à-vis de ces partenaires (concurrents/ clients) ; également facilite le financement de l’entreprise ou l’opportunité créer par le projet d’innovation ou de création, dans la mesure où il rassure et met en confiance l’investisseur. Ces actifs de PI, à l’exemple de la marque permettent à une entreprise de pouvoir se démarquer de ses concurrents pour mieux se positionner sur un marché, tout en fidélisant la clientèle. Ce faisant ces actifs sont de puissants moyens de valorisation de l’entreprise et de conquête des marchés.
L’entrepreneuriat étant de plus en plus dynamique au Togo et les nouvelles donnes d’accords de libre-échange auxquelles notre Etat est partie prenante ; il devient important que les entrepreneurs intègrent une dynamique propriété intellectuelle dans leurs stratégies d’entreprise. Cette prise en compte aura le mérite non seulement de crédibiliser leurs produits, de pouvoir contenir la concurrence étrangère mais également de faciliter l’accès des produits aux marchés étrangers. Ainsi des séances de sensibilisations et de formations sont nécessaires pour que les entrepreneurs s’imprègnent de l’importance de la PI dans leurs affaires. A cela doit être associé la nécessité pour les centres d’incubateurs d’avoir des départements propriété industrielle ; afin de conseiller et accompagner leurs incubés à la protection mais également les initiés à l’apprentissage à l’innovation.
Développement des communautés rurales
Au-delà de son intérêt pour les entreprises, la PI est également un élément important du développement des communautés à la base. Le Togo étant un pays essentiellement agricole avec près de 70% de sa population dans ce secteur, dispose des produits dont les qualités relèvent de leurs lieux de production, à savoir le riz de Kovié, l'huile rouge de Tsévié, l’igname de Bassar, etc. également nous avons des produits, dont le système de production relève d’un savoir-faire propre de leurs localités telle que : le tchoukoutou et le sodabi. Ces produits peuvent être protégés par le mécanisme d’Indication Géographique (IG). Il s’agit de mécanisme de protection de dénomination qui lie qualité et particularité d’un produit à son lieu de production. En ce sens il constitue un label et rend le produit prisé même à l’international.
La mise en place des IG a des impacts socio-économiques importants sur le développement de nos localités, car non seulement attire l’investissement, elle crée des emplois locaux par le maintient le la production en milieu rural ; ce qui permet de lutter contre l’exode rural. Ce système de protection facilite également la conservation et valorisation des savoirs traditionnels. Au regard de la complexité de ce mécanisme de protection, à défaut l’on pourrait labéliser ces produits au travers d’une marque collective, comme l’a fait le Burkina-Faso avec le Faso-Danfani. Le risque de ne pas le faire est l’expropriation de l’appellation à la communauté détentrice par des entrepreneurs véreux.
Mise en relation des universités et le milieu des affaires.
Il s’agira dans cette partie de valoriser les résultats de la recherche, en ce sens il nécessite l’implication active de certains acteurs sur base contractuelle tripartite. D’une part entre l’Etat et les universités et/ou centres de recherches pour la création du cadre incitatif, et d’autre part entre les universités ou centres de recherches et les entreprises pour la mise sur le marché des produits ou services issus de la recherche. L’Etat, les centres de recherches/ universités et les entreprises sont des acteurs fondamentaux de la valorisation de la recherche. Le rôle de l’Etat dans ce schéma est de subventionner les universités et créer un cadre réglementaire incitatif à la recherche, telle que : un système PI facilitant la titularité des droits aux chercheurs sur leurs innovations, également la possibilité pour les chercheurs d’avoir des parts dans la commercialisation des produits issus de leurs recherches. Les Universités et Centres de recherche n’ayant pas de vocation commerciale, la mise sur le marché ne peut se faire que par les entreprises, qui peuvent assurer la commercialisation de ces innovations.
Ces quelques lignes, nous a permis d’aller au-delà de l’aspect réservation de droit (protection), qui est l’une des premières fonctions de la PI, pour démonter quelle peut contribuer au développement économique d’une nation. Bien que n’étant pas explicitement mentionné dans le PND du Togo, une réelle prise en compte de la PI dans la mise en œuvre du plan devrait faciliter l’atteinte de ces objectifs.
Roland B. KANDA, Gestionnaire de projets, Conseil en propriété industrielle, Spécialiste en politique commerciale internationale
[1] Article 27 alinéa 2 DUDH : « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est auteur ».
[2] WIPO, 2014. World intellectual poroperty Indicators, Economics and statistics Series, Genève : WIPO.s